Hommage aux héros: le pouvoir préfère immortaliser les colons

Pour la 3eme fois, l’activiste camerounais André Blaise Essama est retourné dans la prison de New-Bell à Douala depuis le 23 avril 2019.

Cette fois il est soupçonné de ne pas être étranger à la disparition de la tête de la statue du Général Leclerc érigée devant la poste centrale du quartier administratif Bonanjo. Cette statue avait été retrouvée sans sa tête le 22 avril 2019, et les soupçons des forces de sécurité se sont portés sur l’activiste nationaliste, simplement parce que par le passé il s’est déjà attaqué à cet ouvrage, ce qui lui avait valu 6 mois d’emprisonnement en 2016.

André Blaise Essama a en effet toujours protesté contre le fait que les statues des colons soient érigées à des endroits publics au Cameroun, alors que les nationalistes qui ont lutté pour l’indépendance sont complètement ignorés. Bref, il ne comprend pas pourquoi sur la place du Gouvernement de la ville de Douala, porte d’entrée du Cameroun il doit avoir la statue d’un colon français alors qu’il n’existe pas celle d’un Abel Kingue par exemple. Et face aux idéaux de cet activiste, la détermination du pouvoir à protéger cette statue amène à se demander ce que l’homme immortalisé représente pour le Cameroun, et ce qu’il a fait de si grand pour le pays pour mériter de se dresser sur l’une des plus importantes places publiques.

Leclerc, usurpateur de titre de colonel

De son vrai nom Philippe François Marie de Hauteclocque, Leclerc est né le 22 novembre 1902 en France. Son œuvre au Cameroun, qui n’a rien d’honorable pour le pays, est racontée avec force détail dans le livre intitulé Histoire du Cameroun, Tome 1, d’Enoh Meyomesse. Philippe de Hauteclocque, avait quitté Londres le 6 août 1940, avec pour mission de trouver en Afrique du soutien pour le Général de Gaulle contraint d’abandonner son pays face à l’invasion des Allemands pour se réfugier dans la capitale anglaise.

Il arrive à Lagos le 12 août. Où il tombe par hasard sur le consul britannique à Douala, qui se trouvait en déplacement à Lagos. Ce dernier lui fournit au cours de leur entretien le 13 août 1940 de précieux renseignements sur la situation au Cameroun. Il l’informe notamment du désir pressent et manifeste des réfugiés allemands en Guinée espagnole voisin de reconquérir le Cameroun. Le territoire camerounais étant sous mandat de la Société des Nations, SDN, et en même temps un ancien protectorat allemand, celui-ci peut rapidement et à tout moment se retrouver soustrait à l’autorité française. Il faut donc impérativement agir pour prévenir cela. Leclerc charge Boislambert d’une mission d’éclaireur à Victoria, actuel Limbé, afin d’effectuer une reconnaissance de la frontière, du Mungo, de l’estuaire du Wouri, et ce dernier revient avec des informations rassurantes.

Soumettre l’autorité

Le 25 août 1940, Leclerc débarque à Victoria avec son équipe et continue le lendemain vers Tiko où il fait la connaissance d’autres Français en provenance de Douala. Parmi eux, il y a un plus gradé que lui, et il se confectionne sur place des galons et s’auto-proclame colonel, pour se placer au-dessus du Français qui commande les forces de police à Douala, un nommé Bureau, qui pour sa part est lieutenant-colonel. De Tiko, l’équipe de Leclerc rencontre des piroguiers Malimba qui acceptent de les conduire à Douala où une fois arrivée dans la nuit, elle se dirige vers l’église du centenaire, d’où elle rejoint le domicile du capitaine Dr Mauzé. Ce dernier fait venir d’autres Français pro De Gaulle et tous se lancent à la conquête de la ville. Le capitaine Dio et ses hommes s’occupent de tous les points stratégiques; le lieutenant Quilichini se charge de la gendarmerie ; le capitaine-médecin Laquintinie se charge d’arrêter tous les antis-De Gaulle de Douala ; l’imprimeur Lalanne est réveillé et il lui est intimé l’ordre d’imprimer de toute urgence des affiches à placarder dans toute la ville avant le lever du jour. Le texte des affiches est composé par un certain Van de Lanoitte, rédacteur de l’Eveil du Cameroun, un périodique colonial.

Dictature

Le texte proclame l’indépendance du Cameroun et son adhésion au gouvernement de De Gaulle. Un extrait dit : « Tous les fonctionnaires ou agents des services civils ou administratifs sont tenus de rester à leurs postes. Toute communication téléphonique ou télégraphique est suspendue. Toute circulation de véhicules automobiles privés est interdite dans la ville de Douala, sauf aux services médicaux ou après obtention d’un laissez-passer. Toute tentative de révolte ou de provocation au désordre sera réprimée avec la plus grande sévérité.» Au petit matin, les habitants découvrent éberlués les affiches apposées par les amis du colonel Leclerc tout au long de la nuit, et redoutent une riposte des Allemands qui, postés tout juste au large de Douala dans l’île de Fernando Poo, actuelle partie insulaire de la République de Guinée Equatoriale.

Au cours de cette journée, personne n’ose mettre son pied dehors. Leclerc en profite pour entreprendre d’asseoir son pouvoir. Il convoque, les chefs supérieurs au palais du gouvernement à Bonanjo : Paraiso, Bell, Betote Akwa, Tokoto Rodolphe, Ebongue, Marc Etendé, etc. Paul Soppo Priso pour sa part est convoqué en sa qualité de président de la Jeucafra. Dans le même temps, tous les habitants des quartiers indigènes sont ameutés, dirigés de force vers Bonanjo où ils sont regroupés sur la place de la poste.

Esclavagisme

Au bout d’une longue attente, quelques Noirs, les « élites » de l’époque, sont alignés près des Blancs et Leclerc apparait ovationné. Après une brève allocution, un tonnerre d’applaudissements se déclenche. Les Blancs applaudissent, et les Noirs les imitent pendant qu’ils quittent les lieux. Dans la même journée, il publie une déclaration à l’attention des chefs d’unités administratives et des chefs traditionnels, et plus tard un autre à l’attention du grand public, et en adresse une copie à Charles de Gaulle à Londres sous forme de télégramme de victoire. Le 3 septembre 1940, il décide par ordonnance que les « miliciens », nom attribué aux militaires « indigènes », deviennent des « Tirailleurs de l’armée coloniale », et l’appellation « Forces de police », est supprimée.

Après avoir créé Radio-Douala, il crée de manière provisoire, le 20 septembre 1940, Radio-Yaoundé. Celle-ci se met à émettre pendant 30 minutes, à savoir de 12 h à 12 h 30, tout juste le temps de propager quotidiennement sa propagande. Enfin, une des décisions importantes prises par Leclerc au Cameroun, a été le transfert de la capitale du Cameroun de la ville de Yaoundé à celle de Douala. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que Yaoundé récupère son statut de siège des institutions. Leclerc mourra à 45 ans lors d’une mission d’inspection militaire le 28 novembre 1947 dans un accident d’avion, après avoir été élevé au rang de général d’armée un an plutôt.

Voilà l’histoire de Leclerc. A chacun d’apprécier si la ville de Douala mérite d’être surplombée par son image. Mais en attendant, nous constatons tous que chez nous, on préfère sacrifier la liberté d’un Camerounais vivant pour protéger la statue d’un Français mort.

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