Me Henri Njoh Manga Bell : « La corruption demeure alarmante au Cameroun »

Henri Njoh Manga Bell

Henri Njoh Manga Bell, l’avocat International, expert en questions de gouvernance, président de Transparency International Cameroun, président de la Commission d’éthique de la Fécafoot, membre titulaire du Comité national de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) parle de la corruption, de la Fécafoot, de la situation au Barreau et du débat sur un poste de Vice-président de la République.

Le 25 janvier dernier Transparency international a publié les résultats de l’Indice de perception de la corruption 2021. Selon votre communiqué de presse accompagnant ce classement, la corruption au Cameroun demeure alarmante. Pourquoi ?

Nous pouvons dire que la corruption demeure alarmante au Cameroun parce que le cadre légal et institutionnel reste insuffisant. Le constat est fait par tous les acteurs du secteur de la lutte contre la corruption y compris par la Conac dans son dernier rapport. Nous militons pour l’adoption d’une loi anti-corruption et l’application effective de l’article 66 de la Constitution au travers d’un décret d’application qui tarde à venir. On note par ailleurs la faiblesse des institutions existantes. Par exemple, la Chambre des comptes a publié récemment un rapport sur la gestion des fonds Covid, mais jusqu’à présent nous ne notons aucune action susceptible de faire penser que ce rapport a été pris en compte.
Plus généralement, on note également, les moyens limités dont disposent les entités de lutte contre la corruption. Et les partenaires sont toujours hésitants à investir dans ce domaine pourtant tous les acteurs s’accordent sur le caractère endémique de la corruption au Cameroun

La corruption a trouvé son lit aussi dans les procédures de traitement des dossiers des enseignants et a nourri en partie les revendications de la dernière grève. Quels sont les constats faits par TI-C à ce sujet et que préconisez-vous contre de telles pratiques ?

Le constat est fait par les enseignants eux-mêmes. Selon les grévistes, la corruption a fait son lit dans les procédures de traitement de dossiers de la carrière des enseignants au Cameroun. Ils évoquent une lenteur entretenue et voulue par les agents en charge du traitement de ces dossiers. Les moins patients se sentent obligés de recourir à la corruption pour accélérer la procédure contre une récompense pouvant varier entre 5 et 30 % à prélever sur leurs dus. Il en est de même s’agissant des affectations et des nominations.

Transparency international Cameroun préconise la dématérialisation du traitement des dossiers car l’expérience prouve qu’à chaque fois que les usagers se trouvent en contact direct avec les agents, le risque de corruption augmente de manière drastique. Les solutions technologiques sont donc indispensables. Le Cameroun dispose de ressources humaines nécessaires capables d’apporter des solutions efficaces et efficientes à ce problème. Nous invitons les autorités compétentes à s’assurer que seules l’intégrité, la responsabilité et la redevabilité guident les procédures de traitement des dossiers. On peut imaginer l’affichage dans les départements ministériels concernés et la publication d’un manuel de procédures pour faciliter le traitement des dossiers.

Les réponses du gouvernement à la lutte contre la corruption doivent être selon vous, plus sévères et sans distinction de rang social ou d’ethnie. Que voulez-vous dire ?

Il est évident que la corruption n’a pas de rang social, encore moins de groupe ethnique. Elle nuit à l’harmonie de l’ensemble de la société et elle hypothèque le développement économique du pays. La lutte contre la corruption est une activité permanente qui doit être menée en tout temps et en tout lieu. Les outils doivent être impersonnels afin de garantir la paix sociale. Que l’on soit petit agent ou un haut cadre on doit subir les foudres de la lutte contre la corruption de la même manière et avec la même rigueur.

Pourquoi TI-C insiste tant sur l’application de l’article 66 de la Constitution et l’adoption d’une Loi pour la protection des lanceurs d’alerte, des militants anticorruption et des journalistes rapportant des cas de corruption ?

En réalité, l’article 66 de la Constitution n’est pas pour nous à lui tout seul une panacée pour la lutte contre la corruption. Il est devenu au fil du temps le symbole de l’absence de la volonté réelle de nos dirigeants de lutter effectivement contre la corruption. Son application effective aura à notre avis un caractère dissuasif pour les personnalités qui n’hésitent pas souvent à confondre les caisses de l’Etat et leurs caisses personnelles. Au regard du caractère sensible de ce sujet, nous pensons également que notre cadre règlementaire devrait évoluer pour permettre notamment à des personnes qui ont connaissance des actes de corruption de les rapporter sans aucune crainte pour leur vie. TI-C reçoit régulièrement les personnes qui dénoncent mais qui refusent de donner leur identité de peur de faire l’objet de représailles.

