CAN: un peu de rêve pour une équipe de foot de réfugiées nigérianes

Refugiés jouant du football

Il est des regards que les mots peinent à décrire. A quoi pensent ces jeunes réfugiées nigérianes quand elles s’avancent vers le stade de Garoua, dans le nord du Cameroun, pour soutenir leur équipe nationale à la Coupe d’Afrique des nations?

Cela fait des années qu’elles ont fui leur pays et les exactions des jihadistes de Boko Haram, des années qu’elles vivent dans un camp de réfugiés à Minawao, dans l’extrême-nord du Cameroun.

Là, elles jouent au football. Âgées de 15 à 20 ans, elles ont monté une équipe et s’entraînent quand elles le peuvent, avec les moyens du bord.

Mi-janvier, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, leur a fourni des billets pour le match Nigeria-Soudan. Elles ont parcouru en bus les 200 km qui séparent Minawao de Garoua, et ont dormi à l’hôtel. Pour elles, tout est nouveau.

Au moment de partir pour le stade, l’une d’elles réajuste le tee-shirt « Nigeria » qui retient ses cheveux. D’autres ont saupoudré leur visage de paillettes et souligné leurs yeux au crayon.

Le Nigeria l’emporte 3-1. A chaque but, elles crient de joie, dansent, agitent un petit drapeau. A la fin du match, elles descendent sur la pelouse, posent en photo avec les officiels de la Confédération africaine de football.

« C’est tellement incroyable. Je suis si heureuse », confie Salamata Timothy, 20 ans.

– Un camp de 70.000 réfugiés –

« Aller au stade est une expérience inoubliable pour ces filles. Elles prennent conscience qu’elles peuvent faire des rêves elles aussi. Pour la plupart, elles sont arrivées ici enfant et c’était la première fois qu’elles sortaient du camp », explique Luka Isaac, représentant des réfugiés à Minawao.

Le lendemain du match, les jeunes filles rentrent dans le vaste camp, baigné dans une brume de sable et de chaleur qui cache les montagnes à l’horizon. Elles reviennent en héroïnes et sont accueillies par des nuées d’enfants. Ils sont des centaines à les avoir vues sur la télévision du centre communautaire.

Ouvert en juillet 2013 au plus fort de la crise pour répondre à l’afflux massif des réfugiés nigérians au Cameroun, Minawao est le plus grand camp de la région. Avec ses 70.000 réfugiés, il ressemble à une petite ville, à une trentaine de kilomètres de la frontière.

Le terrain de foot occupe une partie d’une vaste étendue de terre battue cabossée, délimité sur sa longueur par deux cages bleues.

« Je suis arrivé en 2013. Au début, nous avions des maillots, des chaussures, mais nous n’avons plus de matériel. C’est devenu quasi impossible de jouer alors que c’est si important pour nous, pour notre santé et notre bien-être », assure Saratu Yakubu, 19 ans.

Récemment, un don de la coopération allemande a permis aux garçons d’obtenir quelques maillots et ballons, mais rien pour l’équipe féminine.

« On a dépassé la période d’urgence et les fonds s’amenuisent car les situations comme celle des Nigérians commencent à se faire oublier des grands bailleurs. Les besoins changent. Il faut maintenant créer les conditions du développement », plaide Xavier Bourgois, porte-parole du HCR au Cameroun.

« Si aucun camp n’a vocation à durer », rappelle-t-il à l’AFP, « un rapatriement doit être volontaire, se faire dans la dignité et dans la sécurité ». « Or, les conditions sécuritaires ne sont pas suffisantes », tranche-t-il.

– Manque de ballons… et de livres –

Aux confins de quatre pays –Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria–, les jihadistes de Boko Haram et de sa dissidence du Groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) lancent toujours des attaques meurtrières. Depuis le début de cette rébellion islamiste en 2009 dans le nord-est du Nigeria, le conflit a fait, dans ce seul pays, près de 36.000 morts et deux millions de déplacés.

« Je rêve de rentrer au Nigeria et de devenir docteur », confie pourtant Lucy Bitrus, 18 ans, de l’équipe féminine de Minawao. Sa mère vend des gâteaux au marché, son père est surveillant à l’école. Elle dort sous une paillote, sur un matelas à même le sol en terre battue.

Pour aider sa famille, elle coud des chéchias, des couvre-chefs portés par les hommes de sa région, qu’elle revend au marché pour 10.000 Francs CFA (15 euros).

Sur son temps libre, elle étudie à la lumière d’une petite lampe solaire. La seule affiche dans sa chambre est le tableau périodique des éléments de Mendeleïev.

Lucy, qui rêve d’entrer à l’université, sort son livre de biologie, son « objet préféré »: « Il ne manque pas que des ballons ici, on veut aussi des livres ».

Agence France-Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *