Le Covid-19 peut-il faire de la Chine la première puissance planétaire ?

Un chercheur dans un laboratoire

La lutte planétaire contre le coronavirus ne signifie pas la fin des rivalités entre grandes puissances. Mais l’épidémie pourrait hâter le déclin relatif des États-Unis, le désarroi stratégique des Européens et l’influence croissante de la Chine.

Dans le monde d’après, est-ce la Chine qui gagne à la fin ? Depuis les commencements de l’épidémie de Covid-19 jusqu’à aujourd’hui, le retournement de son image a été spectaculaire sur la scène internationale.
En début d’année, les journaux s’interrogeaient sur la fragilisation de la légitimité du Parti-État communiste. Non sans raison, tant un épisode comme la mort du lanceur d’alerte Li Wenyang, début février, avait suscité un émoi populaire sans précédent depuis de longues années. « À ce moment-là, témoigne l’universitaire Nathan Sperber, le niveau de mécontentement risquait vraiment de déborder. »

Aujourd’hui, les mêmes titrent sur la « diplomatie du masque » de la Chine, dont les dirigeants ont réussi à contenir l’épidémie et se paient le luxe d’envoyer des médecins et du matériel médical sur tous les continents, jusqu’en Argentine et en Italie en passant par l’Irak et l’Afrique du Sud.
Certes, l’échec navrant de leur système d’alerte a maintenant été sérieusement documenté et de nouvelles vagues d’infections pourraient compliquer la reprise de l’activité. Il reste qu’à ce stade, le contraste est frappant entre l’efficacité chinoise et le désarroi de bien des pays occidentaux, États-Unis en tête. Pour Nathan Sperber, cette différence « factuelle » crédibilise auprès de la population « le discours sur la supériorité organisationnelle du socialisme à caractère chinois », si bien que le pouvoir central ressort pour l’instant renforcé de la crise.

Ce retournement de situation et d’image préoccupe les chancelleries. En France, cette inquiétude est illustrée par le contenu de notes préparées par le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) qui dépend du ministère des affaires étrangères. Selon Le Monde, les rédacteurs de ces notes s’alarment du fait que « la Chine occupe d’ores et déjà le terrain en se rendant indispensable, voire centrale », ce qui servirait un « “narratif” problématique autant pour ses valeurs sous-jacentes que pour son agenda caché ». Cette semaine, le ministre Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs signifié son courroux à l’ambassadeur de Chine en France, prompt à célébrer la « victoire » de son pays et à dénigrer la réponse occidentale face à l’épidémie.
Si les prédictions des conséquences de la crise sanitaire sont impossibles au regard des soubresauts qui nous attendent encore pour des mois et des années, il n’empêche que les décideurs et les militants d’aujourd’hui tentent de s’orienter dans un monde devenu encore plus incertain, en anticipant les grandes lignes de force du « monde d’après ». Il n’est donc pas vain de passer en revue les arguments échangés à propos de l’évolution de l’ordre international sous les coups du nouveau coronavirus.

Bien que certaines voix explorent l’hypothèse selon laquelle « l’empire du Milieu [s’imposerait], sans conteste, comme la première puissance mondiale dès la fin de l’épidémie », la majorité des analystes et de nos interlocuteurs n’estiment guère crédible le scénario d’une inversion brutale de la hiérarchie du système international. Les appréciations divergent plutôt sur l’ampleur et les modalités de la réduction du différentiel de puissance entre la Chine et les États-Unis, et celles de la refragmentation d’un monde qui était devenu plus globalisé que jamais. Autrement dit, le coronavirus ne sera peut-être pas un « game changer » bouleversant radicalement les ressources, les calculs et la vision des protagonistes de l’ordre international, mais un accélérateur des tendances et des contradictions déjà à l’œuvre en son sein. Plus modeste, ce diagnostic ne signifie pas du tout que les conséquences en soient bénignes. Car le monde d’avant la pandémie n’était déjà plus celui de la mondialisation triomphante des années 1990-2000, sous les auspices de la puissance bienveillante des États-Unis, avec la démocratie libérale de marché comme horizon universel.

On pouvait déjà y repérer « l’exacerbation de la rivalité systémique sino-américaine » (selon la formule d’une étude collective de l’Ifri ; les difficultés de l’Union européenne à se doter d’une authentique politique extérieure commune ; une vague d’« autocratisation » ayant entamé les gains
démocratiques réalisés depuis les années 1980 ; ainsi que l’arrivée de la mondialisation productive et commerciale à une sorte de plateau (étayée, selon deux économistes du Cepii, par la stabilisation de « l’ouverture aux échanges, [du] développement des chaînes de valeur mondiales [et] de l’activité à l’étranger des entreprises multinationales »).

À court et moyen terme, Covid ou pas, la Chine n’a de toute façon pas les capacités ni la volonté de se substituer aux États-Unis comme nouvel hégémon planétaire – une position difficile à acquérir et qui se révélerait extrêmement coûteuse. Mais si elle sort relativement moins abîmée de la crise sanitaire que les États-Unis, et si ceux-ci prolongent leur retrait d’un jeu multilatéral essoufflé, l’ordre libéral déjà mal en point pourrait finir de se disloquer, et ouvrir une phase de transition propice à une instabilité croissante. Explications en détail, avec l’aide de nombreux spécialistes et travaux en relations internationales.

La pandémie de coronavirus a créé une césure. La suspension du temps, l’hibernation de l’économie marchande, la présence permanente de la maladie et de la mort, le retour des distances… Tout cela va changer durablement le monde tel qu’on le connaissait jusqu’ici. Mais à quoi va ressembler le monde d’après ?

Quels espoirs, quelles luttes, quels ordres politiques, sociaux, écologiques surgiront de cette pandémie ? Mediapart tente de dessiner quelques pistes pour alimenter notre réflexion commune de « l’après » à partir de cette situation inédite, par des entretiens, des articles, des témoignages…
Cet article a été réalisé après de nombreux échanges téléphoniques et en dépouillant des contributions publiées dans la presse anglophone et française, dans la première quinzaine du mois d’avril.

FABIEN ESCALONA, Mediapart

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