Boko Haram – Aimé Raoul Sumo « La conséquence du cessez-le-feu pour le Cameroun est un risque plus accru d’enlèvements »

Chercheur en histoire et spécialiste des questions de sécurité, il commente cet accord de cessez-le-feu aussi soudain qu’inattendu.[pagebreak]Que vous inspire l’annonce d’un cessez-le-feu entre le gouvernement nigérian et la secte islamiste Boko Haram ?
J’ai été, comme beaucoup, surpris par cette annonce faite par le Air marshal Alex Badeh à l’issue de la rencontre entre les responsables militaires camerounais et nigérians à Abuja la semaine dernière.  visiblement, le Cameroun, qui a déclaré la guerre aux côtés du Nigeria et du Tchad, n’a pas participé à la paix. Cependant, suivant de près l’actualité du Nigéria depuis un certain temps, je n’y crois pas trop. Le contexte de l’annonce de ce cessez-le-feu est en soi problématique. En effet, le président Jonathan doit annoncer dans les prochaines semaines sa candidature à la réélection et des bonnes nouvelles comme  celle de la libération des filles de Chibok et celle de l’amélioration de la situation sécuritaire sont de nature à booster sa popularité. De plus, l’année dernière, un ministre nigérian avait déjà annoncé la conclusion d’un cessez-le-feu avec Boko Haram, avant que Shekau ne poste une vidéo sur You Tube dans laquelle il démentait cette information, affirmant au passage qu’il ne négocierait jamais avec des infidèles.

On n’a justement pas encore reçu de confirmation de Boko Haram et l’on sait que ce groupe a toujours été hostile à des négociations avec le Nigéria…
Shehu Sani, un expert nigérian de Boko Haram et qui négociait avec la secte terroriste pour le compte du gouvernement nigérian dit n’avoir jamais entendu parler de Danladi Ahmadou que les autorités d’Abuja présente comme le représentant de Boko Haram lors des négociations à N’Djamena.  Ce dernier se présente lui-même comme le Chief security officer en charge des relations publiques de Boko Haram. Dans une interview qu’il a donné au service Haussa de la Voice of America (VOA) vendredi dernier, il reconnait n’avoir pas rencontré Shakau.  La sortie médiatique du ministre tchadien des Affaires étrangères est venue semer un peu plus de doute. Alors que le Nigéria présente Danladi Ahmadou comme négociateur-en-chef de Boko Haram, le Tchad dit que le mouvement terroriste était représenté par Cheikh Goni Hassan et Cheikh Boukar Umaru. De même, l’organisation de Boko Haram est de nature à nous faire douter de l’effectivité du cessez-le-feu. Sa structure organisationnelle comprend un organe central et des démembrements locaux. Ces derniers appartiennent bien à Boko Haram mais disposent d’une certaine autonomie et d’une liberté d’initiative. Les chefs des différentes factions sont nommés par Aboubakar Shekau qui, leur attribue dans le même temps, une zone de responsabilité. Ils  ne subissent cependant pas un contrôle strict de leur hiérarchie. Les derniers évènements nous font croire que nous avons en face des bandes incontrôlées qui luttent pour leurs propres intérêts, sans ligne directrice claire. Il est donc plus que probable que les mots d’ordres de la hiérarchie ne soient pas respectés par certaines factions. Même le département d’état américain, par la voix de son porte-parole, Marie Harf, dit n’être pas en mesure de confirmer la réalité de l’accord de cessez-le-feu. L’on présente la libération des otages camerounais et chinois de la semaine dernière comme un geste de bonne foi de Boko Haram, chose dont je doute sérieusement. Selon toute vraisemblance, le Cameroun a mené seul les négociations qui ont conduit à la libération des otages.

Que pensez-vous du rôle joué par le Tchad dans ces négociations ?
Les négociations ont eu lieu le 14 et le 30 septembre derniers à N’Djamena. Moussa Fako Mahamat, le ministre tchadien des affaires étrangères a personnellement participé à ces négociations. Le chef de cabinet du président Goodluck Jonathan, Hassan Tukur a représenté le gouvernement nigérian à ces pourparlers. L’absence du Cameroun, première victime collatérale de ce conflit et l’implication du président Deby à ces pourparlers nous pousse à l’interrogation et au doute, surtout que le Tchad, qui partage lui aussi une frontière avec le califat de Boko Haram, n’est jamais attaqué. Le Tchad est clairement dans la logique de la projection de sa puissance dans la sous-région. Il m’est revenu que la communauté internationale a envisagé un temps l’envoi des troupes tchadiennes pour sécuriser la ville de Maïduguri. De plus, il est de notoriété publique que la plupart des grands leaders de Boko Haram résident au Tchad.  Modo Sharif, le grand financier de ce mouvement terroriste y réside en toute quiétude, de même que Rawana qui contrôle la zone Nord, notamment le secteur N’Djamena-Kousseri. Depuis, des lustres, le Tchad est un boulevard pour les trafiquants d’armes de tout acabit. Les armes provenant du Soudan et de la Lybie y transitent sans problème. Je suis  d’ailleurs surpris par le fait que tout le monde ne découvre qu’aujourd’hui que Goulfey était une logistique de tous les mouvements asymétriques de la sous-région, y compris le MEND, Boko Haram et la Seléka. Tout le monde est au courant, tout le monde.

