Grand Dialogue national au Cameroun: Une pure farce ?

Les assises de Yaoundé ont été pour le pouvoir de Yaoundé une mécanique huilée pour survivre à toute tentative de renversement. Pari réussi.

Poussé à bout par un contexte international qui l’oblige à ramener la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud, Paul Biya a finalement organisé du 30 septembre au 04 octobre dernier à Yaoundé «un grand dialogue national». Un événement qui a abouti entre autres à des propositions portant mise en place d’une décentralisation renforcée, un statut particulier pour les régions du NoSo avec en prime l’élection des dirigeants locaux, la suppression du poste de Délégué du gouvernement et l’application de l’article 66 de la constitution. Sauf que lorsqu’on observe la manière dont le pouvoir a défini unilatéralement les thématiques, il est clair Yaoundé voulait uniquement limiter le débat à la crise anglophone en évitant soigneusement d’aborder les questions comme l’alternance et la forme de l’Etat, qui auraient pu déboucher à une conférence nationale violée avec en prime l’érosion du pouvoir suprême de Paul Biya.

Sinon comment comprendre que les sujets à problème soient identifiés par une seule partie ? Un dialogue n’implique-t-il un modérateur consensuel ? Que cache la désignation de Dion Ngute par le pouvoir de Yaoundé nonobstant le refus des autres parties ? Pourquoi seul le gouvernement de Yaoundé a décidé de qui doit participer au dialogue ? Pourquoi les parties ont-elles refusé de mettre en avant l’intérêt général ? Paul Biya lui-même n’a-t-il pas dit en 91 à Bafoussam lors de la Tripartite qu’on ne peut pas aller au dialogue en fixant les règles ? Autant de questions qui peuvent pousser certains à affirmer que le dialogue de Yaoundé est une pure diversion. D’ailleurs, Jean Jacques Ekindi qui a claqué les portes du dialogue avant d’être rappelé par le Premier ministre, Joseph John Ngute affirme : « J’étais à Yaoundé pour la paix. Mais j’ai constaté que le dialogue de Yaoundé n’avait rien à voir avec le retour de la paix dans notre pays. C’est pour ça que j’ai claqué la porte.

J’ai été reçu par le PM qui m’a promis de mettre en place une commission de paix et de mise en place des recommandations. Il m’a dit que si c’est nécessaire, on pourrait organiser après un autre dialogue sur la paix ». A la commission dénommée «Décentralisation et développement local », on a frôlé le pire : « Il a été interdit de parler du fédéralisme ou de la forme de l’Etat dans notre commission. On vous coupait systématiquement la parole dés que vous parlez du fédéralisme. Pour éviter les disputes, les responsables de la commission ont pris les noms des gens qui allaient prendre la parole avant le début des travaux », renseigne un membre de la commission.

A voir le contenu des échanges et le profil des intervenants, les vraies préoccupations des anglophones et des camerounais ne figuraient pas à l’ordre du jour. Selon une enquête réalisée par l’église catholique, prés de 69% des anglophones souhaitent la séparation. Certains ont même pris des armes pour faire sécession. Toute chose qui devait pousser le gouvernement de Yaoundé à convier les sécessionnistes à la table du dialogue si on voulait vraiment résoudre cette crise. De même, il existe des compatriotes qui souhaitent un retour au système fédéral dans la gouvernance du pays.

Mais le pouvoir a exclu le sujet des négociations. L’ambassade des Etats-Unis au Cameroun a pondu un communiqué dans lequel il martelait le souhait de voir le Cameroun organisé un dialogue inclusif sans conditions. Autrement dit, pour Washington, ce qui s’est passé au palais de congrès de Yaoundé est tout sauf un dialogue. Ce d’autant plus que, beaucoup d’anglophones n’envisagent plus que le fédéralisme ou la sécession comme issue viable. Depuis deux ans, la crise se manifeste par des opérations « ville morte », le boycott des établissements scolaires et des violences sporadiques. Malgré des mesures sectorielles annoncées par le gouvernement dont la libération de plus de 700 prisonniers anglophones et la restauration d’internet en avril de ce mois-là, les populations anglophones ne décolèrent pas, car aucune solution de fond à la crise n’a pour l’instant été proposée.

Plus inquiétante encore est la lutte armée que les forces sécessionnistes ont engagé contre l’armée conventionnelle. Une tendance nouvelle et dangereuse qui contraste avec celle des principaux groupes sécessionnistes et fédéralistes d’antan, comme le Southern Cameroons National Council (SCNC), qui depuis les années 1990 ont toujours opté pour la voie pacifique. Selon des sources proches de la diplomatie Suisse au Cameroun, une autre médiation se joue en toute discrétion à Montreux, en Suisse, à l’initiative du Centre pour le dialogue humanitaire (HD). Ce centre a discuté avec la constitution de l’Ambazonia Coalition Team (ACT), une plateforme qui regroupe dix organisations sécessionnistes ambazoniennes. L’objectif étant de favoriser des pourparlers de paix entre ces organisations qui ont décliné l’invitation de Yaoundé à participer au Grand dialogue national.

L’autre curiosité du « Grand dialogue national » c’est que le système a évité tout débat sur le Code électoral, largement critiqué ces derniers mois par les partis politiques de l’opposition et la communauté internationale, ainsi que le mode de désignation des dirigeants d’Elecam et du Conseil constitutionnel. Face à ces préoccupations majeures, le pouvoir de Yaoundé a choisi de faire la politique de l’Autruche. A la vérité, ce « Grand Dialogue » a été une pure farce, un vrai gadget pour amuser la galerie, flatter l’opinion internationale et conserver le pouvoir, selon plusieurs observateurs politiques.

Pourtant, dans un pays où l’équation ethnique est loin d’être réglée, chaque grand groupe étant soupçonné par les autres soit de vouloir s’accrocher au pouvoir (Betis), soit de chercher à le conquérir (Bamilékés) ou à le reconquérir (Nordistes et an), maintenir la paix interne est un travail à temps plein. Mais sous les balles lourdes du NoSo, la société étouffe et la démocratie ronronne. La génération Biya, malgré quelques réussites individuelles, est largement démobilisée et désenchantée. Il faut dire qu’entre l’explosion de la corruption dont la répression donne lieu au spectacle malsain de l’opération Épervier, la capitulation d’une opposition exsangue, l’atonie de la création intellectuelle et la perte des valeurs, le spectacle n’est guère réjouissant. Que reste-t-il quand on a tout tenté et échoué partout ?

Pour Ibrahim Mbombo Njoya, le sultan roi des Bamouns qui intervenait à l’occasion de la plénière d’ouverture du grand dialogue national, les camerounais sont préoccupés par l’alternance. Pour lui, il faut limiter le mandat présidentiel à 5ans renouvelable 2 fois. Il a été immédiatement rappelé à l’ordre par le Premier ministre, Chef du gouvernement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *