Il ne fait plus de doute que le Cameroun est un pays installé dans une crise multiforme.S’il y a quelques années les maux ressentis étaient essentiellement la pauvreté et la corruption, d’autres situations de crise s’amoncèlent. La pauvreté ne régresse véritablement pas, la corruption ne connaît pas de répit malgré de nombreuses arrestations. Les inégalités se creusent. Le FMI indique que l’indice des inégalités a augmenté entre 2010 et 2014 passant de 42.2 à 46.6. A cette situation qui mobilise déjà assez d’énergie et de ressources politiques, se sont ajoutés : le terrorisme dans la partie septentrionale avec notamment la lutte contre la secte
islamique Boko Haram qui n’en finit pas de faire parler de lui chaque semaine, les enlèvements dans l’Adamaoua ; la crise dite anglophone depuis trois ans avec son cortège de maux ; et aujourd’hui une crise politique marquée par la contestation des élections du 07 octobre 2018. A ces nombreuses crises qui minent alors le Cameroun vient se joindre aujourd’hui une plus inquiétante, une crise sociale et morale marquée par la montée du tribalisme par idéologies et idéologues rangés, par médias et réseaux sociaux interposés. C’est cette dernière qui doit éminemment faire craindre pour les lendemains. En effet,si nous nous insultions fièrement sans réelle animosité par nos origines tribales il y a quelque temps, pour soit railler les excès que chacun de nous présentait dans un comportement donné, aujourd’hui il faut être prudent de le faire, de peur d’être l’étincelle qui déclencherait le feu, tant les fossés se creusent par des batailles rangées par média interposés.Cette situation interpelle tout citoyen normal même s’il ne fait pas fondamentalement partie des groupes sociaux en faïence à l’heure actuelle parcequ’in fine il s’agit de notre pays. Et quiconque a appris l’histoire du génocide rwandais devrait en avoir peur et s’en préoccuper. Devant un tel tableau, comment s’en tirer ? Telle est le sens de notre modeste contribution.
1-SORTIR DE NOS TRANCHÉES TRIBALES DE FORTUNE AU MOYEN DE NOTRE NATIONALITÉ COMMUNE ET DE NOTRE DEVENIR COMMUN.
Flandre, le soir du 24 Décembre 1914. La première guerre mondiale de l’histoire venait de commencer, des millions de soldats campaient dans les tranchées de fortune.
Souvent seulement trente ou cinquante mètres, pas plus, séparaient les armées ennemies, c’était l’enfer. Le froid de l’hiver, l’eau dans les tranchées, il fallait partager les quartiers avec des rats, dormir en position debout. Entre les armés, un no man’s land jonché des cadavres. La haine des uns envers les autres était à son comble. Et pourtant, la nuit tombée, quelque chose d’inouï se produisit écrit JEREMY Rifkin[1] dans son livre dont le titre nous a inspiré ce papier.
Cette nuit du 24 Décembre 1914, au cinquième mois de la guerre, les allemands allumèrent des bougies sur des milliers des petits arbres de Noel envoyés au front pour leur apporter un peu de confort. Et ils entonnèrent des chants de Noel. Stupéfaction des soldats Britanniques. Ils répondirent par des applaudissements d’abord timides, puis à tout rompre. Ils envoyèrent des chants de Noel à l’ennemi, qui les applaudit aussi vigoureusement. Alors des deux côtés quelques soldats courageux rampèrent hors des tranchées. Ils s’engagèrent dans le no man’s land, allèrent à la rencontre les uns des autres. Ils furent vite des centaines et quand on se passa le mot, le long du front, des milliers de soldats surgirent des retranchements. Et on se serrait la main s’échangeait de cadeaux et cigarettes, chacun montrait la photo de sa famille, décrivait sa région d’origine. On évoquait les Noëls précédents, on riait de l’absurdité de la guerre. Cette histoire que restitue JEREMY RIFKIN dans son livre fait surgir, dans un contexte paroxystique de la
guerre un élément fondamental qui a permis à ces hommes malgré leur adversité, de se dépasser. Il s’agit de leur humanité commune.
Initialement rassemblés là pour s’entretuer, l’humanité qui gît en eux a pu les déterminer à rompre les rangs désobéir aux ordres pour célébrer leur sort commun, la vie qu’il y a en eux. Pareillement à ces soldats en pleine guerre, la situation actuelle du Cameroun commande que nous sortions de nos tranchées tribales de fortune creusées ces dernier temps au gré des intérêts égotistes, en mettant en avant ce pays, le berceau de nos ancêtres chantons nous aussi, cette nationalité dont nous avons été fiers à des moments glorieux. Sortons de nos tranchées politiques dont les hauteurs ne nous permettent plus de voir la fraternité commune qui nous anime et qui nous a de tous temps permis d’être en paix. Sortons de nos tranchées médiatiques par lesquelles feignant de combattre un phénomène, nous sommes en train de le promouvoir. Et si en ce moment le silence était la meilleure façon de combattre le tribalisme.
