Ingénieur architecte, le président de l’Ordre national des architectes du Cameroun sensibilise les maîtres d’ouvrages sur les bonnes pratiques, décrypte les manquements à l’origine des écroulements d’immeubles et explique les ressorts de la formation en grand nombre des architectes. Entretien.
Une image des prestations de l’architecte jugées inaccessibles et hors de portée du citoyen moyen est véhiculée au sein de l’opinion, traduit-elle la réalité ?
Je vais droit au but en répondant à votre question à savoir l’accessibilité de nos prestations, en fait vous savez, l’architecture n’est pas un métier réellement connu par la population et les citoyens, il faut une certaine éducation pour qu’on puisse comprendre ce métier : l’architecture est une profession où on passe cinq à huit années après le baccalauréat. L’architecte et l’architecture sont faits pour tous les citoyens quel que soit le niveau de vie, il faut enlever de la tête que l’architecture est métier réservé, ce n’est pas uniquement pour les riches. Savez-vous que pour modifier votre façade afin qu’elle soit conforme aux normes d’urbanisme, vous devez demander les services d’un architecte ou d’un urbaniste pour que la mairie puisse confirmer ce que vous faites afin d’avoir une ville décente. De même, pour modifier le confort de votre maison, vous ferez mieux de faire appel à un architecte parce que la ventilation par exemple d’une maison ne se fait pas n’importe comment et n’importe qui ne peut le faire, s’il ne maitrise le principe latéral de la ventilation. Vous êtes dans une maison ou il fait très chaud, si vous prenez un architecte, il vous dira qu’il y a un courant d’air qui devrait aller de ce sens à l’autre et vous-vous sentirez comme dans une maison climatisée, nous répondons à toutes les questions dans l’habitat et c’est un service accessible.
Dans l’actualité récente, au cours de son Assemblée générale, dimanche 28 septembre dernier, l’Ordre national des architectes du Cameroun (Onac) a sorti une promotion de 100 architectes. Quel en est le sens et quelles attentes placez-vous en cette nouvelle cuvée ?
Je ne sais pas si nous devons parler de sens, pour la sortie des architectes, car nous ne formons pas les architectes mais nous les intégrons au sein de la corporation pour exercer. La Loi de 1990 prescrit comme toutes les lois qui régissent les professions libérales, que pour exercer au Cameroun en tant qu’architecte, il faut être inscrit au tableau de l’Ordre et il faut avoir un diplôme reconnu par les instances institutionnelles telles que le ministère de l’Enseignement supérieur. Beaucoup de jeunes qui sortent des écoles en Europe, en Afrique, au Cameroun qui sont titulaires de ce diplôme ne peuvent pas exercer, car pour exercer, il faut encore passer deux années de stage dans un cabinet agréé par l’Ordre et vous serez habilité à exercer. S’il y a beaucoup d’architecte actuellement inscrits c’est grâce aux écoles créées au Cameroun par le Président de la République, Paul Biya. Les architectes se forment depuis lors en grand nombre. Il y a une dizaine d’années encore, on ne formait pas les architectes au Cameroun, on les formait en Europe, aux Etats-Unis mais aussi en Afrique, plus précisément au Togo et à l’Ecole africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (Eamau), le Cameroun faisant partie. Donc nous avons beaucoup de jeunes, il faut les insérer et notre rôle en tant qu’ainés est de les encourager et leur faire des stages continus. Lorsqu’ils ont atteint un certain niveau, on les inscrit dans l’Ordre. Voilà pourquoi depuis quelques années nous voyons beaucoup d’architectes et la majorité sort des écoles camerounaises.
L’architecte, comme on le sait est un corps de métier qui contribue à l’embellissent de nos villes et l’amélioration du cadre de vie des populations urbaines. Quelles évaluations faites-vous de cette mission aujourd’hui au Cameroun ?
Comme je disais à quelqu’un, évaluer l’architecture au Cameroun c’est aller vite en besogne. Le Cameroun est un pays jeune même comme on a des édifices qui datent de l’époque coloniale, c’est le patrimoine. Mais je peux dire que je suis satisfait. Parce que nous avons un long chemin à parcourir, nous avons vraiment besoin de beaucoup d’architectes dans notre corporation qui puissent exercer légalement. Car nous luttons contre l’exercice illégal de la profession.
Le drame des immeubles qui s’écroulent avec des bilans lourds rentre malheureusement dans la chronique des faits divers au Cameroun, quel est le diagnostic de l’Ordre, le plan d’attaque de ce fléau et le bilan qu’on peut en faire ?
