Insécurité: Comment Boko Haram orchestre le chaos au Cameroun

Depuis un an, Boko Haram, secte islamiste nigériane d’abord basée sur des revendications politiques importe ses exactions sur le territoire camerounais.[pagebreak] Cette secte aujourd’hui classée organisation terroriste est devenue plus violente. Elle décapite, tue et massacre les populations camerounaises situées le long de la frontière du Nigeria dans la région de l’Extrême-Nord. Au Cameroun, un vaste dispositif sécuritaire a été mis en mouvement derrière les lignes ennemies. Les éléments du Bataillon d’intervention rapide à travers l’opération Alpha, maîtrisent les points les plus instables dans le Logone et Chari. « Emergence 4», nom donné à l’opération de restauration de la sécurité dans l’Extrême-Nord, mobilise 6000 hommes sur le terrain : d’une part, les fusiliers commandos de l’armée de l’air qui contrôlent les différentes entrées du côté du Mayo-Tsanaga ; et d’autre part, les fantassins de l’armée de terre eux veillent aussi tout au tour avec des blindés et d’autres armes lourdes. Des avions de combat de l’armée de l’air sont en veille, toujours prêts à décoller. La marine assure la sécurité sur le fleuve Logone et au Lac Tchad. Les frontières sont quadrillées. Aucun centimètre du territoire n’est passé aux mains de l’ennemi.

1-Les faits
Ce mardi encore, les adeptes du groupe terroriste Boko Haram ont frappé dans la localité de Nguetchéwé, située dans le département du Mayo-Tsanaga, à l’Extrême-Nord. La riposte des forces de défenses postées le long de cette frontière a été immédiate. Le bilan de l’attaque est important : 7 villageois tués, 8 Boko Haram neutralisés et 2 autres pris vivants. Le bétail a été repris des mains de ces opérateurs de la violence. La zone est sécurisée, signale-t-on. Lundi déjà, 94 membres de ce groupe avaient été éliminés par les éléments de la zone opérationnelle centre de l’opération Alpha. Cette fois, c’est du côté de Waza, arrondissement situé dans le département du Logone et Chari, qu’ils ont essayé de s’infiltrer. Mardi, les dégâts sont encore frais et bien visibles : des véhicules de combats touchés, 5 militaires camerounais tués, 7 blessés et 86 Boko Haram neutralisés. Plusieurs autres corps ont été découverts sur le site de l’affrontement. Un véhicule blindé estampillé «police de Gwoza», utilisé dans cet assaut par les disciples de Shekau a été récupéré par nos soldats. Des armes et des munitions ont également été prises aux mains de l’ennemi.
Les impacts des balles sur les véhicules permettent de comprendre que les combats étaient d’une extrême violence. Selon les témoignages du chef de bataillon de la zone opérationnelle centre de l’opération Alpha, basée à Waza, Nchankou Oumar, les membres du groupe terroriste étaient embusqués sous le couvert végétal dans la zone de Gourgouro, située à 7 km du centre ville. Une mission de reconnaissance a permis de localiser un tireur qui a immédiatement été neutralisé. En fait, cet éclaireur était une proie pour attirer les éléments du Bataillon d’intervention rapide (Bir) unité d’élite chargée de mener l’opération Alpha dans un guet-apens. Une quarantaine de soldats en face des centaines de Boko Haram. Mais, la vigilance et l’expertise tactique des éléments du Bir ont été un avantage. Les combats ont duré près de 4h : de 7h à 11h. C’était un vrai face à face. Les belligérants étaient très proches, entre 10 et 5 mètres. Le scénario ressemble bien aux films de guerres hollywoodiens. Le blindé de l’ennemi a été stoppé net par la 14-5, une arme lourde dont disposent désormais nos hommes sur les différents fronts. Les auteurs de cette agression étaient entraînés. Ils avaient une stratégie de combat bien organisée. En plus, ils étaient vêtus d’une tenue et étaient par ailleurs bien chaussés. A la différence d’autres combattants qui viennent souvent désorganisés, mal habillés et avec des babouches aux pieds.

