Cameroun : Le mystère Bema Moulende, une tragédie oubliée qui hante toujours Douala

Bema Moulende

Février 1960, un richissime homme d’affaires froidement assassiné à Manjo

C’est un nom qui ne dit plus grand-chose aux jeunes générations, mais qui résonne encore douloureusement dans la mémoire des anciens de Douala. Bema Moulende, richissime homme d’affaires et pionnier de l’industrie camerounaise, a été sauvagement assassiné en février 1960 dans sa propriété de Manjo, dans le Moungo. Un drame qui, plus de 60 ans après, reste entouré d’un épais mystère, comme le révèle aujourd’hui 237online.com, votre site d’investigation de référence.

De l’ombre à la lumière : Retour sur le parcours d’un visionnaire

Avant d’être une victime, Bema Moulende était surtout un visionnaire. Propriétaire de milliers d’hectares de terres agricoles dans le Moungo, où il avait investi dans l’agriculture et l’élevage avant même la Seconde Guerre mondiale, il était devenu le premier industriel et exportateur camerounais en pleine période coloniale. Un statut exclusif, symbolisé par sa fameuse Plymouth bleue ciel, un luxe inouï à l’époque. Mais aussi de nombreux immeubles dans le centre commercial d’Akwa, cœur battant des affaires à Douala.

Le jour où Douala s’est figée : « Ba bo Bema ! »

Mais ce 3 février 1960, c’est le cri « Ba bo Bema ! » (« On a tué Bema ! ») qui a figé Douala. Bema Moulende, son fils Sam et sa belle-fille, enceinte, venaient d’être sauvagement assassinés à la machette dans leur propriété de Manjo. Une tragédie qui a plongé la ville dans le silence et le chagrin, avant que la colère ne s’empare des rues. À Bali, le quartier de la victime, des violences ont éclaté contre les échoppes des ressortissants de l’Ouest, soupçonnés d’être derrière le crime. Une déflagration de violence inédite dans cette ville paisible.

Piste crapuleuse, mobile politique : Les zones d’ombre du drame

Mais qui a tué Bema Moulende ? C’est la question qui hante encore les mémoires, plus de 60 ans après. Plusieurs pistes ont été évoquées, sans qu’aucune ne soit jamais confirmée. Crime crapuleux de ses ouvriers agricoles, pour la plupart originaires de l’Ouest, qui auraient voulu s’emparer de ses terres ? C’est la version la plus répandue, mais aussi la plus contestée. D’autres évoquent la piste politique, pointant du doigt la jalousie des colons français, qui auraient vu d’un mauvais œil l’émergence de ce puissant entrepreneur africain. Certains vont jusqu’à évoquer l’implication des maquisards de l’ALNK, branche armée de l’UPC…

Entre deux feux : Bema Moulende, victime collatérale des luttes de pouvoir ?

C’est ce que laisse penser un mystérieux communiqué de l’ALNK, publié le 4 février 1960, au lendemain du drame. Selon ce texte signé « Pengoye Leconstant« , « un groupe de tueurs à gages, accompagné d’un soldat Blanc en civil » serait derrière le massacre, que les autorités coloniales auraient ensuite attribué à des « terroristes« . Une théorie du complot qui, si elle est invérifiable, témoigne du climat de suspicion et de violence politique qui régnait dans ce Cameroun à l’aube de l’indépendance. Bema Moulende aurait-il été une victime collatérale de ces luttes de pouvoir ?

Après le meurtre, le dépouillement : La descente aux enfers des Moulende

Toujours est-il qu’après sa mort, c’est une véritable curée qui s’est abattue sur l’empire Moulende. Ses propriétés du Moungo ont été dépouillées, ses biens partagés entre de nouveaux « propriétaires« . À Douala, ses immeubles, cédés pour des baux emphytéotiques, ont été purement et simplement confisqués à l’échéance, les documents ayant mystérieusement disparu. Un acharnement post-mortem qui a plongé les survivants de la famille dans la précarité, sinon la misère.

Le devoir de mémoire : Pour que le Cameroun n’oublie jamais Bema Moulende

Aujourd’hui, rares sont ceux qui se souviennent de Bema Moulende à Douala. Ses filles, Gene et Alice, les dernières gardiennes de sa mémoire, sont âgées et lasses de ressasser ce drame. Mais 237online.com a choisi de raviver cette mémoire, parce que l’histoire de Bema Moulende est celle du Cameroun : celle d’un pionnier visionnaire, fauché en pleine ascension par des forces obscures, et dont l’héritage a été dilapidé.

En retraçant son parcours, en questionnant ce crime non élucidé, c’est un pan occulté de notre histoire que nous voulons mettre en lumière. Parce qu’une nation qui oublie ses héros est condamnée à se perdre. Parce que la vérité, même enfouie sous des décennies de silence, finit toujours par refaire surface.

237online.com s’engage, à travers sa série d’investigations « Saga Sawa« , à honorer la mémoire de ces grandes figures de Douala disparues dans des circonstances troublantes. Car c’est en affrontant les zones d’ombre de notre passé que nous construirons un avenir plus lumineux.

Par Christelle Nana pour 237online.com

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