Les écroulements des maisons sont déplorables et ce n’est pas seulement l’Ordre des architectes qui veille à cela, nous avons aussi les ingénieurs, les électriciens, tous concourent à la stabilité d’une maison. Quand une maison prend feu, c’est soit à cause d’un circuit électrique qui n’était pas bon. Quand une maison s’écroule, c’est soit la mauvaise mise en œuvre des matériaux, la mauvaise qualité des matériaux, et comme l’architecte est le maitre-d ’œuvre, il coiffe tout cela. L’architecte n’est pas ingénieur, ni électricien, mais il est au sommet, il doit voir tout cela et faire respecter la norme. Voilà pourquoi, si le diagnostic de toutes ces maisons qui s’écroulent était bien fait, on découvrirait qu’il y a eu des manquements. Notamment l’absence d’ingénieur géotechnicien, qui doit dire à quelle profondeur il faut encrer la maison. Vous voyez que tout cela doit être respecté. Si on n’a pas respecté l’un de ces modules, soyez en sûr, il y aura les catastrophes.
Où en êtes-vous avec les chantiers prioritaires déclinés au moment de votre réélection en 2020 : la mutuelle, le syndicat et aussi la mise sur pied du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, pour participer à la décentralisation de toutes les mairies du Cameroun ?
Merci pour cette question. Vous savez, on peut faire des projections qu’on ne réalise pas mais je suis satisfait de mes projections, je commencerai par la mutuelle. Pour faire une mutuelle, il faut beaucoup d’argent et l’actualité de l’année passée nous a montré qu’il fallait absolument penser à cela. Nous avons eu environ cinq à dix architectes qui sont décédés. Alors comment répondre à ces problèmes ? Comment aider les familles ? Comment anticiper ? Nous faisions de petites mains levées, les cotisations… C’était insuffisant, alors nous sommes en train de mettre en œuvre des assurances maladies, des assurances vies, funéraires, pour prévenir ces différentes catastrophes. Nous sommes actuellement à l’œuvre avec deux grandes assurances du Cameroun qui, d’ici l’an prochain, vont nous assurer. Je l’ai demandé aux architectes lors de la dernière assemblée, une des résolutions allant dans ce sens a été qu’on contracte ces assurances par appel d’offres. Beaucoup d’assurances ont soumissionné et on en a choisi deux, je pense que d’ici l’an prochain, ces problèmes d’assurances qui sont parallèles à la mutuelle vont voir le jour.
Pour le Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, nous venons d’avoir une réunion inter- ministérielle où on nous a conviés et nous avons fait des propositions au ministère de l’Habitat et du Développement urbain car il s’agit en fait de la politique nationale urbaine. Etant dans le contexte de la décentralisation, nous avons proposé que l’Ordre puisse avoir un rôle de conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement dans les mairies. Déjà, nous participons aux commissions des permis de construire, je viens d’avoir une demande de la mairie de ville de Yaoundé, où on me demande un représentant dans cette commission. A Douala, nous en avons. A Bafoussam, j’ai écrit au maire, j’ai fait beaucoup de visites dans les mairies à Maroua, Kribi…
Je remercie le Premier ministre qui m’a accordé une audience l’année dernière, pour parler de la catégorisation des entreprises et les cabinets d’architectes étant des entreprises, un arrêté est sorti dans ce sens, pour la catégorisation des architectes. Et cela participe de cette politique d’urbanisation où les architectes jouent un grand rôle dans la construction de nos cités et nos campagnes. Quant au Syndicat, ce domaine n’est pas très facile. Je n’ai pas encore lancé ce projet, mais j’y tiens.
Pour finir, monsieur le président de l’Ordre national des architectes du Cameroun, que retenir de la dernière Assemblée générale de l’Onac ?
A la dernière Assemblée générale il y a eu une innovation, compte tenu des incendies récurrents dans les marchés, nous avons invité trois spécialistes notamment un colonel des sapeurs-pompiers qui a parlé largement des incendies. J’invite les maitres d’ouvrages à mettre l’accent sur la sécurité quand on leur confie un projet. Nous avons aussi parlé du code de déontologie et j’interpelle mes confrères au respect de ce code de déontologie. Et nous avons aussi parlé de l’apport des architectes dans le tourisme pour le développement du pays. Le Professeur émérite de l’Université catholique, Michel Kouam a qualifié les architectes de demi-dieu, car créateurs de l’environnement.