Veille de Noël – Louis-Marie Kakdeu : « L’augmentation du fret maritime de plus de 600% »

Louis-Marie Kakdeu

L’économiste, président du Forum camerounais des services de conseil agricole (Camfass) Louis-Marie Kakdeu explique la flambée des prix cette année et propose d’accroître la production locale.

Les fêtes de fin d’année, un calvaire des populations avec les prix qui étaient déjà en hausse et qui grimpent davantage. Comment expliquer ce phénomène ?

Il faudrait simplement comprendre que l’offre continue d’être inférieur à la demande notamment pour cette période de fin d’année où les fournisseurs nationaux et internationaux sont doublement sollicités. Généralement, le Cameroun s’assure de l’augmentation de l’offre et de la disponibilité des produits en fin d’année à travers des mesures incitatives (à l’importation). Cette année, rien de spécifique n’a été observé. Par conséquent, l’on termine l’année comme on l’a commencé, avec des déficits. Le pays aura accumulé 1,2 million de tonnes de déficit de riz cette année, 350 000 tonnes de déficit de poisson, 900 000 tonnes déficit de maïs, 800 000 tonnes de déficit de blé, etc. Le pays importait 97% de son besoin en riz, 100% de son besoin en blé, 100% de son besoin en poisson, etc. Vous voyez que si les fournisseurs internationaux sont largement sollicités pendant cette période de fin d’année, alors la raréfaction des produits sur le marché va forcément engendrer l’augmentation des coûts. La seule action annoncée est l’ouverture des points de promotion par le ministre du commerce. La question est de savoir comment va-t-il faire pour promouvoir les produits déficitaires ?

Cette flambée des prix est-elle bénéfique pour l’économie du pays ?

Non, au contraire elle est néfaste pour l’économie nationale. C’est le consommateur qui supporte les coûts. Les importateurs d’une part et les distributeurs d’autre part ne font que répercuter sur le consommateur le surcoût de l’importation ou de la production. Pire, cela accentue la fuite des devises dans la mesure où une plus grande masse financière doit sortir du pays pour acheter peu de biens.

La vie chère prend des proportions incompréhensibles, en 2023 la situation pourra-t-elle être maîtrisée ?

La situation ne sera pas maîtrisée en 2023 dans la mesure où, le pays dépendra toujours de l’extérieur pour l’achat de ses biens de consommation. La situation de l’extraversion du pays n’a pas été suffisamment traitée dans la loi des finances 2023. Je vais vous donner l’illustration à travers quatre articles-clé de cette loi. L’article 122 parle de la promotion de la production au niveau local à travers l’attribution de 5 ans d’exonération de la patente et de l’impôt sur le revenu aux exploitants individuels pendant la phase d’exploitation. En limitant la disposition de la loi aux exploitants individuels, l’on annule l’effet que la loi pouvait avoir sur la vie chère parce que ces derniers ne payaient pas déjà les impôts par le passé pour que cette disposition soit une aubaine pour eux. Les investisseurs qu’il faut inciter à produire localement n’ont pas été touchés puisqu’ils sont des personnalités morales investissant sous forme d’entreprise.

Il faudrait donc élargir la disposition à tous les exploitants agricoles ou tout simplement à toutes les entreprises agricoles. Ensuite, l’article 124 parle dans la transformation locale et promet l’abattement de 30% sur les droits d’assises des entreprises brassicoles qui achètent 40% de leur matière première au niveau locale. Encore une fois, pourquoi limiter la disposition à la bière ? Il fallait l’étendre à toute l’agro-industrie pour espérer un quelconque effet sur la vie chère en 2023. Par exemple, il fallait que la mesure touche les meuniers pour espérer voir la stabilité des prix de la farine sur le marché. L’article 128 parle de l’exonération de la Tva aux entités publiques qui achèteraient directement aux producteurs. Cette mesure pouvait avoir un effet sur la consommation des ménages si les entités privées étaient concernées. Encore une fois, pourquoi limiter aux entités publiques. Pire, à l’article 229, une taxe spéciale sur les produits pétroliers a été instituée. On me dira que cela ne concerne que le gaz, mais c’est de nature à provoquer l’augmentation des coûts de production et donc, des prix de vente sur le marché. A mon avis, le gouvernement pouvait y renoncer.

Que faut-il pour que cette situation remédier à cette situation ?

Il n’y a pas mille solutions. Il faut augmenter l’offre. Contrairement au gouvernement qui le fait à travers l’attribution des incitations pour importer massivement de l’étranger, je pense qu’il faudrait faire l’inverse et donner plus d’incitation pour produire massivement localement. Cela nous épargne des chocs externes comme l’augmentation de plus de 600% du fret maritime qui a été à l’origine de la flambée des prix tout le long de l’année. Nous devons produire localement pour avoir la maîtrise des prix. Et pour cela, il faut une réelle volonté politique. C’est une denrée rare au Cameroun en ce moment.

Propos recueillis par Guillaume Aimée Mete

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