Cameroun – Huiles végétales raffinées: Booto à Ngon pris la main dans le sac

38 marques de produits bénéficient d’un même certificat de conformité délivré par l’Agence des normes et de la qualité (Anor).


Dans la liste on retrouve également des vins et liqueurs ainsi que d’autres produits alimentaires.
Supposé être le gendarme des normes et de la qualité des produits au Cameroun, l’on constate curieusement que c’est le directeur général de l’Anor, Charles Booto à Ngon, lui-même, qui encourage le faux aux conséquences énormes dans le secteur de la production des huiles végétales raffinées. La preuve, au même moment où le gouvernement prend des mesures pour assainir la filière des oléagineux, le Dg de l’Anor saisit le ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (Minmidt) au mois de mai pour lui demander d’accorder une dérogation exceptionnelle à l’entreprise African Food Distribution, importatrice d’une «cargaison importante d’huile de palme raffinée dans les bidons non translucides». L’on se demande bien pourquoi négocier une dérogation exceptionnelle auprès du Minmidt pour des produits qui ne sont pas conformes à la norme en vigueur. D’ailleurs, Africa Food Distribution reconnaît elle-même dans la lettre qu’elle adresse à l’Anor que ses «produits (huile de palme raffinée) sont contenus dans des emballages (jerrycans jaune)». Alors même que, selon la réglementation en vigueur au Cameroun, les huiles végétales raffinées doivent être conditionnées dans les emballages translucides.
Légèreté ou complicité ? La grande incongruité est que l’Anor, pour des raisons visiblement inavouée, a délivré plus tôt à l’entreprise véreuse (African Food Distribution) un certificat d’une validité d’un an, pour 38 marques de produits. Notamment, des mayonnaises, des pâtes alimentaires, des vins et liqueurs, des aliments lactés, concentrés et sucrés, du lait en poudre, du riz (parfumé et non parfumé), des huiles végétales raffinées, des tomates, des beurres et margarines, des conserves de viandes, des sardines, de la moutarde, du chocolat à tartiner, du déjeuner et des confiseries. Des produits qui n’ont pas une même matière première et ne répondent pas au même processus de fabrication, de conditionnement et de conservation. Pourtant, les responsables de l’Anor sont censés savoir que les certificats de conformité sont délivrés par lot ou cargaison de produits. Et, notre enquête nous a permis de constater qu’à la période du 13 mai 2015, African Food Distribution, avec son fameux certificat de conformité n°000157/2014/Anor/Dg/Dc/Sdcp/Msp du 18 novembre 2014, a importé 172 containers des produits hors normes. D’après un cadre de l’Anor rencontré : «la délivrance des certificats de conformité par notre administration pêche du fait que nous ne disposons pas de laboratoires, à défaut de pouvoir collaborer avec un laboratoire comme celui de l’Institut Pasteur».
Une impéritie vite rattrapée. Heureusement pour le consommateur et malheureusement pour l’entreprise African Food Distribution, en date du 03 juin, le secrétaire général des services du Premier ministre (Sgpm) a, après avoir été informé de la qualité douteuse des huiles végétales raffinées mises sur le marché camerounais par les responsables de l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), au terme d’une réunion interministérielle tenue dans les services du Pm le 27 mai 2015 a demandé au ministère des Finances «l’annulation sans délai de toutes les autorisations d’importation d’huiles végétales raffinées à la valeur transactionnelle de 10.000 tonnes d’huile végétale raffinée». Dans la même note, il est demandé une «régulation sur les cargaisons déjà entrée sur le territoire national sur la base des autorisations irrégulières, notamment celles des sociétés Africa Food Distribution et Compagnie des produits pétroliers de l’Équateur (Coppeq)». Le Sgpm exige également «l’organisation sans délai, sous la conduite du ministère de Commerce (Mincommerce), d’une opération coup de poing pour assainir ce segment de marché» et procéder à la saisie de tous les produits non conformes à normes NC 77 2002-3 Rev. 1 (2011).
Au regard de ce qui précède, il ne serait pas exagéré de croire que l’Agence des normes et de la qualité manque de cohérence et de fermeté dans l’attribution des certificats de conformité et partant la gestion du secteur des oléagineux au Cameroun. Il y a quelques temps que «l’Affaire Jadija» a défrayé la chronique. Et la position de la structure créée en 2009 pour servir de bras séculier à l’Etat en matière de normes a été quelque peu ambiguë. Au point où bon nombre d’observateurs ont taxé l’Anor de pyromane et pompier de ce scandale. D’ailleurs, dans une de ses lettres, M. Booto à Ngon avait reconnu son erreur dans l’attribution du certificat de conformité à la Coppeq, société importatrice de l’huile Jadija. «En date du 06 juin 2014, l’Anor vous a délivré le certificat de conformité n°00078 corrigé le 01 août 2014 sous le numéro 00107 suite à une erreur qui s’y était glissée et ceci malgré les résultats des analyses effectuées», précisait le Dg dans une correspondance adressée à la Coppeq Sarl, une société faisant dans l’exploitation des produits pétroliers qui s’est retrouvé dans le secteur des huiles végétale. Pourtant, en 2013, Booto à Ngon a pris la responsabilité d’assurer les ministres du Commerce et de la Santé publique de la qualité conforme de l’huile Jadida à la commercialisation sur le territoire national. Et visiblement, la gestion de ce dossier avait porté un coup de froid sur la crédibilité même de l’Agence des normes et de qualité ainsi que sur ses responsables aux prises de décisions hétéroclites.

