Cameroun: Pourquoi le projet de recasement des rescapés piétine de Gouache

Alain Foka, Samuel Eto’o et Sylvestre Ngouchinghe

Enquête sur un projet opposant Alain Foka et Samuel Eto’o au maire et au milliardaire Sylvestre Ngouchinghe.

Dans la perspective, les bénéficiaires pourraient ne pas accéder aux lotissements qui leurs ont été attribués.

1 -Au commencement était Bafoussam 3e…

A l’origine de l’intrigue, un espace foncier situé dans la localité de Latsit, localité située dans l’arrondissement de Bafoussam 3e. Le domaine semi-rural, sur la route menant à la chéfferie Bamougoum, est revendiqué par un groupe de propriétaires à la communauté Bamougoum. Puis intervient , il y a quelques années une décision de mise en valeur par l’administration locale. Décision dénoncée par les acquéreurs, d’autant que le projet traîne. Entre temps, l’exécutif communal et les propriétaires ne trouvent pas un consensus. Des procédures sont d’ailleurs engagées par les détenteurs de titres de propriété. Les accusateurs accusent la communauté Bamougoum de vouloir se réapproprier «par des subterfuges» l’espace querellé.

Puis survient l’éboulement de Gouache.

L’administration annonce alors le recasement des familles de rescapés dans cette zone. Une commission d’évaluation et de recensement, dirigée par le préfet de la Mifi, est mise sur pied. Au terme des travaux, la « commission Choua ïbou» indique que l’éboulement du 28 octobre 2019 de Gouache a fait 43 morts formellement identifiés. Sur le terrain, l’équipe conduite par le préfet de la Mifi soutient avoir dénombré 226 propriétés et 986 personnes impactées par le drame. Dans le même temps, la commission indique avoir recensé 133 chefs de familles ; 26 maisons inhabitées et 9 fondations, sur le site du drame. En urgence, trois sites de fortune sont offerts par des particuliers. Dès l’annonce du drame, le ministre de la décentralisation et du développement local débloque une enveloppe de 25 millions de Francs Cfa. Une autre enveloppe de 200 millions de Francs Cfa est mise à disposition par le président de la République. Surtout, l’administration locale annonce le recasement de 191 familles rescapées.

Quelques jours plus tard, lors d’une réunion d’évaluation présidée par la ministre de l’habitat et du développement urbain (Minhdu), Célestine Courtes, le gouverneur de la région de l’Ouest, Awa Foncka Augustine annonce la mise à disposition d’un espace de 5 hectares de terrain pour le recasement des rescapés de Gouache. Une opération qui concerne 150 lots à délimiter. Séance tenante, il est demandé au Génie militaire de procéder «en urgence» à l’aménagement dudit site. Puis, quelques jours après, des attestations d’attribution de 147 parcelles sont remises aux rescapés retenus par la commission d’évaluation et de recensement. La remise de ces «titres de propriétés» est d’ailleurs suivie, quelques temps après, d’une cérémonie de remise des dons collectés par le gouverneur de la région de l’Ouest. Des dons parmi lesquels des tôles, d’autres matériaux ainsi que des enveloppes symboliques destinés à la construction des logements de recasement. Le 23 décembre 2019 , un collectif conduit par le journaliste Alain Focka et le footballeur Samuel Eto’o organise un spectacle géant sur la place des fêtes de Bafoussam. Au cours du concert auquel prennent part de nombreux artistes de renom, le collectif annonce la construction de 19 maisons à quelques rescapés. Projet baptisé «Rebâtir Gouache». Sur l’espace de Latsit, les rescapés dans leur ensemble, faute de moyens, mettent symboliquement en valeur les espaces qui leur ont été attribués à travers des délimitations et des cultures. La plupart, continuent d’ailleurs d’occuper les logements de fortune mis à leur disposition.

