Le président russe Vladimir Poutine a prononcé ce vendredi un discours à la séance plénière du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF). TASS a recueilli les idées clés de son intervention portant sur le conflit russo-ukrainien, la crise alimentaire mondiale et la situation géopolitique actuelle dans le monde.
La configuration de l’échiquier mondial
Vladimir Poutine se dit persuadé que l’ère d’un ordre mondial unipolaire est terminée, malgré toutes les tentatives de le « conserver » par tous les moyens.
« Il y a un an et demi, s’exprimant au forum de Davos, il a été souligné de nouveau que l’ère de l’ordre mondial unipolaire est terminée », a déclaré le chef de l’État russe, notant qu’il voulait désormais aussi commencer son discours par ceci, « sans cela, il n’y a nulle part où l’on pourrait aller. »
« Cette époque est révolue, malgré toutes les tentatives de la préserver, de la conserver par tous les moyens. C’est le cours naturel, le changement est le cours naturel de l’histoire, parce que la diversité civilisationnelle de la planète, la richesse des cultures est difficile à combiner avec les modèles politiques, économiques et autres. Les modèles ne fonctionnent pas ici, des modèles qui sont carrément, sans aucune alternative, imposés par un centre », a ajouté Poutine.
Selon lui, les élites de certains États occidentaux se font des illusions, s’accrochant obstinément à l’ombre du passé et niant la réalité changeante.
« Nous savons que parmi les dirigeants européens, au niveau des conversations informelles, discrètes, des perspectives très inquiétantes sont discutées que des sanctions pourraient être appliquées non seulement contre la Russie, mais aussi contre tout État indésirable, tôt ou tard pourraient affecter tout le monde, y compris les membres de l’Union européenne eux-mêmes et les entreprises européennes », a-t-il déclaré. « Jusqu’à présent, nous n’en sommes pas encore là, mais les politiciens européens ont déjà porté un sérieux préjudice à leur propre économie. Ils l’ont fait eux-mêmes, de leurs propres mains ».
M. Poutine a également ajouté que l’Union européenne avait complètement perdu sa souveraineté politique, alors que ses élites bureaucratiques marchaient sous la houlette des autres en acceptant tout ce que leur ordonnent leurs supérieurs et portant atteinte à leur population, économie et entreprises. « Toutes les tentatives de faire bonne mine à mauvais jeu, toutes les conversations relatives aux coûts admissibles au nom d’une pseudo-unanimité ne peuvent pas cacher l’essentiel », a dit le président à cet égard.
« Le SPIEF se déroule à un moment difficile pour l’ensemble de la communauté mondiale, alors que l’économie, les marchés et les principes mêmes du système économique mondial sont en jeu, de nombreux liens commerciaux, de production et de logistique qui ont auparavant été perturbés par la pandémie sont en train d’être testés de nouveau », a indiqué le chef de l’État russe.
Il a noté que l’Occident absorbait comme un aspirateur les produits des pays les plus pauvres et ne leur laissait que des miettes. « Ils ont imprimé énormément d’argent, et ensuite? Quelle était la destination finale de tous ces fonds? L’acquisition de produits et de services hors des pays occidentaux. C’est à ces fins qu’on utilisait cette masse monétaire imprimée. Ils se sont mis à vider les marchés internationaux comme un aspirateur, sans naturellement se donner la peine de réfléchir aux intérêts d’autres États, notamment des pays les plus pauvres », a-t-il lancé en prévenant que le manque d’engrais sur le marché entraînera une baisse des rendements et une menace de famine.
Ainsi, le dirigeant s’attend à une nouvelle aggravation des inégalités économiques dans la société occidentale, « non seulement au niveau du bien-être, mais aussi en termes de lignes directrices de divers groupes de cette société », et à un changement des élites en Europe en tant que corollaire direct des actions des politiciens européens et des événements de cette année. D’après son point de vue, en Europe, des partis politiques semblables comme deux gouttes d’eau se remplacent au pouvoir, alors que les véritables intérêts des citoyens et des entreprises nationales sont « repoussés plus loin en arrière, à la périphérie ».
