François Mattei : « Paul Biya est un maître du temps » [interview]

François Mattei, auteur de l??ouvrage « Le Code Biya » s??est confié à CT. On ne vous a pas connu jusque-là un intérêt particulier pour le Cameroun. Qu??est-ce qui a motivé votre initiative ? Il est vrai que jusqu??à ce livre sur le président Biya, mon travail de journaliste m??avait amené

dans beaucoup d??autres pays et sur d??autres continents. En Afrique, je m??étais plus particulièrement occupé ces dernières années de suivre la Côte d??Ivoire, et plus ponctuellement, le Gabon ou le Sénégal. Je connais tout de même à Paris beaucoup de Camerounais, ils m??ont fait partager leur passion pour leur pays. J??ai pu vérifier à travers eux que votre pays est riche d??un peuple très divers au caractère bien trempé, et d??une élite intellectuelle remarquable?? J??ai beaucoup d??admiration, par exemple, pour Calixte Beyala, l??un de nos meilleurs écrivains. Mon goût pour le football a aussi contribué à me rapprocher de vous, à cause des résultats de votre équipe nationale ?? dont j??espère sincèrement qu??elle saura se qualifier pour le Mondial en dépit des difficultés actuelles- et de ses fortes personnalités, très populaires en France, comme Roger Milla ou Samuel Eto??o. Lorsque j??ai envisagé, à l??approche des années 2010 , année du cinquantenaire de l??indépendance de beaucoup de nations sur le continent, un livre sur l??Afrique, je me suis aperçu que je connaissais peu de choses sur le Cameroun, son histoire, et son président. A peine avais-je le souvenir du film de Jean-Jacques Annaud, « La Victoire en chantant », qui avait obtenu un Oscar du meilleur film étranger à Hollywood, en 1976, je crois, et qui relatait des troubles entre troupes coloniales françaises et allemandes après la guerre de 1914??C??est dire mon ignorance??La réputation de grand mystère qui flottait autour du président Paul Biya a fait le reste : quoi de plus excitant pour un journaliste que d??explorer un sujet neuf ou alors de parler comme on ne le fait pas du tout ou pas suffisamment d??une personnalité qu??on a devant les yeux chaque jour? En me prémunissant contre les évidences et les idées reçues, j??ai ensuite peu à peu découvert le parcours et le caractère de cet homme, et je dois avouer qu??ils m??ont captivé. Le fait d??être né comme lui, au mois de février, et d??avoir reçu, moi aussi, l??enseignement des écoles chrétiennes y-est-il pour quelque-chose ? En tout cas, j??ai décidé d??écrire ce livre et j??en suis fier. En dehors des ouvrages et articles de presse dont vous vous êtes inspiré et que vous citez abondamment en bibliographie, avez-vous bénéficié de contacts directs avec le président Paul Biya dans votre travail ? Je n??ai eu, à mon grand regret, aucun contact direct avec le président. Après tout, ce n??était pas indispensable, et cela ne fait que renforcer la liberté de l??auteur. Il a tout de même accepté de répondre à des questions écrites à la fin de mon enquête, et ses réponses, qui figurent dans le livre, apporteront au lecteur, je l??espère, des éléments inédits d??information sur ses méthodes de travail et sur sa philosophie. J??ai beaucoup enquêté et parlé avec des personnes qui l??approchent, qui s??opposent à lui, qui travaillent avec lui ou ont travaillé avec lui dans le passé. Tout compte fait, n??avoir pas eu un contact direct avec le président a été un avantage en termes de liberté, de distance, de confrontation des sources. Les échanges directs avec le président auraient pu faire naître une connivence. L??absence de contact a permis d??observer la bonne distance. En quoi pensez-vous que votre livre va contribuer à mieux cerner le « mystère» Biya? Derrière le « mystère Biya », il y a, permettez-moi cette facilité, un « Mister Biya » un homme et un chef politique largement sous-estimés voire méconnus à tort. Remonter aux sources de son enfance, de son éducation, de sa formation, raconter les épreuves qu??il a surmontées, les drames qu??il a vécus, oui, je crois que cela a du sens. En tout cas pour un écrivain, et aussi pour les lecteurs : car il s??agit ici, avant tout, de raconter le roman vrai de la vie exceptionnelle d??un parcours hors norme. Le personnage et son histoire, mêlés à l??histoire du pays, sont tout simplement passionnants. Si vous étiez amené à recommencer cet ouvrage, qu??ajouteriez-vous ou alors que retrancheriez-vous ? Je ne retrancherai rien. Mais évidemment, comme il ne s??agit pas ici d??une biographie exhaustive et formelle, mais plus modestement d??une tentative de portrait, il y a des événements et des périodes sur lesquelles je suis passé trop vite. Par exemple, à la sortie du séminaire, quand Paul Biya renonce à la prêtrise pour envisager une carrière au service de l??Etat, il y aurait sans doute beaucoup plus à dire sur ce qui a motivé cette rupture tranquille, ce changement d??orientation et de destin. J??aurais également aimé parler de son art de la diplomatie, qui lui permet d??avoir d??aussi excellentes relations personnelles avec tant de chefs d??Etat étrangers depuis aussi longtemps. J??aurais aussi aimé m??attarder un peu plus sur le fait que dans les villes de Yaoundé et de Douala, il n??existe pas d??