Souvenons-nous qu’avant les réseaux sociaux et les médias aujourd’hui véritables tribunes d’épanchement des propos haineux, nous vivions avec ce tribalisme invisible, inaudible, illisible et donc non ressenti comme aujourd’hui. Sortons de nos tranchées de réseaux sociaux qui nous cachent et masquent le vrai visage du frère ou de la sœur tatoué du vert-rouge-jaune et qui vilipende, calomnie, détruit celui qui ne pense pas comme lui. Sortons de nos tranchées des égoïsmes népotiques et clientélistes qui excluent le nécessiteux de notre aide et aggravent en lui le sentiment d’exclusion et de rejet. Et pour la petite histoire ci dessus visée, le jour levé, les généraux restés au chaud à des endroits secs, apprendront que les soldats ont cessé de faire la guerre et qu’ils sont plutôt en fête sans distinction de ligne de front. Ils seront enjoints de rompre cette trêve et de reprendre les hostilités. Et nous, sommes prêts à abandonner notre humanité commune, notre fraternité, la nationalité dont nous sommes fiers pour écouter les sirènes des généraux de la division ?
2-UN ENFANT DE L’ÉCOLE MATERNEL NOUS RÉPOND.
04 septembre 2018, c’est la rentrée scolaire. En ce début des classes, les parents sont très enchantés, surtout les pères, pour accompagner leur progéniture à l’école, avant que quelques semaines de labeurs leur fassent abandonner la charge plus tard aux mères vaillantes. Dans le taxi qui nous conduisait au travail, nous rejoignent une fillette et son père. Elle devait avoir entre 3 et 4 ans. Contrairement à son père qui s’assit sans rien dire d’autre que de nous demander de lui faire un plus d’espace, la fillette nous salue : «bonjour tonton, bonjour tantine».
Nous lui rendîmes naturellement la politesse. Quelques minutes plus tard, le père et la fille descendirent. La petite prit encore le soin de nous dire «au revoir tonton au revoir tantine». Ce comportement nous fit réfléchir. Voici une fillette qui est vierge de tout sentiment tribal, elle considère tout le monde comme son oncle et sa tante. Qu’est ce qui va se passer pour que plus tard cette fillette en grandissant, au lieu que, grâce à la raison qu’elle acquerra, considère tout le monde comme ses parents, les envisagera comme des étrangers ? C’est la socialisation. L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt disait JJ Rousseau, car s’il vient avec un héritage génétique, son esprit est une tabula rasa sur laquelle viendront se graver les impressions du monde extérieur dans lequel il jeté. Très jeune comme elle est,on n’ose pas lui indiquer que tel ou tel voisin n’est pas proche d’elle car, ne voyant pas de différence entre ceux qui sont ses parents et ceux-là, elle poserait de nombreuses questions pour comprendre. Mais grandissant, l’on lui indiquera que tel voisin vient du nord, que tel autre est de l’Ouest et que seul tel autre est véritablement son oncle ou sa tante au contraire des autres. Cette fille, s’il nous était donné de la rencontrer dans 10 ans, elle serait déjà injectée des venins mortifères du tribalisme, du clanisme. Et sur cette base, elle catégoriserait la société dans laquelle elle vivra. Sur cette base également elle servira ses semblables. On n’oubliera pas de lui indiquer que les ressortissants de telle région sont paresseux, ceux de telle autres sont voleurs, tels autres sont cupides égoïstes, naïfs etc.Cette éducation sociale,l’école ne peut la déconstruire. C’est ce qui justifie sans doute le fait que même, aux cimes de la rationalité, cette réalité nous rattrape parfois dans les moments d’inconscience où l’on privilégie le frère à un autre.
Prenons les leçons de cette fillette, nous sommes tous des cousins et des frères unis dans et par un même pays. Personne n’a choisi naître ici plutôt qu’ailleurs, alors il n’y a rien à faire d’autre que d’agrémenter notre existence passagère sur la terre. Laissons la fillette grandir sans lui dicter ceux qui sont ses frères et sœurs. Ce sont ses camarades de classe de la maternelle, du primaire de la fac et plus tard de la grande société humaine qui seront ses frères et sœurs. Le vrai combat
du Cameroun est dans la lutte contre la pauvreté qui gangrène tout le pays peut-être diversement ressenti, mais partout présente. Le vrai combat c’est la corruption et elle n’épargne pas une tribu, peut-être celle des plus nantis qui se recrutent dans toutes les tribus. Le vrai combat c’est celui de la paix seule gage de tout développement. Nous sommes tous différents, venons tous d’une région donnée, mais nous sommes unis par notre fraternité, notre nationalité qu’il faut protéger.
Elles seules nous permettrons de sortir de nos tranchées pour célébrer la vie en nous. Il n’y a que deux tribus disait le Pr Hubert MONO NDJANA, la tribu de ceux qui possèdent tout et celle de ceux qui n’ont rien.
Daniel Yegué Witsa, écrivain