Madeleine Memb: Les mutilations génitales se pratiquent partout au Cameroun

Journaliste et consultante en Media Gender, notamment sur l’excision des filles, elle donne des pistes pour endiguer le phénomène.Un problème de santé publique
A une époque, certains pensaient en effet que les mutilations génitales concernent les autres : la partie Septentrionale du pays ou les pays islamiques. C’est à tort. Mais lorsqu’on voit le taux de prévalence [des mutilations génitales] au Cameroun qui est de 1,04% par rapport à des pays de grande prévalence comme Djibouti, l’Erythrée, le Soudan et le Mali avec les 94% minimum, Djibouti va jusqu’au 98% d’ailleurs. Cela signifie systématiquement que là-bas, toutes les femmes sont excisées. Au Cameroun, le fait que ce soit confiné dans deux foyers principaux que sont les deux groupes ethniques dans l’Extrême-Nord et le Sud-Ouest, on a l’impression que le phénomène n’est pas généralisé. Or, il est généralisé parce qu’on la pratique dans toutes les villes avec cette pratique transfrontalière qui veut que les gens se déplacent et vivent où ils ne sont pas originaires. Vous avez certes des Maliens, des Nigériens, des pays où l’excision est pratiquée à une très grande échelle. Or, au quartier briqueterie à Yaoundé, vous retrouvez toutes ces tribus où la pratique de l’excision est très courante.
Comment évaluer l’ampleur de ce phénomène sur la société ou sur la femme ? Il faut dire que puisqu’elle reste une pratique ethnique ou tribale, cela fait que même les femmes qui sont excisées trouvent des partenaires s*e*xuels essentiellement dans leur tribu. La pratique reste à l’intérieur de la tribu, ce n’est ni vu, ni dénoncée, ni critiquée par les autres qui malheureusement ou alors ont très peu de rapports avec les femmes de ces tribus-là. Mais au Cameroun, elle est là. Aucune étude sérieuse n’a pu évaluer l’ampleur réelle, mais la pratique, elle est là et elle affecte les femmes.

Les conséquences sur le plan sanitaire
Les conséquences sont à plusieurs niveaux surtout psychologiques. Sur le plan de la santé, les mutilations génitales sont tout d’abord une mutilation. Cela signifie que c’est une partie du corps qui est amputée et avec plus ou moins de chance de cicatriser ou pas, de bien cicatriser ou non. Déjà, lorsque vous avez une blessure, vous imaginez comment elle cicatrise, elle met beaucoup de temps. Et c’est un endroit qui vous posera toujours des problèmes au niveau de la sensibilité. Dès que l’on posera le doigt dessus ça fera mal et je vous renvoie à vos émotions lorsqu’il s’agit d’un organe s*e*xuel qui est une terminaison nerveuse. Juste pour le toucher, ça crée ce que ça peut créer et il y a des maladies qui se greffent dessus : les chéloïdes. Car souvent il y a des chéloïdes qui poussent à ces endroits. Il y a d’autres formes d’excision appelées les infibulations où tout est coupé, toutes les lèvres sont rasées et le s*e*xe est totalement recousu. On peut seulement laisser une petite voie pour les urines. Cette voie n’est pas naturelle, ce qui fait que les dépôts des urines restent et s’infectent. Cela rend difficile la vie s*e*xuelle des femmes. Sur le plan traumatique, au niveau psychologique, nous avons rencontré des victimes qui sont sensibles à fleur de peau ; c’est-à-dire que dès qu’elle voit un homme, elle a peur parce qu’elle revit la difficulté de l’acte s*e*xuel.
Elles sont excisées et vont assez tôt en mariage. Une victime nous a parlé de sa nuit de noces mais je vous assure que ce n’était pas bon à écouter. Elle décrivait qu’elle est entrée dans sa chambre pour la nuit de noces et le bonhomme ne pouvait pas trouver le passage. Immédiatement, il a du user d’un couteau pour rouvrir. Ceux qui ne sont pas courageux pour rouvrir et passer en force renvoient le lendemain les filles chez leurs mamans. Elles appellent immédiatement ceux qui rasent partout dans les rues, soit une exciseuse pour venir rouvrir là où c’était fermé.