« Un tel détachement de la réalité, des besoins de la société conduira inévitablement à une montée du populisme et, par conséquent, à l’augmentation de mouvements radicaux extrêmes, à de graves changements socio-économiques, à la dégradation et à un changement des élites dans un avenir proche », a-t-il remarqué.
« Maintenant, la tâche la plus importante pour l’ensemble de la communauté mondiale est d’augmenter l’offre de produits alimentaires sur le marché mondial, notamment en répondant aux besoins des pays qui ont particulièrement besoin de nourriture », croit M. Poutine.
« La Russie, en assurant sa sécurité alimentaire intérieure et son marché intérieur, est en mesure d’accroître considérablement les exportations de denrées alimentaires et d’engrais », a dit le président.
L’économie russe face aux sanctions
Les prévisions sinistres concernant l’économie russe ne se sont pas réalisées, a assuré Vladimir Poutine.
« Étape par étape, nous normalisons la situation économique. D’abord, nous avons stabilisé les marchés financiers, le système bancaire et le réseau commercial, puis nous avons commencé à saturer l’économie en liquidités et en fonds de roulement pour maintenir la stabilité des entreprises et des emplois. Les prévisions sinistres concernant les perspectives de l’économie russe, annoncées au printemps, ne se sont pas réalisées. Par ailleurs, on comprend aisément pourquoi cette campagne de propagande a été orchestrée et d’où provenaient tous ces sortilèges concernant « le dollar pour 200 roubles » et l’effondrement de notre économie dans son ensemble. Tout cela était et reste une arme de la guerre de l’information », a martelé le dirigeant.
Selon lui, Moscou a réussi à repousser la flambée de l’inflation, qui diminue progressivement aujourd’hui, et d’ajouter que la situation économique et les finances publiques de la Russie s’étaient stabilisées.
« Nous avons maîtrisé la flambée de l’inflation seulement trois mois après l’adoption d’un volet massif de sanctions. Suite au pic de 17,8%, l’inflation, comme vous le savez, se chiffre actuellement à 16,7% et ne cesse de se réduire », a précisé M. Poutine.
Dans le même temps, il a fait ressortir le nombre et la vitesse de fabrication des sanctions contre Moscou par l’Occident qui « ne connaissent pas de précédents dans le monde ». « Le calcul était clair: à l’esbroufe, d’un coup, écraser l’économie russe », a-t-il conclu tout en ajoutant: « J’ai déjà dit que le blitzkrieg économique contre la Russie n’avait aucune chance de succès, alors que les sanctions sont à double tranchant, comme vous le savez, et la pratique de ces dernières années le montre bien. »
Selon le chef de l’État, l’ouverture sera l’un des principes clés du développement de l’économie russe. « Les États vraiment souverains sont toujours disposés à [avoir] un partenariat égal et contribuer au développement mondial. Celui qui est faible et dépendant s’occupe, au contraire, de la recherche d’adversaires et de l’imposition de la xénophobie ou perd complètement son identité en suivant le suzerain », a-t-il fait avoir.
Actuellement, la Russie développe des couloirs de transport pour résoudre les problèmes logistiques et aider les entreprises. « Nous considérons le développement d’une structure de paiement pratique et indépendante en monnaies nationales comme une base solide et prévisible pour approfondir la coopération internationale », informe M. Poutine.
Les relations de Moscou avec l’Occident
Le dirigeant russe qualifie de stupides les allégations sur « l’inflation de Poutine » en Occident, en affirmant que l’opération militaire spéciale n’a rien à voir avec les pressions inflationnistes dans les pays occidentaux.
« Récemment, j’entends de plus en plus parler de « l’inflation de Poutine » en Occident. Quand je vois, je me demande toujours à qui cette bêtise est destinée. Ceux qui ne savent pas lire et écrire? Les gens qui savent lire comprennent vraiment ce qui se passe: la Russie et nos actions visant à libérer le Donbass n’ont rien à voir ici. La hausse des prix, l’inflation, le problème des denrées alimentaires, les prix des combustibles, de l’essence, des hydrocarbures en général sont le résultat d’erreurs systématiques de la politique économique du gouvernement actuel des États-Unis et de la bureaucratie européenne », a-t-il expliqué.