2 -Dissonnances entre les donateurs et l’exécutif communal

A Latsit justement, le projet annoncé par Alain Focka, Samuel Eto’o et compagnies démarre. Commencent aussi les dissonances entre les donateurs, l’exécutif communal, le chef supérieur Bamougoum, l’homme d’affaire Ngouchinghe Sylvestre, le gouverneur de la région de l’Ouest et les rescapés bé n é ficia ire s. Dès l’entame des constructions, le maire de la commune de Bafoussam 3e ordonne l’arrêt des travaux de construction des 19 logements engagés par le collectif Eto’o, Alain Focka et compagnies. Lors de notre passage dans l’espace querellé ce 10 mars 2020, une dizaine de chantiers d’habitations sont à l’arrêt. Sur les principales façades des croix de Saint André y sont apposées. Arrêt des travaux matérialisé le 24 février 2020 par le maire Daniel Ndefonkou. La dizaine de chantiers à l’arrêt sont des maisons de quatre pièces construites en brique de terre sur des espaces estimés à 60 mètres carrés. Pour la municipalité et l’administration locale, le projet «consensuel» doit se matérialiser en matériaux définitifs, sur une superficie de 90 mètres carrés.

L’acte est jugé assez grave par Samuel Eto’o, Alain Foka et les autres donateurs qui ne tardent pas à dire leur courroux. Dans une lettre adressée au maire de Bafoussam 3e, l’ancien footballeur estime «inadmissible, incongrue et très malsain que tant d’énergie soit déployée pour torpiller une initiative purement humanitaire visant à fournir un toit et de la dignité aux concitoyens ayant tout perdu, par la triste volonté de la nature.» La correspondance de Samuel Eto’o met par ailleurs en cause la capacité de l’élu local à s’arrimer aux ordonnances du président de la République. Une grande désillusion pour Samuel Eto’o pour qui relève les manœuvres et «la seule volonté d’une clique d’individus sensées pourtant chérir leur quotidien au regard de la confiance aveugle qu’elles leur ont donnée.»

Les sorties épistolaires de Samuel Eto’o et Alain Focka accusent en fait certains «hommes d’affaires ou politiques et fils de la Mifi, à qui la nature a pourtant offert tant de grâce, mais qui brillent par le malsain désir de saboter pour ensuite spolier un projet devant apporter un minimum d’humanité aux nombreuses personnes ayant perdu la joie de vivre.» Une certaine élite qui, selon les propos de l’ancien footballeur, déshumanise et sacrifie la dignité de ses semblables.Dans une correspondance adressée aux donateurs, le journaliste de Rfi, Alain Focka indique que la suspension des constructions des logements destinés aux rescapés de Gouache à Latsit est liée aux mélange que les font de la politique, du social et de l’humanitaire. Selon lui, le refus du maire de laisser construire les logements offerts par le projet «rebâtir Gouache» est une curiosité.

D’autant plus que l’édile de l’arrondissement de Bafoussam 3e avait donné son accord. Plus loin l’initiateur du projet affirme : «Quand je suis arrivé dans cette histoire, il y a eu une tentative de détournement de parcelle. Ils le savent très bien et je peux le prouver. Les parcelles qui ont été données, ils voulaient en garder quelques-unes entre le gouverneur, le préfet, le Maire lui-même et autres.» Dans le même temps, le rédacteur de la correspondance à polémique indique avoir été attaqué par le maire. «Ce monsieur s’est énervé contre moi en disant, pourquoi est-ce que j’ai remercié le Chef Bamoungoum d’avoir donné des terres ? Il m’a rappelé que c’est lui qui don n a it des terres, pa s le chef Bamoungoum et qu’il n’avait rien à y voir.» Une posture que se refuse de commenter le chef Bamougoum.

3 -L’ombre de Sylvestre Ngouchinghe

Dans les faits, l’a ffaire qui oppose Samuel Eto’o, Alain Focka et les autres donateurs au maire de la commune de Bafoussam 3 e , à l’h omme d’a ffa ire Sylvestre Ngouchinghe et au chef supérieur Bamougoum, en cache d’autres. Outre la querelle qui oppose des propriétaires fonciers qui accusent la chefferie Bamougoum de vouloir s’approprier des espaces qu’ils ont acquis, il y a cinquante ans pour certains, l’épisode en cours me t e n scè n e l’homme d’affaire Sylvestre Ngouchinghe. Directement visé par le courroux de Samuel Eto’o et Alain Focka, Sylvestre Ngouchinghe se défend d’avoir offert des centaines de millions pour le développement de sa communauté. Pour l’affaire liée au recasement des rescapés de Gouache, l’homme d’affaire indique avoir donné plusieurs dizaines de millions. De l’argent qu’il aurait remis à plusieurs responsables locaux y compris au gouverneur de la région de l’Ouest.