Sur les préjugés
Il y a beaucoup de discours de diversion. C’est vrai qu’au départ l’une des raisons que les hommes donnent à l’excision c’est que c’est pour empêcher que la femme divague s*e*xuellement. Parce que le clit*oris étant coupé, elle n’a plus cette boulimie s*e*xuelle et qu’elle peut rester longtemps sans vouloir être excitée avec n’importe qui et n’attendre que son mari. Cela c’était aux origines en Egypte, quand les hommes allaient en guerre. Maintenant, certaines femmes qui sont excisées disent que cet appétit s*e*xuel n’est pas parti, elles font l’amour avec qui elles veulent, quand elles veulent. Deuxièmement, certaines se prostituent avec un s*e*xe mutilé. Ce qui signifie qu’elles ont bien cicatrisées. Est-ce qu’elles ont bien cicatrisé à tous les niveaux, psychologiques et physiologiquement ? Est-ce que le commerce du s*e*xe a à y voir ? Je ne pense pas, ce n’est pas en excisant les filles que ça limite le vagabondage s*e*xuel, leur libido. Limiter leur libido dans le sens que certaines ont peur de la souffrance parce qu’elles sont mal cicatrisées. Qui exposerait une plaie à un autre traumatisme ? La première des choses c’est que ça fait peur. L’autre conséquence est sur le plan des accouchements car la voie est rétrécie. Les filles mutilées passent systématiquement par les césariennes parce que la tête du bébé ne peut pas passer. Cela réduit le nombre de naissances. Imaginez une femme qui non seulement est très jeune a un bassin est rétréci, la souffrance est pour les deux : le bébé et la maman. C’est le traumatisme pour les deux. D’où la lutte que nous menons non seulement pour que cela s’arrête et qu’on puisse laisser les femmes dans leur intégrité physique.

L’espoir par la criminalisation
Nous avons observé un plan de sensibilisation qui est plus ou moins routinier. Cela signifie qu’on va regrouper les exciseuses et leur dire d’arrêter. Les Organisations non gouvernementales le font de manière permanente sur le terrain. Les services publics eux le font de manière ponctuelle. La plupart des démarches n’a jamais aboutit à une véritable volonté de l’Etat qui devrait intégrer la criminalisation dans le code de procédure pénale qui vient d’être revu et corrigé. Un article souligne des peines d’emprisonnement, «celui qui mutile». Ce n’est pas assez explicite pour que tout contrevenant s’expose à des poursuites judiciaires. Cela permettra surtout de contourner la duplicité des parents qui disent arrêter, mais qui discrètement continuent à le faire à leurs filles. Pour l’instant, nous n’avons aucune statistique pour mesurer l’ampleur du phénomène. Mais le travail de terrain nous pousse à déceler dans ce phénomène, un motif de trafic d’organes.

Circoncision et excision
On circoncit l’homme en Afrique pour le rendre plus puissant, plus propre. Cela barre même la voie à certaines maladies. La circoncision valorise l’homme, renforce sa virilité. Ce qui est le contraire de l’excision qui humilie la femme. C’est pour qu’elle n’ait aucune velléité, une perte de sa féminité. Il existe un plaidoyer fort sur ce phénomène avec un accent sur la criminalisation. Il faut que l’Etat intervienne sur le plan ethnoculturel. Que les communautés qui pratiquent l’excision s’ouvrent à la négociation. Et même, je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi on devrait négocier avec quelqu’un qui ampute un individu, dans un contexte global du respect des droits de l’Homme. Généralement, les exciseurs profitent des vacances scolaires. La jeune fille a le temps de cicatriser. Très souvent, il n’y a pas de conditions d’hygiène. Et désormais, ils contournent le problème en faisant exciser des filles avec la collaboration des infirmiers dans nos hôpitaux…C’est un réseau bien rodé, bien huilé. Il y a des femmes dans le sud-ouest qui sont bannies de leur tribu, maudites, parce qu’elles s’astreignent à cette pratique. Qui n’a pas besoin d’affection familiale ? C’est d’une violence inouïe ! Et parfois, les fistules obstétricales s’y ajoutent.

Le rôle des médias
Nous voulons travailler sur cet aspect parce que le sujet est complexe. Malgré l’intérêt des hommes de médias, il leur manque souvent les éléments d’analyse et de compréhension. Nous voulons travailler à la formation des journalistes. Car il faut que les populations soient éveillées pour dénoncer cette pratique et ses acteurs. Un contrôle social peut endiguer le phénomène.

Propos recueillis par Monique Ngo Mayag

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