Le sociologue décrypte le phénomène d’affairisme autour des obsèques et préconisent quelques conseils pour l’éradiquer.[pagebreak]Comment analysez-vous le phénomène d’affairisme autour de la mort?
Globalement, il faut savoir que la gestion sociale de la mort connait un certain nombre de transformations dans la société camerounaise. Hier, il y avait une sacralisation de la mort et on essayait de gérer la mort avec beaucoup de dignité et on essayait de gérer la douleur des uns et des autres dans une sorte de recueillement. Mais la mort est devenue une occasion de déploiement de beaucoup d’activités économiques. Là-dessus, la globalisation n’aidant pas, on assiste aujourd’hui à la désacralisation de la mort. Cette désacralisation s’accompagne de la saisie du prétexte d’un deuil pour que des gens essayent soit de se faire des poches, soit de s’enrichir. Etre au devant de la scène dans l’organisation des obsèques d’une personnalité permet d’engranger pas mal de sous que parfois on ne fait pas connaître à la famille véritable, c’est-à-dire que la destination de cet argent n’est pas véritablement reconnue. C’est donc une occasion offerte à un certain nombre d’individus pour améliorer leurs conditions de vie. Le phénomène ne se limite pas aux personnalités, c’est peut-être plus voyant à leur niveau. Même dans les familles, la gestion des moyens alloués pour le deuil est souvent l’objet d’un certain nombre de discordes et de disputes, sinon de conflits à l’intérieur des familles. En effet, celui qui reçoit l’onction de la famille pour recevoir les contributions financières, devient de facto l’individu qui vient en rendre compte. Mais entre l’endroit où il a reçu les sous et le moment où il doit rendre compte, il y a beaucoup de choses qui se déroulent en chemin. Du coup, les sommes déclarées ne sont pas toujours en adéquation avec les sommes perçues en amont.
Comment expliquez-vous cet état des faits?
Il faut savoir que d’une manière globale, on entre dans une sorte d’économie de la mort. Cette économie montre que l’organisation des obsèques n’est plus tant une occasion de pleurer sincèrement le défunt ; mais une occasion offerte soit pour faire fortune, soit améliorer ses jours ou encore arrondir ses fins de mois. Ceci entre véritablement dans la reproduction de cette économie de la mort. Vous allez alors vous rendre compte que c’est parce que la société en générale a sorti la mort de son aspect sacré qu’on assiste à ces situations. On peut également constater que même pour une famille qui vit dans la précarité, quand survient une mort, on s’endette, on essaye d’avoir autant de moyens et on mobilise suffisamment de moyens pour l’occasion: on confectionne un certain nombre de pagnes, on engage des corbillards, il y a toute une économie autour de la mort. Il ne faut donc pas s’étonner que survienne également, autour de la mort, un ensemble d’entrepreneurs en quête de morts. La mort est donc devenue un business qui fait courir pas mal d’individus parce que c’est un lieu d’entreprenariat, un espace de constitution d’un capital économique.
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle situation sur la société?
On doit craindre le fait que la mort perde le sens premier qu’elle a pour cette société. On assiste à la déconstruction des référents culturels de celle-ci qui aidaient hier à gérer la mort. On peut aussi parler d’un passage au stade supérieur parce que s’il y a déjà toute une économie autour de la mort, rien n’indique qu’une fois le macchabée enterré, on ne va pas aller le déterrer pour justement entrer dans une autre économie criminelle de vente des ossements humains. A mon sens, c’est à le regretter que la mercantilisation de la vie a atteint des sommets inégalés dans le contexte qui est le nôtre, y compris dans les espaces insoupçonnés tels que ceux-là qui sont des espaces de douleur. L’activité mercantile et entrepreneuriale doit s’arrêter à la porte des espaces comme ceux de la mort car lorsqu’une société n’a pas ces barrières, c’est une société engagée dans une dynamique mortifère.
Que préconisez-vous pour sortir de cette spirale?
Il faut revenir au sens premier de la mort et se rappeler que la mort est une affaire qui concerne tout être humain. Dans ce sens, l’individu qui est mort n’a plus la possibilité de protester et que cela nous concerne tous. Une fois qu’on a intégré cet aspect, indépendamment des convictions religieuses, on pourra assimiler que c’est une bonne part de honte que d’aller écraser du sucre sur le dos d’un mort et d’en profiter. Il faut revenir aux référents culturels et que les familles retournent au niveau du dimensionnement symbolique de la mort. Ce qui revient à la gestion de la dépouille avec dignité. Cela permettra un véritable recueillement et un véritable repos en paix des âmes des disparus. Aujourd’hui, les gens ne réfléchissent plus en terme du bien et du mal mais plutôt en terme d’utile et d’inutile. Il est temps de revenir au paradigme du bien et du mal. Pour y parvenir le système éducatif n’est pas la seule option, il y a aussi les autorités morales: traditionnelles, religieuses, les membres de l’organisation de la société civile.
Propos recueillis par N.G