Cameroun – Gestion du Covid-19: La faillite du régime Biya

Gouvernement Dion Ngute

Le mystère qui entoure désormais les chiffres liés au Coronavirus, est la conséquence logique d’une cascade de défaillances gouvernementales. Enquête !

Le temps n’est pas encore venu de dresser un bilan sanitaire ou politique de l‘épidémie virale qui frappe le Cameroun. Il a été mis en œuvre un plan
de prévention et de riposte visant à endiguer la propagation de cette épidémie. Les dernières informations officielles font état d’une trentaine de personnes sous oxygène alors qu’on dénombre plus de 165 cas guérie et 17 décès. Silence coupable sur le nombre de cas positifs dont le dernier, publié le 10 avril, est de 820 cas positifs dont 710 sont actifs. Le pic de l’épidémie est certainement devant nous et il ne s’agit ici ni de faire des pronostics ni de se prononcer sur l’opportunité ou l’efficacité de telle molécule ou tel traitement. L’unique dessein est de tenter d’apporter un éclairage sur une gestion de crise, au regard de la chronologie des événements, des circonstances camerouno-camerounaises et des réactions internationales face au défi d’une crise sanitaire d’une telle ampleur.

Les faits

En ce début 2020, la trame de fond est celle d’un pays occupé à la préparation du double scrutin législatif et municipale programmé pour le 09 février 2020. Sur le plan international ce sont les Caucus démocrates aux Etats-Unis et l’épidémie de coronavirus d’abord circonscrite à la province chinoise du Hubeï qui intéressent les médias. Mais comme toujours, les sujets internationaux demeurent très en retrait dans le traitement médiatique autant que dans les préoccupations des Camerounais. En ouvrant un spectre plus large sur l’information internationale, on s’aperçoit dès la mi-janvier avec le confinement de Wuhan qu’un sujet domine tous les autres : la transmission humaine d’un virus jusque-là inconnu et dont on apprend qu’il est très contagieux. Puis, tout au long du mois de février, toute la presse asiatique, mais aussi la presse médicale spécialisée, de nombreux infectiologues et l’Organisation mondiale de la Santé (Oms), puis les réseaux sociaux, relatent et vulgarisent au jour le jour les tâtonnements et progrès dans la connaissance du nouveau virus, ses atteintes aux fonctions vitales des malades et le détail des mesures qui ne tardent pas à être prises en Chine d’abord, puis dans les pays frontaliers de la Chine, qui sont aussi les premiers à compter des individus porteurs du virus (Corée du Sud, Japon, Hong Kong, Taïwan, Singapour…).

En février, le sujet est déjà à l’esprit de tous les Camerounais, au moins autant que les élections municipales et législatives; mais il ne fait toujours pas les Unes nationales, alors que pour l’Oms il s’agit bien d’une pandémie. La plupart des Camerounais ne se sent pas directement concernée puisque les hommes politiques dans leur globalité et l’ensemble des médias restent focalisés sur le double scrutin du 09 février 2020. Bien que le 25 janvier, le ministre de la Santé publique (Minsanté), Manaouda Malachie assurait que dans le cadre de la surveillance épidémiologique, « des mesures sont en cours pour prévenir toute importation éventuelle des Coronavirus chinois au Cameroun ». En début mars, mise à part la polémique relative à l’absence totale de contrôles sanitaires aux arrivées dans les aéroports, remplacés par quelques caméras thermiques, les thermoflash, les équipements de protection et une affichette signalant les gestes d’hygiène préconisés par les autorités, on pouvait presque croire que le Cameroun s’ennuie.

Le régime de Yaoundé n’eut de cesse de s’employer à rassurer les Camerounais en invitant les populations à observer les règles d’hygiène. Le gouvernement et son responsable de la santé firent un formidable travail de pédagogie pour signaler que le virus ne pouvait être virulent qu’à l’égard des plus anciens, et qu’il suffisait de quelques gestes d’hygiène très communs pour s’en prémunir. Il fut aidé en cela à longueur d’antenne par les médias qui lui sont fidèles et quelques scientifiques manifestement peu informés de l’actualité médicale brûlante. Le 06 mars, les événements se sont assez brutalement accélérés, avec notamment la confirmation d’un cas de Covid-19 sur le sol camerounais, mettant en échec la stratégie du ministère de la Santé. Il s’agissait d’un citoyen français âgé de 58 ans arrivé à Yaoundé le 24 février 2020. L’intéressé avait été mis en isolement dans le Centre de prise en charge de l’hôpital central de Yaoundé. Le 14 mars, le pays comptait trois personnes infectées. Le 16 mars, l’on était à cinq cas positifs. Le 17 mars, le Premier ministre annonce la fermeture des frontières, en même temps que les mesures de distanciation ont été prescrites, notamment la fermeture des écoles, lycées et universités… mais tout en maintenant contre toute logique les élections législatives partielles dans 11 circonscriptions des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Cafouillages

