Le Directeur du cabinet civil est le Président bis du Cameroun

Samuel Mvondo Ayolo et Paul Biya

Au cœur du pouvoir central, il draine une incroyable sphère d’influence.

Le vendredi 17 janvier 2020, Martinez Zogo, l’un des animateurs de talk-show radio les plus doués de sa génération, est arrêté et mis sous les verrous au secrétariat d’Etat à la défense en charge de la gendarmerie. Il ne lui est signifié aucune plainte, aucune infraction ne lui est opposable, mais il est gardé captif dans les murs du Sed. Derrière ce scabreux dossier, la main de fer de l’actuel directeur du cabinet, Samuel Mvondo Ayolo. Dans les chaumières ça jase. L’animateur radio a réussi à se mettre à dos l’un des personnages les plus craints de la République, souvent considéré comme le vice-dieu. Il a juste fallu un coup de fil pour que l’animateur soit cueilli et gardé, a-t-on appris de sources concordantes. Alors que le code de procédure pénale précise que dans les cas de délit, les mis en cause peuvent être remis en liberté s’ils disposent d’une résidence connue et s’ils paient une caution, dans ce cas précis, la loi a été considérée comme un marchepied. Le célèbre animateur a été déféré à la prison principale de Kondengui malgré sa lettre d’excuses adressée à la famille Mvondo Ayolo.

Cette situation, ailleurs, créerait un tollé. On se souvient par exemple en France de l’affaire Benalla, du nom de l’ancien coordinateur de différents services lors des déplacements officiels et privés du président français, Emmanuel Macron. Le fait qu’il eut usurpé la fonction de policier, interpellé et violenté un couple de personnes qui avait lancé des projectiles sur des CRS lors d’une des manifestations du 1er mai 2018 à Paris, fut l’un des scandales les plus retentissants de l’ère Marcron. Il y eut même des enquêtes parlementaires avec des auditions de ministres français.

Chez nous, traditionnellement, lorsque le Dcc a besoin d’un service, la République se plie en quatre, peu importe que cela soit légal ou pas. On dit qu’en principe, il est chargé de gérer les affaires privées du président de la République, ainsi que sa communication, mais loin s’en faut. Grande curiosité, autour d’un personnage qui sous d’autres cieux, n’est même pas classé dans la hiérarchie gouvernementale mais, qui, par un concours de circonstances favorables au Cameroun, est celui que pratiquement toute la République redoute. Il peut ainsi se faire octroyer des faveurs les plus inattendues. On peut ainsi comprendre pourquoi l’actuel Dcc a pu s’offrir pour un montant de 650 millions, un immeuble de la Cnps qui en principe valait 4 milliards. L’information a défrayé la chronique sur les réseaux sociaux. Elle n’a pas été officiellement démentie jusqu’ici par les mis en cause.

En Afrique centrale particulièrement, les Dcc font et défont les carrières. Ils ont une sphère de pouvoir incommensurable, sont souvent consultés lors de remaniements ministériels, positionnent leurs affidés dans la mangeoire. Pour s’en convaincre, jetons un coup d’œil du côté du Gabon par exemple, où pendant longtemps, a trôné un certain Maixent Accrombessi au palais du bord de mer. Comme directeur de cabinet d’Ali Bongo qu’il connaît depuis les années 90, il fut son bras droit. Certains disent de lui qu’il a largement aidé le président à se maintenir au pouvoir. D’origine béninoise et naturalisé gabonais, Maixent Accrombessi, était un personnage controversé, accusé par l’opposition d’avoir profité de ses fonctions pour détourner de l’argent public et exercer une influence démesurée.

Rentrons au Cameroun. Tous les analystes sont d’avis que jamais notre pays n’a connu un Dcc de l’acabit de feu Martin Belinga Eboutou. On dit de lui qu’il était l’un des rares que le président de la République appelait par son prénom : « Martin ». Entièrement calqué sur le modèle Biya, il compilait à lui seul prestance, mythe, mystique… Il avait tellement embrassé l’emploi que son nom à lui seul était synonyme de la fonction. La parole rare, il était par excellence « l’homme qui chuchote à l’oreille du président ». Son influence au sein du régime n’est un secret pour personne. Une influence à large spectre justifiée aussi par le fait que le Dcc, dans nos démocraties bantoues, est en quelque sorte le fusible du président, celui qui est chargé de mettre la main dans le cambouis, celui qui se « salit » pour le chef. Voilà pourquoi, les ministres qui recevaient les coups de fil d’un personnage comme « Martin », en perdaient leur latin de crainte. D’ailleurs, il était le parrain de beaucoup de ces ministres et Dg.

Disgrâce

Plus haut on se trouve, plus dure peut être la chute. Beaucoup de directeurs de cabinet sont des personnages controversés, qui trimbalent des casseroles. Accrombessi fut mis en examen à Paris en novembre 2017, soupçonné d’avoir perçu illégalement de l’argent d’une entreprise française. Il avait fait l’objet, dans cette affaire, d’une interpellation retentissante à Paris le 4 août 2015.

Il peut devenir indispensable de se séparer d’un Dcc pour tenter de redorer le blason présidentiel. De plus, le caractère impitoyable de l’exercice du pouvoir impose souvent que l’on vous démette sans avoir même l’élégance de vous mettre au parfum de votre éviction.
Si on remonte à Accrombessi, il fut d’abord remercié de son poste de directeur du cabinet et nommé Haut représentant personnel du chef de l’Etat. Mais, finalement, Ali Bongo l’exclut de la présidence.

Au Cameroun, d’après des sources dignes de foi, Belinga Eboutou, fut surpris lors du remaniement d’apprendre sur son lit de malade que le président Biya l’avait déchargé de ses fonctions. D’aucuns décriront même son acrimonie, vu qu’après avoir été longtemps proche du sphinx, ce dernier n’avait même pas eu l’amabilité de le prévenir de son limogeage. Voilà pourquoi pour tenter de faire bonne figure, on mettra en scène l’ancien Dcc au côté du nouveau (Mvondo Ayolo), comme pour dire que tout était ok.

Ce que dit le Décret N°2011/412 du 09 décembre 2011 portant réorganisation de la Présidence de la République, à propos du cabinet civil :
ARTICLE 38.- Le Cabinet Civil est chargé :

  • du Protocole d’Etat ;
  • de la Communication du Président de la République ;
  • des Affaires Réservées.
    ARTICLE 39.- Le Cabinet Civil est placé sous l’autorité d’un Directeur, éventuellement assisté d’un Directeur Adjoint.
    ARTICLE 40.- Le Cabinet Civil comprend:
  • des Conseillers Techniques ;
  • des Chargés de Mission ;
  • des Attachés ;
  • les Secrétariats Particuliers du Directeur et du Directeur Adjoint ;
  • des services internes.

Par Zéphirin Koloko

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