Le Cameroun dans l’étau de l’effondrement des maisons

Un immeuble en construction s'ecroule

Les mauvaises constructions, l’inexpérience des maçons, la corruption à l’origine de ce phénomène qui s’est généralisé et qui tue au quotidien des citoyens.. Reportage.

Les populations de Douala Bar du quartier Akwa à Douala ne se sont pas encore remises de la peur qu’a entraînée la chute de l’échafaudage d’un immeuble de cinq niveaux dans leur quartier très tôt le 14 juillet 2021. Tout en remerciant le bon Dieu qui a limité au maximum les dégâts causés par cet accident, ces derniers se souviennent de ce drame comme si c’était hier. J’étais là debout et je causais avec un ami. Et je lui faisais comprendre que les ouvriers de ce chantier travaillaient sur un échafaudage qui peut tomber d’un moment à l’autre. À peine trente minute, j’ai été surpris par un bruit assourdissant c’est l’échafaudage qui était tombé. J’ai tout simplement couru vers ce chantier avec les conducteurs de moto et le voisinage pour secourir ces ouvriers dans les décombres. On a réussi à sauver plusieurs d’entre eux. Mais, il faut dire que le choc était violent. Certains d’entre eux avaient la mâchoire entièrement broyée, d’autres des fractures», commente Ayoba Joseph Merlin, agent de sécurité en service dans une entreprise à Douala Bar. «Les employés en service dans ce chantier ne portaient pas les équipements de protection individuelle. Pas de gang, ni casques ou chasubles. Le travail était traditionnel. Une chose qui a contribué à la construction involontaire de ce drame», dénonce Rodrigue un riverain choque.

Ce 14 juillet 2021, il était environ 8h30 mn quand le drame s’est produit. Selon des informations puisées à bonnes sources, les ouvriers ayant la charge de la construction de cet immeuble R+5 étaient en service sur le site quand l’irréparable s’est produit. L’échafaudage déjà brinquebalant s’est affaissé et a enseveli plusieurs d’entre eux. C’est l’intervention rapide des riverains témoins de cette catastrophe qui a permis de les sauver. Les victimes, ont rapidement été conduites au service d’urgence de l’hôpital Laquintinie de Douala ou la prise en charge a été immédiate.

Si on dénombre au chapitre des bilans un mort et plus de 25 blessés donc 7 cas critiques, il faut dire que les ouvriers du quartier Akwa ont été protégés par Dieu. Car, à Foumban chef-lieu du département du Noun, les habitants d’une maison d’habitation n’ont pas eu la même chance. Trois d’entre eux ont été tués lors de l’effondrement de l’immeuble dans lequel ils vivaient. Ce sont les corps inanimés qui ont été sortis des décombres par les riverains alertés par le bruit assourdissant de cet effondrement. L’incident est survenu dans la nuit de samedi à dimanche.

Situation similaire au quartier Nsimeyong à Yaoundé en Janvier 2020. L’effondrement d’un immeuble a entraîné la mort de quatre personnes et causé des blessures graves à douze autres. C’est l’intervention rapide des riverains et de l’équipe des sapeurs-pompiers qui a permis de limiter les dégâts. Car, l’immeuble s’est effondré au moment où ces personnes étaient à la maison

Non-respect de la norme

En effet, l’effondrement des immeubles est devenu légion au Cameroun. Car, cela arrive presque tout le temps et fait peur aux habitants et précisément à ceux dont les habitations sont proches des immeubles. «Depuis que les maisons tombent à Douala j’ai peur. Notre maison est proche d’un immeuble de cinq niveaux à Logbessou, je prie Dieu en dormant chaque jour que ce bâtiment ne tombe pas», déclare Tatiana Mandjou, étudiante à l’université de Douala.

D’après celle qui pointe un doigt accusateur vers les responsables de la Communauté urbaine de Douala et des différentes mairies de la ville chargés de contrôler et de réguler la construction des bâtiments dans la ville de Douala, ceux-ci ne font pas leur travail. «Ils se contentent plus de se laisser corrompre que de veiller aux respect des normes de construction dans la ville », affirme celle qui souhaite que ce comportement-là cesse.