Avec une désinvolture sans pareille, sans prêter la moindre attention aux recommandations de l’Oms, pas plus que d’analyser finement les mesures de lutte instaurées dans les différents pays ayant essuyé les plâtres des mois avant nous, le pouvoir de Yaoundé n’a su regarder que dans sa seule direction. Personne à la tête de l’État n’a imaginé s’inspirer des expériences de pays qui ont permis aux courbes épidémiques de baisser fortement ou de ne jamais grimper. À des degrés divers, ces pays, tout comme d’ailleurs plus récemment l’Allemagne et la Suisse, ont choisi de tester un maximum de personnes, de généraliser le port du masque et de mettre en quarantaine les seules personnes qui présentent une charge virale.Par défaut, dans l’urgence et la plus grande impréparation, faute d’avoir préparé les laboratoires médicaux à effectuer des tests de dépistage, il ne restait à notre élite technocratique que la solution du tâtonnement.

Le pays ayant déjà enregistré plus de 800 cas testés positifs, le Premier ministre Joseph Dion Ngute, annonce le 9 avril dernier, sept nouvelles mesures qui complètent les 13 mesures effectives depuis le 18 mars 2020. Il s’agit entre autres de la généralisation du port du masque (une revirement spectaculaire) qui a pris effet lundi 13 avril ; la fabrication locale des médicaments, des tests de dépistage et matériels de protection ; la mise sur pied des centres spécialisés de traitement des patients de Covid-19 dans les régions ; l’intensification de la campagne de dépistage du coronavirus en lien avec l’Institut Pasteur de Yaoundé ; l’intensification de la campagne de sensibilisation en zones urbaines et rurales ; la poursuite des activités essentielles à l’économie et la sanction systématique à tout contrevenant.

Revirement sur les masques

Lorsque la crise sanitaire a attaqué le Cameroun, le gouvernement a persuadé les Camerounais par une communication massive, avec la caution de la quasi-unanimité des médecins présents dans les médias que les masques n’étaient pas nécessaires lorsque l’on n’est pas malade. Yaoundé avait limité le port du masque aux professionnels de santé et aux patients, rejetant ainsi le mode opératoire asiatique, copié par les Allemands et les Suisses, et qui permet de rompre la chaîne de transmission et d’infléchir la courbe. Signalons que le virus se propage par un simple postillon, en toussant ou éternuant, mais aussi en parlant ; et que selon plusieurs institutions médicales, il peut être présent dans l’air dans certaines conditions jusqu’à 45 minutes. Le pouvoir de Yaoundé a utilisé cet argument erroné, susceptible de mettre en danger la vie d’autrui, dans le seul but de se soustraire à sa responsabilité de n’avoir pu en fabriquer.

Aujourd’hui, ce même gouvernement se rebiffe et ordonne le port obligatoire des masques dans les lieux publics. À propos de ces masques, les exemples coréens, taïwanais et hongkongais nous ont montré que lorsqu’une population entière adopte le port du masque, comme une forme de confinement individuel, la propagation du virus peut être stoppée. Le masque est donc l’écran physique le plus efficace pour faire obstacle à la propagation du virus.Le porteur de masque n’est pas protégé mais protège la personne en face de lui, donc symétriquement si la personne en face de lui porte aussi un masque, il est lui-même protégé. Un raisonnement déductif qui sonne aujourd’hui comme une évidence pour de nombreux Camerounais, qui sortaient déjà de leur domicile munis d’un masque ou un substitut de toute sorte, avant que le port obligatoire ne soit décidé.

Gouverner c’est prévoir

Deux mois avant l’enregistrement du premier cas positif en terre camerounaise, le gouvernement savait qu’il pourrait faire face à une situation sanitaire exceptionnelle. Dès lors, il était de son devoir d’anticiper une contagion au Cameroun et de prendre les devants pour s’assurer que faute de vaccin, la logistique permettant la plus large diffusion possible des moyens de prévention serait pleinement opérationnelle. La suite est connue : c’est une épidémie devenue incontrôlable, des mesures de restriction dont l’expiration est impossible à prédire et dont la réussite dépendra de son degré d’observance. Cela fait plus d’un mois que nous savons que le Coronavirus n’a pas de passeport et pourtant les autorités ont failli à mettre à disposition des citoyens des tests, les masques, le gel hydro-alcoolique ainsi que tous les équipements hospitaliers de protection qui viennent à manquer à la même vitesse que les respirateurs.

Alors que le pic de l’épidémie n’est pas en vue, notre État stratège a donc accouché d’un compromis délétère qui reflète bien l’ensemble de sa gestion de crise. Le pouvoir se sert de ce qu’il nomme des « incivilités » relatives au mauvais suivi des mesures restrictives. Tout mauvais résultat de la politique étatique peut être désormais attribué à des boucs émissaires, de mauvais Camerounais n’ayant pas respecté les mesures de restriction.

Ahmed MBALA

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