«Sans résultat».

Des allégations réfutées par les proches de la première personnalité administrative de la région. Dans le même sillage, la correspondance d’Alain Focka affirme : «j’ai vu le Monsieur de Congelcam en me disant, voilà quelqu’un de bonne volonté. Je lui ai demandé : qu’est-ce que tu fais pour les villageois ? Il me dit gentiment : «Ecoute Alain, j’ai déjà beaucoup fait. J’ai donné de l’argent ils ont bouffé, j’ai donné de l’argent au Gouverneur…» il a même donné le montant. Si je m’étalais, il serait mal à l’aise. Il m’a dit : «Alain, pour le travail que tu fais, je vais te donner cinq cases soit 10 millions de Fcfa que je vais te donner». Je lui ai dit «Non, je ne prends pas d’argent, moi je ne gère pas d’argent. Il a dit : «Je vais construire les cinq cases, et je vais construire des cases plus grandes.» Voilà pourquoi on lui a attribué les cases de ceux qui avaient des familles nombreuses. Il ne l’a jamais fait. Il ne répond plus à aucun appel.» De même que l’initiateur du projet rebâtir Gouache indique avoir été approché par les proches du maire de Bafoussam 3e. «C’est les proches du maire qui m’ont appelé pour me dire que celui qui est derrière c’est Congelcam.» Des informateurs qui indiquent que l’homme d’affaire s’oppose à la construction d’un «bidonville» aux alentours de sa résidence. Rencontré, le maire de la commune de Bafoussam 3e relativise les différentes accusations. Daniel Ndefonkou laisse à chacun la responsabilité de ses propos et de ses actes. Toutefois, explique que l’arrêt des constructions est lié au non-respect des normes d’alignement et d’occupation spatiale contenues dans le plan d’urbanisation. La même source souligne que le strict respect de ces normes est instruis par le gouverneur de la région de l’Ouest. Selon l’édile de Bafoussam 3e , les habitations construites sur le site de recasement doivent obéir à un plan de construction maîtrisé par l’ingénieur de la mairie de Bafoussam III. Pour Daniel Ndefonkou, «C’est à cause de notre laxisme que le drame de Gouache est survenu. Quand nous voulions détruire les maisons làbas, on disait que c’était du social, nous avons laissé, et voilà ce qui est arrivé.

Nous ne voulons plus que ce type de drame survienne encore chez nous.» L’argument n’est pas partagé par l’ingénieur commis par Eto’o et les autres donateurs. David Yonzo se défend « En tant que spécialiste en bâtiment, je peux démontrer n’importe où que ces maisons sont bien construites selon les normes.» Mais aussi que «Si le maire souhaitait avoir un certain type de construction là-bas, il faut bien tenir compte du fait que ces gens sont complètement démunis. Comment peut-on s’opposer à un don ? C’est au donateur de voir en fonction des moyens à sa disposition, ce qu’il peut faire.»Reste que les rescapés disposent d’un délai de six mois pour construire les habitations indiquées par les autorités municipales et administratives sur le site à polémique. Un délai largement entamé. Pourront-ils le faire ? Rien n’est moins sûr. En chœur, les bénéficiaires des lots de recasement indiquent ne pas disposer de moyens leur permettant de s’offrir des constructions expresses. Encore moins au standing imposé. En attendant, la grande majorité des sinistrés continuent d’occuper les sites de recasement provisoires. Des sites aux commodités sommaires. D’autres de plus en plus nombreux retournent vers l’ancien site de Gouache.

Joseph OLINGA N.

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