En raison du blocage des fonds versés par les parents d’élèves dans les comptes du Trésor, les chefs d’établissements publics obligés de recourir à des emprunts pour faire fonctionner les lycées et collèges.
Au cours de la semaine écoulée, le Ministère des Enseignements secondaires, à travers son chef de la division des affaires juridiques, Léopold Djomnang Tchatchouang, a évalué dans les médias publics, les cinq premières semaines du paiement électronique des « contributions exigibles ». D’où il ressort que l’opération se passe plutôt bien avec les quatre opérateurs agréés que sont Campost, Orange Money, Mtn Mobile Money et Express Union. Fin août 2018, le ministère par la même voix, avait annoncé que l’objectif était de contrôler les effectifs et surtout mettre de l’ordre dans la gestion financière chaotique qui avait cours jusqu’ici dans les établissements scolaires. A quel prix cependant ?
Si partout sur l’étendue du territoire, parents et élèves paient effectivement à la satisfaction de l’autorité, aucun chef d’établissement ne peut à l’état actuel dire le nombre exact d’élèves de son établissement qui se sont acquittés des frais de scolarité. « Puisque vous posez la question, je vais moimême la répercuter à la hiérarchie et vous rendre compte », s’excuse un agent de Mtn, chargé de remettre des téléphones aux chefs d’établissements, pour contrôler les paiements. « Pour l’instant, on peut consulter nom par nom pour savoir si un élève a payé mais pour le fichier des solvables de l’établissement, il faut demander son listing ».
Selon plusieurs proviseurs interrogés, le premier listing depuis la rentrée tarde encore à arriver. Ce que ces derniers ne disent pas, par devoir de réserve, c’est que même si les listings étaient disponibles, ils ne serviraient pas à grand chose, en dehors de mettre la pression sur les parents dont certains attendaient les lendemains de l’élection présidentielle pour prendre le risque de payer. Depuis la rentrée, la situation financière des lycées et collèges est alarmante. Si les établissements urbains tiennent encore, grâce aux financements issus de la corruption, l’on est passé ailleurs des accusations de détournements à une sécheresse pécuniaire aussi inattendue qu’insolite.
« Comment peut-on attendre une rentrée sereine des structures qui n’ont aucune source de financement en dehors des contributions exigibles et des
frais d’Apee ? La situation apparemment normale actuellement dans les lycées relève du miracle camerounais, qui consiste à faire marcher des machines moribondes », s’étonne un directeur de collège du Centre, habituellement tenaillé par les dettes. Certains sont en train de financer les dépenses de l’Etat avec des fonds privés. Tout comme nombre de ses homologues ont dû puiser dans les frais d’Apee, malgré l’interdiction d’ « immixtion dans la gestion », pour satisfaire les besoins élémentaires. Du coup, la pression est grande. Les salaires des vacataires ne sont plus sûrs. Les inspecteurs de pédagogie qui travaillent avec les enseignants ces jours-ci, regrettent que la maigre prise en charge souvent octroyée lors des journées pédagogiques ait été suspendue par des proviseurs qui ont peiné à couvrir les évaluations de la première séquence.
Aucun élève assuré
« Malgré cette situation, la hiérarchie continue d’attendre des cotisations. On prend cet argent où ? », s’étonne le proviseur d’un pauvre lycée de l’Ouest (300 élèves), de qui l’on attend 15.000F pour le lancement de la journée nationale de l’orientation scolaire à Bafoussam. Il explique que « les frais d’Apee dépassent déjà les frais de scolarité dans les collèges privés et ça ne va pas ». Mais surtout, en faisant recours aux Apee pour avoir de la craie et du petit matériel, les responsables scolaires ont ainsi modifié leurs projets et leurs programmations budgétaires.
Ici et là, quand ils le pouvaient, des enseignants ont demandé aux élèves de cotiser pour multiplier les épreuves, en parfaite violation des instructions ministérielles; l’on a vu d’autres recopier de longs devoirs remplis de schémas complexes au tableau. Pour se tirer d’affaire, des censeurs ont imprimé les devoirs sur des papiers brouillons, etc. Il faut se demander comment dans ces conditions, les travaux pratiques se déroulent dans l’enseignement technique ou professionnel et les disciplines scientifiques. Quelles sont les acquisitions pour les bibliothèques ou la pharmacie scolaire ? Les syndicats enseignants ont dénoncé cette manière cavalière de faire, sans être écoutés. Or à ce jour, aucun élève n’est assuré.
« On a dit que les frais payés seraient distribués automatiquement dans les rubriques. Qui est l’assureur de ces enfants dont on assurait la protection dès le premier jour de la rentrée ? », regrette un chef d’établissement. Comme ses collègues, il attend le déblocage de l’argent versé au Trésor, malgré les dispositions du décret N°2001/041 sur les attributions des agents financiers. Là aussi, c’est une nébuleuse. « Nous n’avons pas été associés au processus. Je ne sais pas comment ça fonctionne. Si le Ministre donne l’ordre de décaisser l’argent, notre travail sera de le leur donner », commente un receveur des finances, amusé par ce pas improvisé dans le numérique. De nombreux chefs d’établissements publics témoignent qu’il était déjà très difficile par le passé, d’entrer en possession de l’argent qu’ils versaient eux-mêmes au Trésor. La formule chaque fois, c’est « il n’y a pas d’argent ».