Péril sur la filière coton au Cameroun

Filière coton au Cameroun

Avec près de 6 milliards Fcfa de pertes enregistrées à ce jour, un outil de production obsolète, une situation financière fragile et le cours mondial suffisamment bas consécutif à la baisse mondiale de la consommation textile, la Société de développement de coton (Sodecoton) n’est pas au bout de ses supplices.

Enquête.

S.O.S. Il faut sauver le coton camerounais ! Les voyants sont au rouge. L’or blanc tend à « bronzer » ! Son avenir est plus qu’incertain et le diagnostic de la Sodecoton est là pour démontrer que loin d’une simple alerte, la situation est bien plus chaotique qu’elle n’en a l’air. Entre
le cours mondial bas et la baisse mondiale de la consommation textile, le retard dans l’approvisionnement en pièces et consommables, la pluviométrie irrégulière, l’environnement socio-économique (ex : tensions agriculteurs éleveurs Ndlr), le risque de pertes de produits, la commercialisation des tourteaux et le prix presque suicidaire des intrants, ce serait un doux euphémisme de dire que la Sodecoton file du mauvais coton. A ce tableau suffisamment sombre vient se greffer d’autres faiblesses qui viennent pratiquement proclamer la mort de cette filière qui a pourtant jadis connu une embellie. Il s’agit entre autres de l’insuffisance du fonds de roulement, la capacité de transformation devenue insuffisante et allongeant la période d’égrenage à 200 jours/campagne, l’instabilité du réseau Eneo, le retard dans la mise en place des investissements et la fiscalité dont les coûts étranglent presque les caisses de l’entreprise.

Passation des marchés

Si au cours des dix dernières années la filière coton camerounaise a été très dynamique avec un triplement de la production cotonnière qui est passé de 110 mille tonnes à plus de 330 mille tonnes, ce contexte très favorable n’a pourtant pas bénéficié à la Sodecoton qui, au contraire, a enregistré des pertes d’une telle importance (-36 milliards Fcfa entre 2014 et 2016 Ndlr) que sa survie même était mise en jeu.Ce paradoxe s’explique par « l’incapacité de la Sodecoton à égrener dans des délais raisonnables et dans de bonnes conditions (avant le démarrage de la saison des pluies) une production de coton toujours plus importante », peut-on lire dans un récent rapport de la gestion du Conseil d’administration à l’assemblée générale.

La cause principale de cette contre-performance résidait, apprend-on, dans les procédures de passation des marchés publics auxquelles étaient astreinte la Sodecoton jusqu’en 2018 et qui avait les conséquences suivantes : « contraindre la Sodecoton à céder la maîtrise d’œuvre à des tiers pour des marchés supérieurs à 500 millions Fcfa alors qu’elle disposait de toute l’expertise nécessaire, ce qui prolongeait les délais d’exécution de 70 à 90 jours et générait un surcoût de 3 à 7 % du montant du marché ; soumettre l’entreprise à l’obligation de respecter les arbitrages d’organes extérieurs qui n’ont à supporter ni les conséquences techniques des retards dans l’exécution des différentes phases de passation des marchés, ni les conséquences de choix de fournisseurs insuffisamment qualifiés ou des fournitures non-conformes ; un retard dans la collecte et l’égrenage du coton graine de deux à quatre mois ; l’altération à des degrés divers d’au moins 20 % de la production de coton graine par les pluies avec des conséquences en cascade sur la qualité de la fibre, de la graine, de l’huile et de l’aliment bétail ».

Les capitaux réduits à néant

Or, la Loi de 2017 devait permettre à la Sodecoton de sortir du carcan des marchés publics en lui permettant de se doter de procédures internes de passation des marchés sous le contrôle de son conseil d’administration. Société anonyme d’économie mixte au capital de 1 milliard 510.000.000 Fcfa, force est de constater que la nouvelle procédure mise en place par la direction générale et son conseil d’administration, sans doute par crainte d’apparaître laxiste, est très fortement calquée sur l’ancienne procédure et n’apporte que peu d’amélioration en termes de réactivité et de délais. « Un plan de redressement de la Sodecoton a par ailleurs été établi et adopté par le Conseil d’administration en 2017 mais sa mise en œuvre s’avère retardée, en particulier pour la réalisation des investissements de modernisation et d’augmentation de capacité des usines, en raison de la dégradation de la situation financière de la société. Les pertes des exercices 2014 à 2016 ont en effet réduit les capitaux propres à néant et malgré le redressement opéré depuis 2017 ceux-ci demeurent très faibles. Or, le niveau des capitaux propres détermine la capacité d’endettement d’une entreprise auprès des banques », renseigne le document dont le Messager a obtenu copie.

Le récent financement obtenu par l’Union Européenne concerne un appui aux producteurs, ce qui ne résout aucunement la problématique de capacité industrielle de Sodecoton. Il y a pourtant urgence car à ce jour la Sodecoton est contrainte de freiner l’engouement des producteurs de coton en limitant les intentions de culture.

Malgré cela la production de coton attendue pour la campagne en cours va enregistrer un nouveau record et pourrait atteindre 350 mille tonnes. Un tel niveau de production pourra difficilement être traité dans de bonnes conditions par les capacités actuelles de la Sodecoton et celle-ci s’expose à de nouvelles pertes telles que celles de la période 2014-2016. Ainsi, le résultat prévisionnel 2020 est estimé à -5,6 milliards de Fcfa (durée allongée période égrenage, baisse des cours mondiaux, dégradation des graines et tourteaux, etc.).

La menace Covid-19

L’exercice 2020, apprend-on, se caractérise principalement par les difficultés d’exportation de la fibre de coton consécutivement à la crise sanitaire mondiale du Covid-19. Un effondrement brutal et continu du cours de la fibre a été constaté dès le premier trimestre de l’exercice et, au 30/06/2020 un retard significatif d’embarquement d’environ 23 000 tonnes a été enregistré comparativement à la même période de l’année 2019.

La conséquence directe induite par cette situation est l’accroissement du coût de stockage et de manutention de la fibre auquel s’ajoute, si l’on tient compte de la pluviométrie dans la zone, le risque de dégradation de toutes sortes. « L’impact de la pandémie du Covid-19 a été le ralentissement des embarquements de la fibre de coton. En effet, à fin mai 2020, comparativement à fin mai 2019, la Sodecoton a accusé un retard d’évacuation d’environ 23 0500 tonnes de fibre de coton. La conséquence est la baisse du chiffre d’affaires d’environ 22 milliards de francs de Fcfa et l’accroissement du coût de stockage et de manutention dans les magasins », déplore les administrateurs.

Christian TCHAPMI

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