édifices publics portant le nom de Paul Biya. Il y a lieu de faire tout un travail sur cette forme de pudeur en politique. Par exemple, pourquoi refuse t-il systématiquement que les promotions des grandes écoles camerounaises utilisent son nom comme nom de baptême ? De même, il y aurait lieu à revenir sur la manière avec laquelle il a géré dans les années 1990 la désertion et l??opposition des personnalités politiques anglophones de premier plan telles que John Ngu Foncha et Tandeng Muna. Tout cela aurait mérité « quelques arrêts sur image »?? Il transparaît à la fin de votre ouvrage une admiration prononcée à l??endroit du président Paul Biya dont vous dressez le portrait en 368 pages. Cela ne dessert-il pas le biographe que vous êtes ? Si c??est ce que vous avez ressenti à la lecture du livre, c??est votre jugement et j??en prends acte. Il est vrai qu??en tant qu??auteur, j??ai été porté tout au long de l??écriture de ce livre par la découverte d??une personnalité qui m??a réellement inspiré. Je ne crois pas qu??il soit répréhensible d??avoir traduit cela avec sincérité, bien qu??il soit souvent de bon ton de dénigrer systématiquement les dirigeants et les pays africains. Par ailleurs, j??attends toujours que l??on me dise, à propos des faits relatés dans le livre, qu??il y en a de faux ou d??imaginaires. Rien n??empêche que d??autres écrivains nous proposent d??autres ouvrages sur Paul Biya ou sur d??autres hommes politiques camerounais. En ce qui me concerne, je ne suis pas juge, je suis écrivain et j??ai voulu raconter Paul Biya dans ce qui est, à mes yeux, sa vérité. Sans l??avoir approché en personne, j??ai eu l??impression de l??avoir réellement rencontré par le biais de mon enquête : oui, une vraie rencontre entre un auteur et son sujet, cela ne nécessite pas, je vous l??affirme, de se serrer la main. Et cela garantit l??impartialité du travail du biographe, qui reste libre de choisir la tonalité qu??il donne à son récit, sans être influencé par une empathie née d??un rendez-vous avec le premier magistrat du Cameroun. De la même manière qu??on a pu dire que la lecture d??un livre est le mode de transport le plus rapide, l??enquête objective et minutieuse est la manière la plus sûre de mieux connaître une personnalité. Lorsque les faits parlent, ils font le bonheur de l??écrivain. Envisagez-vous une dédicace de votre ouvrage au Cameroun ? Mon éditeur me dira s??il envisage, en relation avec les relais de distribution du livre au Cameroun, une ou plusieurs séances de dédicaces. Personnellement, je serais très heureux de revenir dans votre pays à cette occasion. Je suis flatté par la réception de mon livre, par les débats et les polémiques qu??il suscite. Nourrissez-vous d??autres projets à court ou moyen terme pour le Cameroun ? « Le Code Biya » m??a permis de connaître un peu mieux le Cameroun et d??y entrevoir beaucoup d??autres sujets intéressants. Alors pourquoi pas ? Il y a un vrai « gisement » éditorial dans le peuple camerounais, qui compte beaucoup de personnalités qui gagneraient à être connues. Sans vouloir tout dévoiler au lecteur, comment pourriez-vous en deux mots dépeindre l??homme et l??homme d??Etat, tel que vous l??avez pu décoder ? Sans avoir la prétention de réduire la personnalité de Paul Biya à quelques formules, je dirai qu??il a mis l??exigence, le sens des responsabilités, la maîtrise, le sens des équilibres, au c??ur de sa propre vie, comme il lui a été enseigné au séminaire, avant d??en faire des principes de gouvernement. Il a pris la mesure des enjeux, des dangers. C??est un maître du temps, comme tous les poètes, les philosophes qu??il fréquente dans ses lectures, et comme les grands politiques. Mais ce qui m??a finalement le plus impressionné dans la personnalité de Paul Biya, c??est qu??il ne s??est pas fabriqué un personnage, comme beaucoup de personnalités d??aujourd??hui. Ni pour plaire, ni pour dominer. Il est ouvert aux apports extérieurs tout en conservant son originalité et sa capacité à effectuer le tri : dans ce paradoxe résident sa force et sa capacité à évoluer dans les pires situations. Sa personnalité profonde n??a pas fondamentalement varié, même si, évidemment, il a su l??adapter. On apprend beaucoup sur soi-même à le fréquenter comme je l??ai fait par ce livre. N??est-ce pas une raison suffisante pour se féliciter de l??avoir écrit ?
Entretien mené par Marie Claire NNANA, Cameroun Tribune

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