La rentrée scolaire 2021-2022 aura marqué une étape dans les trois longues décennies d’agonie pour l’Education nationale au Cameroun. 2022-2023 inaugure un nouveau cycle caractérisé par des problèmes d’une ampleur inégalée dans l’histoire de l’éducation dans notre pays.
Lorsque le Président Paul Biya annonça dans les années 1990 le recours au FMI dans le cadre d’un Programme d’Ajustement Structurel (PAS), nombreux étaient ceux-là qui avaient vu dans une telle politique d’austérité, un recul des acquis sociaux notamment dans le secteur de l’éducation. En effet, durant cette sombre période de trente ans, l’école camerounaise n’a pas fini sa descente aux enfers. Le récent préavis de grève signé de trois organisations des enseignants dont le fameux OTS qui a donné des insomnies aux pouvoirs publics durant l’années scolaire 2021-2022, est venu rappelé de façon brutale à la communauté éducative en général et aux gouvernants en particulier que très peu a été fait entre le mois de mars et d’août 2022 pour rendre les conditions de vie et de travail des chevaliers de la craie plus humaines. Certes, le gouvernement à travers son porte-parole s’en défend à travers la « Communication gouvernementale » tenue le 30 août 2022. Monsieur René Emmanuel SADI qu’entouraient pour la circonstance les Ministres sectoriels concernés a d’emblée posé comme postulat que « c’est à travers l’école que se construit l’avenir d’un peuple(…) Fort de cet impératif, le Cameroun a pris toute la mesure de l’importance de l’éducation de sa jeunesse, faisant ainsi de la formation des jeunes, l’une des priorités de premier plan de ses politiques publiques ».
Les faits sont têtus !
Malgré ces déclarations de principe et le chapelet de chiffres égrenés en termes d’infrastructures pédagogiques aussi bien dans l’Education de Base qu’aux Enseignements Secondaires, il demeure constant que l’Education nationale au Cameroun est un grand corps malade. Outre les mauvaises conditions de vie et de travail évoquées plus haut et sur lesquels les syndicats ont apporté force détails illustratifs, il y a lieu de souligner à grands traits que le financement de l’école au Cameroun reste très en deçà des standards internationaux comme le reconnait le gouvernement lui-même : en 2022, « 643,9 milliards ont été consacrés aux secteurs de l’éducation de base et des enseignements secondaires, sur une enveloppe nationale initiale de chiffrée à 5 752,4 milliards de FCFA, soit 11,19% de la masse budgétaire destinée aux deux secteurs éducatifs ». Ce que le Ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement omet volontairement de dire c’est que le Partenariat Mondial pour l’Education qui encadre les engagements des Etats fixe à 6% du PIB ou 20% des dépenses courantes des Etats, les ressources à allouer à l’éducation. Le Cameroun est à 11,19% de son budget 2022 soit un gap de 08,81%. Ce déficit dans le financement de l’éducation a un impact sur tous les aspects de la vie scolaire : investissements, fonctionnement, achat et maintenance des équipements, traitement des personnels et prise en compte de leurs droits sociaux, etc.
Parents vaches à traire
A l’évidence, pendant que les ressources de l’Etat sont inversement proportionnelles aux besoins en éducation et que l’offre décroit, il faut bien que quelqu’un paye à sa place. La vache-à-lait toute trouvée c’est bien en toute logique le parent, condamné à se substituer à l’Etat pour financer l’éducation de sa progéniture. L’Etat a ainsi transféré ses compétences aux associations de parents d’élèves et d’enseignants (APEE). En effet, selon des statistiques officielles rendues publiques par le MINESEC au cours sa réunion d’évaluation du processus de digitalisation du paiement des frais exigibles et des examens et concours officiels tenue à Douala au courant du mois d’octobre 2021, les montants cumulés des frais exigibles sur les années scolaires 2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021 se chiffrent à FCFA 48 232 538 323 payés par un total de 3 372 472 élèves. Parallèlement, les mêmes élèves ont payé dans les APEE (y compris les frais informatiques) des contributions s’élevant à environ FCFA 84 311 800 000 estimés sur la base d’un taux officiel moyen de 25000 FCFA par élève. A ces frais exigibles et d’APEE, il faut ajouter les frais de carnets médicaux (1000frs/élèves/an), soit un total de FCFA 3 372 472 000 qui ne sont comptabilisés nulle part. Les frais payés par les parents d’élèves sur la période s’élèvent donc à FCFA 135 916 810 323 en 3 ans seulement, compte non tenu des frais d’examens et concours officiels versés par les mêmes contributeurs !
Le dernier clou sur le cercueil de l’école camerounaise a été enfoncé par les Ministres de l’Enseignement Supérieur (MINESUP) et de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative (MINFOPRA) le 19 mai 2022 à travers une correspondance adressée au Premier Ministre, Chef du Gouvernement dans laquelle ils proposent de « séparer dès l’année 2023, les fonctions de formation de celles d’intégration à la fonction publique ; ce qui induit que le MINESUP continuera d’organiser les concours d’entrée dans les ENS et les ENSET, tandis que le MINFOPRA procèdera à l’organisation des concours directs pour l’intégration des lauréats des ENS et des ENSET dans la fonction publique de l’Etat, en tenant compte des besoins exprimés par le MINESEC ainsi que des disponibilités budgétaires ». Curieuse proposition dans un secteur où les besoins vont croissant tel que nous le démontrons dans la lettre adressée au Premier Ministre le 10 juin 2022 par EduCare.
En effet, sur les deux dernières années (2016-2017 et 2017-2018), nous y relevons que la population scolarisée dans le secondaire est passée de 1 298 112 élèves à 1 354 945 et les effectifs des enseignants quant à eux de 65 254 personnels à 72 614, soit un accroissement en valeur absolue respectivement de 56 833 élèves et de 7360 enseignants. En dépit d’ailleurs de cette augmentation du nombre d’enseignants d’une année à l’autre, le déficit en personnel enseignant reste chronique avec de grandes disparités sur le plan géographique et d’un établissement scolaire à l’autre. En effet, selon l’Annuaire statistique du MINESEC, pour l’année scolaire 2019-2020, l’effectif des enseignants vacataires et « vacataires fonctionnaires » au sein des établissements secondaires publics et des écoles normales d’instituteurs était de 7768 pour un total de 75 258 enseignants soit un pourcentage de vacataires de 10.32%.
Augustin Ntchamande
Analyste des politiques éducatives
Secrétaire Exécutif ONAPED
Chef de file EduCare