Fotokol
Tout porte à croire que ce sont les membres de la milice très proche de Shekau qui ont mené l’opération. Stratégiquement, c’est un signe que l’ennemi est bien touché. Le chef de bataillon Nchankou Oumar, lui, a pris une balle au genou gauche. Lui et ses six hommes blessés ont été évacués à Yaoundé afin de recevoir des soins appropriés. Il a été évacué à Yaoundé pour recevoir des soins. Entretemps, l’expédition punitive de l’ennemi a continué mercredi dans des villages environnants notamment aux abords de Kumché, une contrée nigériane. Une importante colonne des Boko Haram mobilisée pour une éventuelle attaque sur le sol camerounais a été anéantie. Le bilan est très lourd, renseigne une source.
A Waza, au lendemain de l’attaque, nos soldats ont redoublé de vigilance. Ils ont quadrillé toutes les entrées de la ville. La veille est également plus intense dans les principales artères de la ville. Les éléments postés sur cette ligne de front ont le moral haut. Et ils le font savoir. Ils brandissent le drapeau du Cameroun en laissant entendre en chœur : « nous allons mourir en défendant notre pays». Malgré la perte de leurs camarades tombés face à l’ennemi, ils restent vaillants et stoïques. Nous nous sommes déjà préparés psychologiquement à mourir un jour au combat. Nous n’avons pas peur. Tous tiennent le même langage. «Nous demandons aux Camerounais de prier pour nous», laisse échapper un soldat.
Du côté de Fotokol, il est difficile de passer sans écraser une larme. L’agression brutale du 4 février dernier laisse encore voir des séquelles dans cette contrée frontalière au Nigeria. Des maisons sont calcinées, des boutiques vandalisées et des voitures détruites. Plus d’une centaine d’individus tués, égorgés, massacrés. Les routes sont désertes. Rien plus ne passe là-bas. Le bilan est lourd, très lourd. C’est l’une des plus grosses attaques sur le territoire camerounais. Plusieurs civiles ont été massacrées. Des traces sont encore visibles par endroit. Là-bas, il y a eu au moins un mort dans chaque famille. L’une des grandes mosquées du coin présente encore des impacts de balles. 37 corps ont été dénombrés dans cet endroit. Un fidele raconte cette horreur : ce 4 février, aux alentours de 5h30, des adeptes de Boko Haram ont fait une incursion dans la ville. Pendant que certains égorgeaient des villageois dans leurs maisons, d’autres ont pris d’assaut la mosquée. Ils ont rassemblé les fidèles qui s’y trouvaient et ont ouvert des rafales d’armes automatiques. Des corps calcinés ont été également découverts dans des maisons. C’était le spectacle de la violence, fait-on savoir.

Artillerie
Entretemps, une autre unité s’est contentée de contrecarrer la riposte des éléments du Bir de Fotokol. Les combats étaient rudes, témoigne le chef du bataillon, Beltus Kwene. Nos forces de défenses ont finalement pris le dessus. Elles ont repoussé l’ennemi. La zone est aujourd’hui sous contrôle militaire. Des tranchées de combats sont construites dans des points stratégiques. L’artillerie lourde est mobilisée : des blindés et des mortiers entre autres. Des mitraillettes 12-7 et 14-5 sont montées sur des pick-up adaptés pour des combats. Des canons de 155mm d’une portée de 40 km sont mis à contribution. Des patrouilles motorisées sillonnent l’intérieur et les abords de la ville. « Nos armes sont nos compagnons et nos femmes», plaisante-t-on ici et là. Les armes sont équipées de systèmes de visions nocturnes. Des hommes sont recyclés en permanence afin de s’adapter aux éventuelles réinventions de la criminalité par ces opérateurs de la violence.
N.V.

2-Décryptage
Collaboration
Géométrie variable entre la population et l’armée
Pendant que certaines personnes coopèrent avec les militaires, d’autres sont soupçonnées d’intelligence avec l’ennemi.
Les différents officiers opérationnels rencontrés dans des villes frontalières avec le Nigeria à partir de la région de l’Extrême-Nord, sont parfois embarrassés lorsqu’on leur demande le rôle de la population dans la restauration de l’ordre sécuritaire dans cette zone. Les réponses sont hésitantes. Relativisées parfois. Mais, les différentes descentes derrière les lignes ennemies permettent de s’interroger sur certains détails : comment Boko Haram arrive à avoir des renseignements plus ou moins détaillés sur les mouvements de nos forces de défenses ? Qu’est-ce qui explique les précisions des attaques ? On n’a pas besoin de plus de détails pour comprendre des infiltrations intérieures de la population. Un fait banal captive notre attention à Fotokol, lors de l’attaque du 4 février dernier, certaines maisons n’ont pas été brûlées. Elles ne présentent aucunes casses, comme si un signe avait été mis pour dire «ne pas toucher». En effet, les adeptes de Boko Haram ont ciblé des maisons comme s’ils avaient reçu des consignes particulières. Dans un quartier situé non loin du pont sur l’El Beid, des maisons sont calcinées, mais curieusement, celles voisines n’ont pas été touchées. Plusieurs autres cas peuvent être répertoriés. On peut prendre le même exemple pour les personnes.

Renseignements
Une source sécuritaire confirme bien qu’il est possible d’avoir des sympathisants de Boko Haram au sein de la population. On sait aussi que l’unité de renseignement de ce groupe terroriste est dissimulée parmi les habitants du coin. Là-bas, on est sur ses gardes. Du côté de Waza, certes il pourrait avoir des infiltrations, mais la population se montre coopérative. Il y a des courageux qui apportent des informations importantes aux forces de défenses. La riposte de lundi à Waza s’est faite à partir du renseignement de la population. Dans le département du Mayo-Tsanaga, les autorités sécuritaires signalent malgré tout, la coopération de la population. On le remarque d’ailleurs du côté de Dling-Dling, un petit village situé dans l’arrondissement de Mokolo. Les habitants du coin se sont mobilisés pour constituer un dispositif de veille. Les hommes du village se sont armés de lances, arcs et flèches pour faire face aux multiples agressions de Boko Haram. Des sifflets sont mis en contribution pour donner l’alerte en cas de constat de la présence d’un individu suspect. La population veille, observe, signale et dénonce les infiltrations. Elle fait le renseignement pour les forces de défenses. Elle est les yeux et les oreilles de nos soldats. Cette conscientisation de la population dans cette partie du pays est un élément fort appréciable dans l’encadrement sécuritaire. Puisque la sécurité d’un Etat commence par le bas, c’est-à-dire, par la population d’abord.

Dossier réalisé par Nicolas Vounsia

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