Vous êtes aussi le président de la Commission d’éthique de la Fécafoot, celle qui peut prendre toutes les sanctions prévues dans les statuts, le code d’éthique et le code disciplinaire contre les dirigeants de la fédération, des ligues, contre les joueurs. Ceci fait de vous un homme très puissant du football Camerounais…

La Fécafoot une Association qui s’est donnée les moyens de son fonctionnement en adoptant des Statuts, un Code d’éthique et un Code disciplinaire. Il s’agit donc de la volonté des membres de cette Association qui ont compris la nécessité de mettre en place une institution ayant des règles de fonctionnement impersonnelles qui sont au-dessus des individus et qui tirent leur force en ceci qu’elles s’appliquent indistinctement à tous ses membres. La commission d’éthique que j’ai l’honneur de présider est une des nombreuses Commissions de la Fédération. Il s’agit d’un organe juridictionnel composé d’une chambre d’Instruction (présidée par un magistrat de carrière et composée de corps de métiers dont le background est essentiellement juridique !) et de la chambre de jugement que je préside et qui compte en son sein des magistrats de haut rang dont certains exercent jusqu’à la Cour Suprême du Cameroun. Les décisions sont prises de manière collégiale et professionnelle il ne s’agit donc pas de l’affaire d’un individu prétendument puissant.

Les textes vous garantissent une indépendance pour mener votre mission. Est-ce vrai au quotidien ?

Dans notre pays les textes garantissent souvent l’indépendance de ceux qui en sont bénéficiaires, mais on constate cependant très souvent des écarts de comportement qui interpellent et font penser que les camerounais succombent très souvent à des tentations de tous genre. A notre avis, l’indépendance est d’abord une affaire d’état d’esprit propre à chacun d’entre nous. Elle dépend des facteurs tels que le vécu personnel, l’éducation et la culture personnelle, en résumé, elle dépend de la situation de chacun d’entre nous et cette situation peut se révéler déterminante dans la capacité de chacun à résister ou non à des pressions. Je puis vous affirmer que depuis que je préside aux destinées de la Commission d’éthique, nous n’avons jamais subi une quelconque pression pour aller dans un sens ou dans un autre. Nos décisions sont généralement rendues sur la base des instruments légaux évoqués plus tôt et ceux qui n’en sont pas satisfaits ont toujours la possibilité de saisir la commission de recours.

Comment appréciez-vous la collaboration avec la nouvelle équipe de la FECAFOOT présidée depuis décembre 2021 par Samuel Eto’o ?

Le nouveau président de la Fécafoot est apparemment quelqu’un de sage et d’averti. Il ne s’est pas livré à une quelconque « chasse aux sorcières », au contraire, il a plutôt assuré les uns et les autres de sa confiance et de sa volonté de travailler avec tous pour l’intérêt de la Fédération. Cela est admirable car en effet lorsqu’on travaille pour l’intérêt de l’institution et non pour celui des individus, la collaboration devient plus facile puisque vous regardez tous dans la même direction.

En votre qualité de ténor du Barreau du Cameroun, quelle évaluation faites-vous de l’intérim assuré depuis environ deux ans par le Bâtonnier en poste ?

Je me refuse toujours de juger les hommes et les actions qu’ils mènent car j’ai conscience des limites de l’humain. Je suis convaincu que le Bâtonnier qui assure l’intérim actuellement a fait de son mieux pour tenir le navire du Barreau camerounais malgré les nombreux écueils dont le moindre n’a pas été la pandémie du Covid 19 qui sévit justement depuis le début de son intérim. A notre avis, la question qui mérite d’être posée est celle de savoir où en est le Barreau en tant qu’Institution depuis deux ans et plus ? À cette question et en toute indépendance, on est obligé de répondre que le Barreau du Cameroun vit un paradoxe extraordinaire car au moment même où il s’accroit en nombre, il perd de sa notoriété et de sa superbe. Le Barreau est absent sur tous les secteurs de la vie camerounaise. Il est inaudible voire totalement aphone. Jadis, un des acteurs majeurs de la vie sociale et politique de ce pays, force est de constater aujourd’hui que seuls quelques Avocats savent encore qu’il existe un Barreau au Cameroun.

Avez-vous des attentes particulières au sujet de l’Assemblée générale élective du Barreau annoncée ?

