Cameroun – Georges Endjako Améké« L’acte pris par la Fécafoot est nul et de nul effet »

Georges Endjako Améké

Juriste Internationaliste, médiateur/conciliateur au cabinet CeoG.E.A &Partners consulting, il analyse froidement la décision de la Fédération camerounaise de football de retirer à la Ligue de football professionnel du Cameroun (Lfpc), l’ensemble des compétences déléguées.

La Fecafoot vient de retirer à la Lfpc, le pouvoir d’organiser des compétitions. Peut-on assimiler cela à un acte de guerre ?

Il serait quand même abusif de qualifier cette attitude de la Fécafoot « d’acte de guerre ».On peut plutôt l’assimiler à une tentative de sauvetage qui du moins s’apparente à un acte suicidaire dont la finalité est de défier l’Etat du Cameroun qui a pourtant pris sur lui, de mettre en place un mécanismeconcerté qui permettra aux différents protagonistes d’appliquer de manière diligente la sentence du Tribunal arbitral du sport rendu en faveur de la Lfpc le 14 septembre dernier. En effet, l’acte pris par la Fécafoot le 04 novembre 2020 par lequel elle pense pouvoir retirer à la Ligue de football professionnel l’ensemble des compétences déléguées est nul et de nul effet dans la mesure où la situation que traverse la Lfpc aujourd’hui, ou du moins, la mission d’organiser le championnat professionnel au Cameroun pour le restant de son mandat malheureusement et malencontreusement écourté par la Fécafoot est encadrée par cette sentence du Tas qui a ramené la Lfpc dans une situation ex-ante.
C’est-à-dire au lendemain de l’assemblée générale de la Fécafoot du 18 octobre 2019. C’est donc le lieu d’admettre que ledit mandat est aujourd’hui frappé du seau de l’inviolabilité. Par ailleurs, il faut indiquer que l’exécution de ce mandat par le général Pierre Semengue et son conseil d’administration ne relève ni de la mansuétude, de la magnanimité ou encore moins du bon vouloir de la Fecafoot. Cette situation lui est imposée par la sentence du Tasqui est venue mettre fin au différend qui l’opposait à la Lfpc.

Sur le plan du droit et des missions qui lui sont dévolues, le Comité exécutif a-t-il la légitimité de prendre un tel acte ?

Sur le plan du droit, le Comité exécutif de la Fécafoot aurait pu avoir raison si l’on était en situation normale. Or en l’espèce, nous sommes en situation exceptionnelle et la démarche ici est dictée par la sentence du Tas. La Fécafoot peut garder toutes ses bonnes intentions pour la fin du mandat du général Pierre Semengue. Lorsqu’on a perdu un procès, on se soumet au bon vouloir de la partie gagnante. Tout aménagement de la sentence ne peut être qu’à l’initiative du vainqueur. En sus, cette démarche de la Fécafoot est truffée d’incongruités. Comment comprendre qu’on puisse retirer à quelqu’un des compétences qu’on ne lui a pas ou jamais conféré ? Comment comprendre qu’on estime avoir tout mis en place pour permettre à la Ligue d’achever son mandat en application de ladite sentence alors qu’on a contesté celle-ci devant le tribunal fédéral Suisse ?

Certains estiment que cette décision est un stratagème pour éviter d’appliquer la sentence du Tribunal arbitral du sport. Qu’en pensez-vous ?

Il est quand même difficile de comprendre la démarche de la Fécafoot. Peut-on spontanément appliquer une décision contre laquelle on a exercé un recours ? Assurément Non. Nous faisons face ici à la tactique de la terre brulée. La sentence arbitrale aujourd’hui a acquis l’autorité de la chose jugée et qui est revêtue de la formule exécutoire s’impose ergaomnes et surtout à la Fecafoot partie succombante au procès ce nonobstant ses
bonnes intentions. Par ailleurs, il y a lieu d’indiquer à toutes fins utiles que le recours contre les sentences arbitrales rendues en territoire Suisse est encadré par la Loi fédérale Suisse sur le droit international privé(Ldip)du 18 décembre 1987 révisée le 1er avril 2020. Cette loi indique en effet que la sentence arbitrale est définitive dès sa communication (art 190).Elle ne peut être attaquée que:lorsque l’arbitre unique a été irrégulièrement désigné ou le tribunal arbitral irrégulièrement composé;lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent;lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi ou lorsqu’il a omis de se prononcer sur un des chefs de la demande;lorsque l’égalité des parties ou leur droit d’être entendues en procédure contradictoire n’a pas été respecté;lorsque la sentence est incompatible avec l’ordre public.Le délai de recours court dès la communication de la décision aux parties. De ce qui précède, on peut aisément comprendre que les chances pour que cette décision soit annulée ou reformée sont quasi nulles. Et au-delà de tout ledit appel n’est pas suspensif.

Quelle est selon vous la solution pour sortir le football camerounais de cette crise interminable ?

C’est une question qui me préoccupe au plus haut point. Nous avons déjà dans le cadre des activités du Cabinet que je dirige GEA&Partners Consulting organisé au mois de novembre 2019, un Café juridique ici même à Yaoundé sur le thème fort évocateur du « règlement des litiges d’ordre sportif au Cameroun ». Ce banquet intellectuel a permis aux acteurs pertinents de notre mouvement sportif de questionner en profondeur les causes de cette spirale conflictogène dans laquelle est plongé notre mouvement sportif depuis quelques années. Cette circonstance a également permis aux participants d’émettre quelques recommandations qui pourraient permettre d’inverser cette tendance belliciste et qui de surcroit mettrait un terme à cette chasse aux sorcières permanente. Au nombre des recommandations formulées à cette occasion, on peut citer entre autres : la révision de la loi du 11 juillet 2018 portant organisation et promotion des activités physiques et sportives au Cameroun surtout dans ses dispositions relatives au règlement des conflits d’ordre sportif et aux compétences concédées à la Cca ; œuvrer à ce que le règlement des litiges d’ordre sportifs par la Cca en application du droit ne soit pas facultatif mais impératif ; faire convoquer en urgente des élections à la tête des instances fédérales ; élaborer un statut du dirigeant fédéral ; permettre au régulateur du mouvement sportif qu’est le ministère des Sports et de l’éducation physique à travers la Direction des normes et du suivi d’être proactif.

Quid de la place et du rôle du collège d’arbitres appelé à siéger à la Cca ?

C’est un pan très important. Ce d’autant plus que nous avons fait la suggestion selon laquelle il faut veiller à ce que le collège des arbitres et conciliateurs appelé à siéger à la Cca soit mis en place conformément à l’esprit et à la lettre de la loi du 11 juillet 2018. Tout comme il est d’un impératif de faire délivrer des agréments temporels avec cahier de charge à chacune des fédérations sportives aux fins de restaurer l’autorité de l’Etat, principal garant du service public du sport. Dans le même ordre d’idées, il faut inciter les acteurs du mouvement sportif camerounais à épouser les valeurs du fair-play et à mettre le jeu au centre des priorités ; ordonner aux différentes fédérations sportives d’organiser de manière permanente au profit de leurs membres des sessions de vulgarisation des textes nouvellement adoptés ; inciter les pouvoirs publics et la communauté économique nationale à mettre en place un fonds spécial pour le soutien et le développement du sport au Cameroun ; compte tenu des enjeux et de la difficulté liée au financement du football professionnel, déclarer les activités de la Lfpc d’utilité publique.

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