« La forte augmentation de l’inflation sur les marchés des matières premières est devenue un fait bien avant les événements de cette année », a résumé M. Poutine en faisant état des politiques macroéconomiques irresponsables à long terme des pays du G7, y compris l’émission incontrôlée et l’accumulation de dettes non garanties.
Or, M. Poutine a nuancé que l’opération spéciale en Ukraine « avait une certaine importance ». « Mais la racine est leur politique économique erronée. Le début de notre opération dans le Donbass est une bouée de sauvetage qui leur permet de jeter leurs propres erreurs sur d’autres, dans ce cas, sur la Russie. Mais tous ceux qui ont une éducation primaire comprennent les vraies origines de la situation actuelle « , a-t-il précisé.
« Nous voyons les problèmes sociaux et économiques en Europe et aux États-Unis. […] Selon les experts, seules les pertes directes et dénombrables de l’Union européenne dues à la fièvre des sanctions pour l’année à venir pourraient dépasser 400 milliards de dollars. Tel est le prix des décisions déconnectées de la réalité, à l’encontre du bon sens. Ces coûts se reflètent directement sur la population et les entreprises de l’UE. La croissance de l’inflation dans certains pays de la zone euro a dépassé 20%. J’ai parlé de notre inflation, mais les pays de la zone euro ne mènent pas d’opérations spéciales, or l’inflation a augmenté chez certains jusqu’à 20% », telle est l’analyse de la conjoncture européenne par le président russe.
En ce qui concerne les relations bilatérales entre la partie russe et les Occidentaux, les concepts clés pour les entreprises tels que la réputation des entreprises, l’inviolabilité de la propriété, la confiance dans les devises internationales ont été complètement sapés par les partenaires étrangers. « Et cela a été fait de manière intentionnelle, par souci d’ambition, au nom de la préservation des illusions géopolitiques surannées », a souligné le chef d’État en supposant, en outre, que la perte du marché russe par les entreprises étrangères entraînerait une baisse de leur compétitivité.
Par ailleurs, l’homme politique a qualifié la vague actuelle de russophobie de tentative d’isoler et d’annuler Moscou comme rebelle contre l’Occident.
« La Russie, malgré le fait que nos amis occidentaux, pour ainsi dire, en rêvent, ne prendra jamais la voie de l’auto-isolement et de l’autarcie. Nous élargissons et continuerons d’élargir la coopération avec tous ceux qui sont intéressés, qui veulent travailler avec nous. Il y en a beaucoup, c’est la grande majorité des gens sur Terre. Je ne vais pas énumérer tous ces pays maintenant », a indiqué le président Poutine.
L’opération en Ukraine
Pour ce qui est de l’opération militaire spéciale visant à protéger le Donbass, Vladimir Poutine a réitéré que tous ses objectifs seraient accomplis, « et la clé en est le courage et l’héroïsme de nos soldats et la consolidation de la société russe, dont le soutien donne force et confiance à l’armée et à la flotte russes ».
Dans la situation actuelle, sur fond de risques et de menaces croissants pour nous, la décision de la Russie de lancer une opération militaire spéciale était forcée. Elle était, bien sûr, difficile mais forcée et nécessaire. C’est une décision d’un pays souverain qui a le droit inconditionnel basé sur la Charte de l’ONU de défendre sa sécurité », a commenté le président les évènements en Ukraine.
De plus, il a rappelé que Moscou n’entravait pas les livraisons des produits alimentaires ukrainiens sur les marchés mondiaux. « Nous n’avons pas miné les ports ukrainiens dans la mer Noire. Il faut qu’ils les déminent pour exporter, nous assurerons la sécurité du passage de ces navires civils », a-t-il signalé.