Quelles peuvent en être les implications pour le Cameroun ?
Le chef d’état-major de l’armée nigériane dit avoir instruit les commandants des unités opérationnelles de tirer conséquences du cessez-le-feu avec Boko Haram. Il est donc clair que le cessez-le-feu va créer, pour le Cameroun, plus de problèmes qu’il n’en avait avant. Du moment où les combattants de Boko Haram n’ont plus rien à craindre de l’armée nigériane, ils vont, à coup sûr concentrer leurs offensives sur le Cameroun. Par conséquent, si hier le Cameroun avait déployé 1 000 hommes, il est temps d’en ajouter au moins le double, ceci d’autant plus que les renseignements recueillis auprès des populations riveraines de Fotokol font état du largage des armes aux adeptes de Boko Haram par les avions C130 teinté sahel, ce qui traduit soit des complicités au Nigeria, soit des complicités extérieures. Le cessez-le-feu va générer de grosses contraintes pour l’armée camerounaise car, si l’on s’en tient aux déclarations du ministre tchadien qui prit part aux négociations, la question des villages occupés, notamment à la frontière avec le Cameroun n’a pas été abordée.

Il y a justement que Boko Haram continue de contrôler de nombreuses localités dont certaines proches du Cameroun. Le cessez-le-feu va-t-il organiser tout cela pour que l’on puisse espérer un retour à la normale dans les prochains jours ?
Boko Haram contrôle 25 villes dans le Nord Est du Nigeria, dont 10 dans l’Etat de Yobe, 10 dans l’Etat de Borno et les 5 autres dans l’Etat de l’Adamawa. Le Nigeria a perdu totalement le contrôle des localités frontalières au Nord-Est. Ainsi, le Cameroun fait face au califat auto-proclamé de Boko Haram car  les localités nigérianes de Saguir (dans le lac Tchad), Wulgo (en face de Sakme), Gambaru (en face de Fotokol) Sigal (en face d’Afade) kalagubdo (en face de Waza), Banki (en face de Limani), Kerawa (en face de Kerawa-Cameroun), Ashigashia(en face de Ashigashia-Cameroun), Vizik (en face de Dabang) sont contrôlées par Boko Haram. C’est dire qu’à ce niveau, l’armée camerounaise fait directement face à cette horde de barbares. Il faut relever que Madagali (8 km de la frontière) et Gwoza (15 km) sont aussi contrôlée par Boko Haram. Il est tout aussi important de relever que Gambaru, Banki, Kearawxa et Ashigashia étaient des camps militaires nigérians dont Boko Haram a aujourd’hui pris le contrôle. La conséquence du cessez-le-feu pour le Cameroun est donc un risque plus accru d’enlèvements, de tentative d’occupations de postes frontaliers. Il est possible que les combats baissent en intensité mais au mieux, le grand banditisme va exploser car les bandits disposeraient alors de moyens plus sophistiqués. La route Mora-Kousseri deviendrait très vulnérable.

Quelles marges reste-t-il alors au Cameroun dans ce cas ?
Ce cessez-le-feu tombe mal. Avec le retour de la saison sèche, le fleuve El Beïd qui sert de frontière et d’obstacle naturel aux projections de Boko Haram en territoire camerounais va s’assécher, toute chose qui génèrera de sérieuses contraintes pour nos forces de défense et de sécurité. Il est donc urgent d’identifier et barrer très rapidement les voies pouvant être utilisées par les engins de l’ennemi, et intégrer tout cela dans le plan de combat. Il faut, en plus, renforcer les moyens des projections et les moyens de feu. Dans ce contexte, et au vu du bilan élogieux de nos forces de défense et de sécurité, il nous semble que la priorité doit être donnée au renfort en armes et munitions, car le rapport de force en feu, notamment en feu anti-personnel et en feu anti-char, sera déterminant pour l’issue de cette guerre contre Boko Haram. Dans le même ordre d’idées, il est urgent de rendre utile la 3e dimension. Il est question que l’armée de l’air procède à des frappes aériennes stratégiques pour anéantir l’ennemi. Il est important, si ce n’est pas encore le cas,  de renforcer le renseignement prévisionnel et la prospective et anticiper dans les combats. Il faut envisager, en dernier lieu, et au cas la suite des évènements nous l’impose, des combats offensifs. L’état des routes du théâtre des opérations est une contrainte importante dans cette lutte contre Boko Haram et qu’il va falloir régler. La défense n’est pas l’affaire des seuls militaires, c’est connu de tous. Dans un contexte de guerre, tous les départements ministériels doivent contribuer à l’édification de la défense. Le ministère des travaux publics devrait par exemple devrait aider à la mobilité et à la contre-mobilité, celui des affaires sociales, à la prise en charge des déplacés, bref, il doit s’agir d’une défense globale.

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