À côté de la corruption et le non-respect des normes de construction évoquées, les propriétaires de ces immeubles ne sont pas irréprochables. «C’est la cupidité qui les tue. Parce qu’ils veulent faire des économies, ils ne recrutent pas des maçons professionnels et voilà ce que ça donne», affirme tout colérique Jean Paul dans un commentaire sur la toile. Il titille aussi les maçons principaux responsables du mauvais travail fait. «Parfois ils ne connaissent rien et ne sont même pas formés mais usurpent le titre d’ingénieur pour avoir de l’argent», ajoute-t-il. «C’est souvent le béton qui est mal dosé. Vous voyez souvent des maisons à peine finies avec des fissures sur le mur. Les maçons tournent souvent mal le mortier. Ils font l’économie du matériel et les conséquences sont ce que nous décrions. Il faut un minimum de conscience professionnelle dans le métier du bâtiment», conseille un architecte lui aussi dépassé par la vitesse avec laquelle les immeubles s’écroulent au Cameroun. Il invite cependant tous les acteurs de la chaîne de construction des immeubles à se mettre ensemble pour lutter contre le fléau. Car, l’heure est grave.

Mauvaise qualité du matériel

Selon des experts en bâtiment qui regrettent eux aussi le phénomène récurrent, les effondrements d’immeubles remettent également en cause la mauvaise qualité des matériaux de construction utilisés. Ces derniers pointent un doigt accusateur vers les fers à béton. «Les normes de fer à béton pourtant d’application obligatoire ne sont pas encore respectées. Sur le marché camerounais, les importateurs et les producteurs nationaux contournent la loi. Ils mettent à la disposition des consommateurs des fers de 6.5 en lieu et place de ceux de 8, les fers de 8’5 sont passés pour ceux de 10 et les fers de 5.5 pour ceux de 6», explique Fabien Mballa ingénieur des travaux publics dans les colonnes du site d’information Journal du Cameroun.

Celui-ci dénonce également l’inefficacité des structures ministérielles chargées du contrôle de la conformité et davantage leurs descentes inopinées. «Le contrôle de conformité ne sera efficace que s’il est fait prioritairement en amont c’est-à-dire dès l’usine pour la fabrication locale. Depuis 2007, les normes NC 236 ; 2007-07 régissent clairement la longueur nominale des barres de fer», précise-t-il.

Les permis de bâtir fantaisistes

Dans cette chaîne de responsabilité, la délivrance des permis de construire fantaisistes n’est pas épargnée. Les communautés urbaines qui délivrent ces permis de bâtir sont accusées de ne pas bien faire leur travail. Selon des informations, ils délivrent le document sans s’assurer que les constructions respectent les normes requises en la matière. «On a également l’impression que les maires des villes font du deux poids deux mesures. Dans la région du Littoral par exemple, on laisse certains poursuivre des chantiers sans se conformer à la réglementation en vigueur pendant ce temps certains chantiers sont arrêtés. En plus on a l’impression dans l’ensemble que c’est l’argent qui les intéresse. Dès que tu leur donnes l’argent, la croix de Saint André qu’on a mise sur ton mur est effacée. C’est la corruption qui nous tue», déclare Thècle Anastasie Kouga, une habitante de la ville de Douala.

Pour sortir de cette crise, la solution est simple pense cet ingénieur. «En principe, avant de délivrer un permis de bâtir, on devrait se rassurer qu’un ingénieur génie civil a certifié les plans ainsi que les notes de calcul. Quand je parle de notes de calcul, je fais allusion au calcul des ferraillages, au calcul du posage de ciment. Il faut également examiner la qualité des agrégats, c’est-à-dire la qualité de ciment, la qualité du sable parce qu’il y a des sables contenant de la rouille. Il faut tenir compte de tout cela avant de construire. Sinon, si c’est le maçon qui vient faire le mauvais dosage en faisant des économies de sable ou de ciment. C’est une chaîne d’erreurs qui se crée. Le plus souvent, les constructeurs de ces immeubles ne prêtent pas attention à ces détails. Et l’immeuble s’écroule», explique-t-il

À côté du respect des normes en matière de construction des bâtiments, Thomas Wando, enseignant au lycée Polyvalent de Bonaberi, pense qu’il faut mettre un accent sur le contrôle et le suivi des travaux pour sortir de la crise des effondrements des immeubles. «C’est là que tout se joue. Le contrôleur du chantier doit s’assurer que le diamètre du fer utilisé est bien celui figurant sur le plan approuvé, et surtout la position de ce fer dans le béton, ensuite le respect du dosage et la technique de mise en œuvre. Donc on peut avoir un bon plan fait par un architecte et un plan d’exécution calculé par un très bon ingénieur et la maison s’écroule toujours, si personne ne vérifie que la mise en œuvre est bien conforme à ces plans .Donc la solution est le suivit quotidien de la mise en œuvre».

Hervé Villard Njiele

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