Cameroun – Dr Désiré Tchoffo : « 6361 victimes de morsure de serpent en 2021 au Cameroun »

Serpents en tas

L’épidémiologiste de la santé publique et président de l’Opms-Ce (Ordre des professions médico-sanitaires (région du Centre) renseigne sur le phénomène de morsures de serpents, souvent négligé au Cameroun.

Le Cameroun vient de commémorer la quatrième journée mondiale de morsure de serpents, mais ce phénomène, bien qu’il soit connu de tous est moins suivi. Quelle est la situation du phénomène de morsure de serpents au Cameroun ? Dans quelles zones ce phénomène est-il récurrent ?

La situation de morsure de serpent demeure un réel problème de santé publique au Cameroun. Ce problème affecte particulièrement les couches de population les plus défavorisées telles que les agriculteurs des zones rurales. Jusqu’au mois d’août 2021, le Cameroun a enregistré 6361 cas cumulés de morsures de serpents et 37 cas cumulés de décès. La région du Centre reste celle qui a enregistré le plus grand nombre de cas de morsures de serpents avec une moyenne d’environ 39 cas chaque semaine.

Y-a-t-il des serpents avec des venins plus dangereux que les autres ?

La toxicité et la dangerosité des venins de serpents est variable selon les espèces venimeuses de serpents en présence. Au Cameroun, 150 espèces de serpents ont été recensées. Parmi elles, l’on note 32 espèces de serpent venimeux. Ces espèces venimeuses peuvent être responsables de trois types d’envenimations : les envenimations cytotoxiques responsables des œdèmes localisés, progressifs ou généralisés; les envenimations hémorragiques, où le venin agit essentiellement sur les parois vasculaires et sur les facteurs de coagulation pour provoquer des saignements persistants au site de morsure, ainsi que les points de saignement à distance ; les envenimations neurologiques où les récepteurs du venin de serpent sont particulièrement présents sur les tissus nerveux. Il peut être responsable des paralysies et autres déséquilibres neurologiques. Parmi les 32 espèces venimeuses, l’on peut citer les serpents de la famille des « viperidae » comme la vipère géante « Bitis Arietants », la vipère cornée, la vipère des pyramides, la vipère du Gabon dont les venins sont cytotoxiques et hémorragiques. Les espèces de la famille des « elapidea » à l’exemple du mamba vert, du mamba noir, du cobra cracheur et du cobra des forêts regorgent de venins neurotoxiques. Par contre, les petites vipères comme le « causus » ont un venin faiblement cytotoxique.

Combien de victimes de morsure de serpents se rendent dans les hôpitaux pour se faire administrer des soins ?

Le nombre de victimes de morsure de serpents qui sollicitent les soins dans les formations sanitaires varie selon les saisons. Selon des chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), en 2021, près de 5.4 millions de cas de victimes de morsure de serpents et 2,7 millions de cas d’envenimation sont enregistrés chaque année dans le monde. Pour ce qui est du Cameroun, au cours des huit premiers de l’année 2021, 6361 victimes de morsure de serpent ont consulté les formations sanitaires du pays, où 37 cas cumulés de décès ont été enregistrés au cours de la même période.
A l’hôpital, les professionnels de santé sont formés pour mieux évaluer les victimes, appréciant s’ils présentent des morsures venimeuses ou non. Les protocoles de traitement varient selon les différents signes cliniques présentés par les victimes. Cependant, les victimes consultent le plus souvent après avoir reçu les soins dangereux dans leur communauté, à l’exemple de la pose du garrot, de la scarification pour la pose de la pierre noire, de la succion et du massage du site de morsure, de la consommation des urines, dont l’interdiction, à cause des risques sanitaires chez les individus, reste peu connu des victimes. Il est conseillé, en cas de morsure de serpent, que la victime soit rassurée et qu’elle garde son calme. Elle doit ensuite enlever tout habit et bijou serré ou potentiellement serré ; immobiliser le membre mordu à l’aide d’une attelle ou d’une écharpe. Après cela, il faut transporter la victime rapidement mais prudemment au centre de traitement. Si possible, on y conduira le patient avec le serpent tué.

Ne pensez-vous pas que les victimes se réfèrent à ce qu’elles savent le mieux et ce qui leur a été légué (Des astuces ou méthodes peu recommandées), parce que les centres de soins sont généralement éloignés des lieux où elles ont été mordues ?

Les victimes se réfèrent systématiquement à ce qu’elles considèrent comme gestes de premiers secours en cas de morsure de serpents, qu’elles soient éloignées ou proches des structures de soins.

Qu’en est-il de la prise en charge des victimes de morsure de serpents au Cameroun ? Y-a-t-il des médecins spécialisés pour s’occuper d’eux ?

Au Cameroun, plusieurs infirmiers et médecins sont formés dans la prise en charge des morsures de serpents. Toutefois, l’on se rend compte que la majorité des victimes recourent tout d’abord à la médecine traditionnelle après avoir été mordues par un serpent. Dans nos hôpitaux, l’on fait face depuis plus d’une décennie à une carence en anti-venins, médicaments par excellence recommandés pour traiter les cas d’envenimation par morsure de serpent.

Pourquoi, selon vous, le phénomène de morsures de serpent est négligé au Cameroun ?

Les morsures de serpents font partie de la catégorie prioritaire des maladies tropicales négligées. Il s’agit d’un phénomène négligé dans un premier temps par les victimes, qui ne mettent pas en application des mesures indiquées pour prévenir les risques de morsures de serpents. Ce phénomène est négligé au second niveau par les politiques du système de santé mises en place et qui accordent peu d’intérêt à la question des morsures de serpent. En troisième lieu, cette maladie est négligée par les bailleurs de fonds et l’industrie du médicament qui s’intéressent moins à la production des anti-venins sollicités à chaque niveau de la pyramide sanitaire.

Que faites-vous pour sensibiliser les populations des zones rurales ?

La sensibilisation des populations en zones rurales utilise une approche intégrée, impliquant plusieurs intervenants, à l’instar des hommes de médias, des professionnels de la biomédecine et de la médecine traditionnelle. Nous convions souvent les médias à la table de discussion pour qu’ils puissent relayer l’information vers les cibles visées. Nous organisons également des ateliers de formation, des tables rondes de discussion avec les tradipraticiens et les professionnels de la médecine moderne pour qu’ils soient suffisamment outillés sur les guidelines de gestion des cas et des actions de prévention à implémenter et à diffuser par des campagnes de sensibilisation au sein des communautés des zones rurales et urbano-rurales. Pendant les séances de sensibilisation, en plus des gestes de premiers secours plus haut mentionnés, nous insistons sur ce qu’il faut faire pour prévenir les morsures de serpent. C’est alors que l’accent est mis sur : l’utilisation des équipements de protection individuelle (bottes, vêtements longues manches) dans des environnements à risque de morsure de serpent ; l’utilisation d’une source lumineuse lorsqu’on se déplace dans les espaces obscurs où l’on risque de piétiner un serpent ; l’aménagement de l’environnement (défrichage, hygiène de l’habitat …); la lutte contre les rongeurs dans l’environnement intérieur des habitations car ils constituent des proies qui attirent des serpents à l’intérieur des domiciles ; la vérification de l’environnement intérieur des chaussures et des oreillers avant leur usage; dormir sous moustiquaires.

Propos recueillis par Guillaume Aimée Mete

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