Des conséquences économiques et sanitaires
Approchés, les responsables de l’Asroc réitèrent que la mise à la consommation des huiles végétales raffinées facilitée par le Dg de l’Anor, a des conséquences néfastes sur :
– la réglementation en vigueur. La non application de l’Arrêté conjoint n° 2366/Minsante/Minimidt/Mincommerce du 24 août 2011 rendant d’application obligatoire la norme sur les huiles végétales portant un nom spécifique, enrichies à la vitamine A qui a pour objectif : La résolution d’un problème de santé publique, lié aux carences en micronutriments dont ont fait ostentation les populations du Cameroun ; la protection de l’espace commercial camerounais et la protection des industries locales contre une concurrence déloyale des produits non conformes. À relever que, la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) qui régit l’environnement sanitaire et économique camerounais est rendue d’application obligatoire et devient une réglementation. Ce qui permet de s’interroger sur la mise à la consommation des huiles végétales raffinées non enrichies à la vitamine A, enfûtées dans des conditionnement non translucides et ne respectant pas d’autre facteurs de qualité.
– le plan socio-économique. La filière des oléagineux a permis avant l’inondation de l’espace commercial camerounais par des huiles végétales mal déclarées : «d’assurer l’approvisionnement régulier de l’industrie et du marché local en huiles végétales brutes et raffinées (l’offre en huile raffinée est de 18 000 tonnes et la demande se situe entre 10 000 et 12 000 tonnes ; de préserver les 25 000 emplois directs ayant été créés dans les segments de la production et de la transformation tout comme ceux des services intermédiaires existant et à créer et d’assurer la contribution au produit intérieur brut (Pib) à la fiscalité intérieure», explique le secrétaire général de l’Asroc.
Et depuis la non application intégrale de la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) relative aux huiles végétales portant un nom spécifique, enrichies à la vitamine A, «des unités de production et de transformation de la filière ont commencé à être fermées et à mettre en chômage technique des employés», regrette le regroupement des producteurs des oléagineux. Une triste situation qui a été, selon les responsables de l’Asroc, «le fait de la société Coopeq importatrice de l’huile végétale raffinée de soja Jadida et d’African Food Distribution importatrice des huiles végétales raffinées de soja et de palme Broli et Vikor particulièrement indexées dans le message-fax du Sgpm du 03 juin 2015, adressé au ministre des Finances et notifié au Dg de l’Anor». Malheureusement, pour avoir sa version des faits, nos tentatives de joindre le Dg de l’Anor se sont avérées vaines.
Aujourd’hui, il est à constaté que les certificats de conformité délivrées aux huiles importées dont parlait le Dg de l’Anor pour essayer de se défendre face aux récriminations récurrentes à lui faites par l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun, n’étaient que de faux certificats devant être retirés pour préserver la santé des consommateurs.
Des produits déconseillés par Asroc. Les huiles végétales raffinées Broli enfûtées dans des bidons ou mieux des conditionnements opaques, c’est à dire ne laissant pas entrevoir les produits, déversées en quantité effroyable dans les marchés et détentrice d’un certificat de conformité unique et inique englobant d’autres produits tels que la mayonnaise, les pâtes alimentaires, les vins et liqueurs, le lait en poudre, le riz, les conserves de viande, les sardines… devraient également, selon les responsables d’Asroc, être retirées de l’espace commercial camerounais et faire l’objet d’un retrait de certificat de conformité. Les huiles végétales raffinées Vikor importées par la même société et en réalité non enrichies à la vitamine A ne sont pas du reste.

Les autorités corrigent les égarements…
Pour mettre fin à cette incongruité économique, le chef du gouvernement a prescrit comme instructions le 03 juin 2015 :
L’application intégrale de la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) relative aux huiles végétales portant un nom spécifique, enrichies à la vitamine A, rendue d’application obligatoire par l’Arrêté conjoint N°2366 Minsante/Minimidt/Mincommerce du 24 août 2011 ;
La remise en route du Comité technique de pilotage et de Coordination pour la fortification alimentaire (destinée à résoudre un problème de santé publique), présidé par le ministre de la Santé publique qui a initié et piloté la révision de la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) ;
L’organisation sans délai sous la conduite du ministère du Commerce d’une « opération coup de poing », des descentes sur le terrain à l’effet de mettre un terme à la situation qui prévaut.
Les services compétents du Mincommerce qui avaient déjà commencé à saisir ces huiles non conformes ont été réconfortés dans leur action par le Message-fax sus-invoqué. Ces services, à notre grande surprise ont agi dans le bon sens, en saisissant ces huiles malgré l’existence de certificat de conformité, en se référant tout simplement à la norme en cause qui est suffisamment claire. Il est à réitérer que la violation de la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) va enfin à l’encontre de la politique du chef de l’Etat qui prône le développement des plantations, la transformation et la consommation des produits de qualité qui en découlent.

25.000 emplois directs menacés
La filière des oléagineux camerounaise, à fort potentiel de croissance et à forte valeur ajoutée, emploie directement plus de 25 000 personnes en cumulant des investissements de l’ordre de 520 milliards de francs Cfa. Elle est un des secteurs clés du tissu économique et industriel du Cameroun et a l’avantage de pouvoir intégrer en amont les producteurs (les agro-industries et les planteurs villageois tels que Sodecoton, Socapalm, Safacam, Cdc, Pamol, Spfs, Unexpalm…) et en aval les transformateurs (les raffineries et les savonneries telles que Scr Maya et Cie, Azur S.A, Scs/Rafca, Spfs, Cco S.A, Sitron S.A, Saagry, Hacc, Smc, Soproicam, Nosa, Ccc, Sms, Soc, Sanet …).

Pierre Amougou

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