Musellement : Un militant du MRC incarcéré pour distribution de tracts

L’homme d’une quarantaine d’années est accusé d’insurrection. Il lui est reproché d’avoir convié le public à assister à une manifestation de soutien à Maurice Kamto, considéré comme vainqueur de la Présidentielle, et à contester la victoire électorale qualifiée de «volée» de Paul Biya comme chef de l’Etat. Il croupit en prison.

Décidément, il ne fait pas bon de contester en public la réélection présidentielle de Paul Biya. Âgé d’une quarantaine d’années, Yves Sonna, militant du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), l’a appris à ses dépens. Il est embastillé à la prison centrale de Kondengui depuis le 3 novembre 2018. Le ministère public lui reproche les faits supposés d’attroupement, notamment, le fait pour lui d’avoir distribué «trois tracts» au quartier Mvog-betsi au lieudit Nkolbikot à Yaoundé. Les tracts querellés appelaient le «peuple» à dire «non au hold-up électoral» supposé orchestré lors du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018 au Cameroun. Le mis en cause, qui clame son innocence, sera fixé sur son sort ce 30 novembre. En effet, le juge qui examine l’affaire au Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif a entendu les arguments des parties.

C’était lors de l’audience du 13 novembre dernier. Pour asseoir l’accusation, le ministère public a indiqué que les éléments du Commandement opérationnel de la gendarmerie nationale ont été dépêchés au quartier Mvog-Betsi le 3 novembre 2018 à la suite d’un renseignement selon lequel «un attroupement et une vive dispute » étaient en cours dans ledit quartier. Arrivés sur les lieux, M. Sonna a été «extirpé d’une foule abondante de plus de cinq personnes, haranguant les foules».

«Il a été surpris diffusant un discours de révolte contre la prestation de serment du président de la République Paul Biya, et distribuant des tracts.» Interrogé, M. Sonna va expliquer que le jour des faits, il a reçu de son voisin, un certain Bertin, les tracts querellés pour qu’il les distribue aux passants. Assurant qu’il «ignorait le caractère insurrectionnel» des documents. En guise de preuves à conviction, le ministère public a versé les tracts litigieux dans le dossier de procédure. Le tribunal a estimé les charges suffisantes, conviant le mis en cause à présenter sa défense. M. Sonna va choisir de faire sa déposition sans serment.

Ce qui signifie que personne, y compris le juge, ne peut l’interroger sur ce qu’il aura déclaré. En moins de cinq minutes, le mis en cause a presque répété mot pour mot la relation des faits exposés par le ministère public. Il a cependant précisé qu’il n’a pu distribuer que «trois tracts» lorsqu’il a «découvert que le contenu n’était pas de bonne qualité». Il va décider de stopper la distribution des tracts remettre le reste à son voisin Bertin. C’est pendant le chemin retour qu’on l’a interpellé. En prenant ses réquisitions, le ministère public va considérer que le mis en cause «a préféré fuir le débat contradictoire» à travers son choix de défense. Il a balayé d’un revers de la main l’ignorance avancée par M. Sonna pour se tirer d’affaire. «Il n’est pas analphabète. En qualité de militant du MRC, il savait bien ce qu’il allait distribuer.»

Pour convaincre le tribunal, il a donné lecture intégrale du contenu des tracts litigieux : «Dépassons nos peurs. Levons-nous et défendons notre victoire volée. (…) Non au hold-up électoral. Tous à l’esplanade du stade omnisports de Yaoundé le 6 novembre 2018 (…) pour écouter le président élu, M. Maurice Kamto.»

Revendications légitimes

Pour le ministère public, la nature insurrectionnelle du message transmis par les tracts litigieux saute aux yeux, et est de nature à créer la révolte et à troubler l’ordre public. «Il sait bien que le vainqueur des élections c’est Paul Biya et non Kamto !». Il a requis la condamnation d’Yves Sonna. «Il est légitime d’avoir des revendications de quelque nature que ce soit. Mais lorsqu’on est légaliste, il est nécessaire que ces revendications soient exprimées dans le respect de l’ordre public».

Un autre son de cloche est venu des deux avocats de M. Sonna. En premier, Me Menkem, a regretté la lecture parcellaire faite par le ministère public de l’article 263 du Code pénal, qui réprime le délit d’attroupement. Il va rappeler qu’au sens de la loi, pour qu’on parle d’attroupement, il faut au préalable qu’il y ait eu une réunion sur la voie publique d’au moins cinq personnes, ensuite une sommation de disperser de l’autorité compétente demandant aux concernés de quitter les lieux.

«Où sont les autres membres de la foule ? Où est la sommation de disperser ?» Avant de conclure que l’accusation «suppute sur des choses qui pourraient arriver». Dans le même ordre d’idée, Me Emmanuel Simh, un autre avocat de M. Sonna, va enfoncer le clou en disant qu’il «n’y a pas d’attroupement unipersonnel. Nous sommes ici pour un procès pour rien !». Astucieux, Me Simh va remettre un tract litigieux à la magistrate du parquet en indiquant qu’il l’a lui-même reçu ailleurs. Explosion de rires dans la salle. «Les informations du tract ont eu lieu. Le Cameroun est debout. Aucune insurrection. On n’est pas ici pour le procès de M. Kamto !».

Le «vieux» avocat va prier le tribunal de relaxer son client «en prenant sa décision sur le siège», c’est-à-dire sans besoin de reporter le prononcé du verdict à une autre date : «le temps est à l’apaisement». En programmant le verdict le 30 novembre, le juge a prétexté que la loi lui impose de rédiger sa décision avant de la prononcer. Yves Sonna aura donc passé un mois de détention…

Kalara : Louis Nga Abena

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