En vérité, je n’attends rien, ou pas grand-chose de cette Assemblée Générale élective annoncée, car une fois de plus, il va s’agir pour certains Avocats de se livrer à des guerres de positionnement tribales, de promotions individuelles ou d’intérêts sans rapport aucun avec l’intérêt général de l’ensemble des Avocats. Vous savez, la profession d’Avocat est universelle, l’Avocat n’a donc à priori pas de nationalité autre que son titre et la confraternité constitue son seul moyen de communication avec ses confrères. Au Cameroun, les Avocats se réunissent plutôt par affinité tribale, par promotions et autres comme si leur pratique professionnelle pouvait dépendre de leurs appartenances à des groupuscules. On s’éloigne ainsi des meilleurs pratiques universelles sous le même et éternel prétexte d’une prétendue contextualisation de la profession. C’est bien chez nous qu’on a inventé l’expression idiote « Le Cameroun c’est le Cameroun » non ? ; Comme si quelqu’un avait prétendu un jour que le Cameroun était Le Sénégal ou La Côte d’ivoire…

Il y a aujourd’hui plus de 3600 Avocats au Cameroun avec seulement 15 membres au Conseil de l’ordre y compris le Bâtonnier qui doivent veiller à la bonne pratique professionnelle et effectuer le contrôle de ces 3600 âmes. Lorsque les Avocats étaient au nombre de 100, il y avait toujours 15 membres pour veiller sur eux. La question qui se pose aujourd’hui est donc d’abord celle de la survie même d’un Ordre qui est devenu ingouvernable du fait du faible nombre des personnes supposées en assurer l’Ordre et la bonne marche et aussi du fait d’un manque de leadership avéré.
Pour des raisons souvent liées à des motivations personnelles, les Avocats camerounais refusent en outre d’aborder des questions d’Intérêt général de cette corporation telle que celle de son éclatement en plusieurs barreaux qui devrait aujourd’hui s’imposer à tous comme une nécessité incontournable. En effet, le caractère bi-jural du Cameroun à lui seul devait suffire à faire cohabiter deux barreaux dont l’un serait issu de la Comon Law et l’autre du Droit Civil. C’est une question de culture juridique et de pratiques professionnelles pas toujours conciliables. Nous sommes d’ailleurs convaincus qu’un barreau de la Comon Law apporterait beaucoup aux Avocats du Cameroun en général. Enfin, un éclatement plus large permettrait d’avoir plusieurs Bâtonniers ce qui aurait l’avantage d’éviter les expériences passées où à chaque fois qu’un Bâtonnier a essayé de lever la tête, on lui a sorti une de ses anciennes casseroles et il s’est calmé en reléguant au second plan les questions d’intérêt général…

Pour finir, vous êtes un fin observateur de la scène politique camerounaise, que vous inspire la question de la réforme de la Constitution notamment à propos du poste de vice-président de la République relayée par la presse ces derniers jours ?

La réforme constitutionnelle dont parle de plus en plus les journaux ces derniers temps et qui faut-il le rappeler n’est confirmée à aucun niveau de l’exécutif ni même du législatif ne nous semble pas être une priorité pour le Cameroun. Quel impacte pourrait en effet avoir aujourd’hui la création d’un poste de vice-président dans la vie des camerounais ? De toute évidence aucun. Il ne s’agirait donc à notre avis que de simples stratégies ou manigances politiques dont le but se situerait aux antipodes de l’intérêt général du Cameroun et des camerounais.
Le Cameroun souffre énormément d’un mal récurrent qui est la mal gouvernance. Ce mal est présent dans tous les secteurs et à tous les niveaux.

Ce constat appelle à une plus grande prise de conscience et à une mobilisation générale de tous les Camerounais car il s’agit là d’une urgence véritable et non d’une manœuvre politique visant à perturber la marche du Cameroun vers l’émergence. C’est pour cela qu’au niveau de Transparency International Cameroun, nous n’avons de cesse à déployer un plaidoyer pour notamment l’avènement d’une loi anti-corruption et la mise en place d’Institutions de gestion des avoirs de l’état qui auraient été volés ou détournés. C’est également pour cela que nous plaidons pour la publication d’un décret d’application de l’article 66 de la Constitution sur la déclaration des biens et avoirs. Nous pensons enfin qu’un renforcement du corpus répressif actuel est nécessaire et que celui-ci pourrait se faire à travers la pénalisation de l’infraction d’enrichissement illicite, exposée à l’article 51 alinéa 2 de la loi du 11 Juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun…

Propos recueilli par Haman Mana

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