Cameroun : Les vieillards sont-ils des sorciers ?

vieillard cameroun

La 31ème édition de la journée internationale des personnes âgées s’est commémorée le 01er octobre dernier. Ces vieillards subissent divers traitements avilissants au quotidien.

« Tu déranges. Tu nous ennuies. Si tu continues à me parler, je vais te battre », crie un jeune garçon, bâton en main, le regard menaçant. Il s’adresse ainsi à sa grand-mère. La vieille femme essaie de faire face aux menaces de son petit-fils en lui rappelant les sacrifices qu’elle consent depuis de nombreuses années. La scène se déroule au quartier Manguiers, à Yaoundé il y’a quelques jours. Octogénaire, Madeleine B. vit avec son fils et ses petits-enfants. Devant cette dispute, le voisinage est indifférent. Curieux tout de même ! « Nous assistons à ce spectacle au quotidien. Ils se chamaillent régulièrement. Si ce n’est lui, c’est l’un de ses frères et sœurs. Pourtant, c’est elle qui s’occupe des tâches ménagères même lorsqu’elle est malade. Elle doit faire la cuisine pour tous », se désole une voisine. Cette dernière nous apprend que sa voisine a souvent des pertes de mémoire. « Elle perd des choses et même de l’argent. Ils savent qu’elle est malade et ils profitent pour lui soutirer ses sous », ajoute-t-elle, d’un air peiné. La situation de cette octogénaire n’est pas un cas isolé. Les personnes âgées font face à la violence et la marginalisation des plus jeunes. A la liste des abus, s’ajoute le fait d’être traités de sorcières. Le phénomène s’observe de plus en plus dans la société camerounaise.

Vieillesse rime avec sorcellerie

Le respect et l’affection qui étaient traditionnellement réservés aux personnes âgées se sont dégradés. Certaines personnes en majorité les jeunes voient en elles la source de leur déchéance. « Il faut se méfier des vieux. C’est vrai qu’ils sont vulnérables certes mais plusieurs sont des sorciers. Ils détruisent les vies de jeunes gens et même de leur progéniture, sans aucune raison. C’est triste ! », soutient Ulrich. Le jeune garçon prend pour illustration le fait divers qui a défrayé l’actualité en août 2020. Pour rappel, un vieillard nommé Nkongo a failli être enterré vivant dans la tombe de son neveu par les jeunes du village Bih, département de Donga Mantung, région du Nord-Ouest. Le vieillard avait confessé avoir mystiquement tué Kimbi avec la complicité des autres vieux de son cercle de sorciers. L’homme du troisième âge avait été banni du village et sa maison incendiée. Au mois d’août 2021, une autre vidéo présentait un octogénaire fouetté par un prêtre. Le père Amougui accusait Michel Mbarga d’être un sorcier. Pour y remédier, le prélat le frappait avec des tiges de macabo. Le vieillard pleurait en implorant son bourreau d’avoir pitié de lui. Une action qui a valu la suspension du prélat. « C´est vous qui devez mener un combat vrai et juste contre la tendance non pastorale, qui consiste à considérer, sans preuve aucune, que toutes les personnes âgées sont des potentiels ou de vrais sorciers », écrivait Mgr Joseph Marie Ndi-Okalla, évêque de Mbalmayo.

Appréhensions

« Je me souviens qu’il y avait près de nos plantations dans le Noun, un vieillard qui avait une blessure ouverte sur sa jambe. Il s’asseyait devant sa porte toute la journée et nous y traversions en courant. En fait, il était abandonné même par ses propres enfants parce qu’on le traitait de sorcier. Sa maison était insalubre », raconte pour le regretter Sorelle Njami. La jeune fille ajoute : « avec du recul aujourd’hui, je me dis que ce grand-père devait énormément souffrir ».
Dans la même veine, Christelle relate son expérience. « Nous avons grandi sachant que toute personne avec des rides sur le visage était un sorcier. Si en plus, elle nous regardait d’une certaine manière, il fallait s’enfuir. On évitait de passer devant les maisons de certaines grand-mères au village parce qu’on nous avait dit qu’elles étaient des sorcières. Il fallait s’assurer qu’elles n’y étaient pas pour oser passer et le plus rapidement possible parce qu’elles pouvaient apparaitre », se souvient-elle.

Bibliothèques

Pour Estelle, les traitements infligés aux personnes du 3ème âge sont déplorables. « Ce sont des personnes que je respecte énormément qui sont pour moi comme des bibliothèques de par leur vécu. Je ne saurai être d’accord avec ceux qui les qualifient de sorciers. C’est plus en Afrique qu’on associe la vieillesse à la sorcellerie. Nous devons être contents de les avoir auprès de nous », justifie-t-elle. Alphonsine renchérit : « si être vieux signifie être sorcier, chacun d’entre nous est destiné à devenir sorcier. Les personnes âgées doivent être des sources d’inspiration pour nous. Elles sont traitées comme des malpropres alors qu’il faut juste comprendre qu’en prenant de l’âge, on perd certaines capacités. Nos grands-parents peuvent avoir des réactions étonnantes ce n’est pas pour autant qu’ils sont sorciers. Toutefois, je ne dirai pas que la sorcellerie n’est pas réelle et que certains d’entre eux ne le sont pas. Je crois qu’ils méritent d’être traités avec délicatesse ». Sorelle Njami estime que ce sont des personnes vulnérables qui ont besoin d’un peu plus d’attention, de soutien et d’amour.

Qui est considéré comme personne âgée ?

La journée mondiale des personnes âgées s’est célébrée le 01 octobre dernier comme tous les ans. Selon l’Organisation mondiale de la santé(Oms), une personne est considérée comme âgée lorsqu’elle amorce l’an 60 de son existence. Cet âge est fixé comme référence pour l’entrée dans la vieillesse. Une estimation de cette organisation montre qu’entre 2015 et 2050, la proportion des 60 ans et plus dans la population mondiale va presque doubler passant de 12% à 22%. D’après les Nations unies, près d’un million de personnes dans le monde traversent chaque mois le seuil de 60 ans. Selon le bureau central du recensement et des études de population (Bucrep) les personnes âgées de 60 ans et plus représentaient 5% de la population totale camerounaise en 2010.

Cécile Ambatinda, 237online.com

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