Finances publiques : Le Cameroun s’endette pour vivre

Ministere des finances du Cameroun

La Chambre des comptes a examiné le projet de loi de règlement 2017. Elle relève que l’Etat multiplie les emprunts pour payer ses créances.

Le stock de la dette a atteint le double des recettes publiques.

La comptabilité générale de l’Etat en 2017 est dressée dans le projet de loi de règlement conçu par le gouvernement. Le texte est actuellement sur la table des députés et des sénateurs pour adoption. En attendant le verdict de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce projet de loi a déjà été examiné par la Chambre des comptes de la Cour suprême. L’institution supérieure de contrôle des finances publiques a produit un rapport d’observations définitives (Rod) mis à la disposition du ministère des Finances et des deux chambres du Parlement.

Dans ledit rapport, la Chambre des comptes constate qu’en 2017, le Cameroun présente un solde budgétaire de base négatif. Il est de -333 milliards F.Cfa. Ce solde s’obtient par la différence entre le montant des recettes propres de l’Etat et le montant des dépenses publiques annuelles excluant la dette payée dans le budget public. Il s’agit du solde de base rapporté au Produit intérieur brut (Pib).Ce solde doit être nul ou positif, selon les critères édictés depuis le 1er janvier 2002 dans le cadre de surveillance multinationale de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac). Or, le solde budgétaire de base du Cameroun est négatif en 2017. Reprenant la directive Cemac, la Chambre des comptes fait le rappel suivant : « un solde budgétaire négatif traduit mécaniquement la situation d’un Etat qui s’endette pour assurer son service de la dette. » En d’autres termes, les multiples emprunts effectués par le Cameroun servent à payer les précédentes dettes. Le pays s’endette pour payer sa dette. C’est à se demander s’il est pris dans le cercle vicieux de l’endettement sans fin.

Surendettement

Et pour cause, la Chambre des comptes observe que le stock de la dette ne cesse d’augmenter. Il a presqu’atteint le double des recettes propres de l’Etat en 2017. Soit 6 203 milliards F.Cfa contre 3 131 milliards F.Cfa, selon les chiffres fournis par la Caisse autonome d’amortissement (Caa). « L’encours de la dette publique a atteint le taux de 199%des recettes propres réalisées », conclut la Chambre des comptes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le risque de surendettement du Cameroun est passé de « modéré » à « élevé », d’après l’agence de notation Moody’s.
La conclusion de la Chambre des comptes tombe malgré les explications fournies par le ministère des Finances. Sur le solde budgétaire de base qui est négatif, l’administration dirigée par Louis Paul Motaze indique que le Cameroun n’a pas échappé au recul économique observé dans l’ensemble des pays de la sous-région Afrique Centrale. Le Minfi assure que l’équilibre sera retrouvé à moyen terme car, des espoirs sont fondés sur le Programme économique et financier conclu depuis juin 2017 avec le Fonds monétaire international. Dans le cadre de ce programme qui s’achève en 2019, le Cameroun a engagé des reformes budgétaires afin de bénéficier des crédits de 680,7 millions de dollars, soit environ 396 milliards F.Cfa. D’ici la fin 2018, l’Etat aura déjà encaissé 240 milliards F.Cfa. Après le Fmi, le pays devrait recevoir 300 milliards F.Cfa de ses autres partenaires, notamment la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou encore l’Agence française de développement.

Ces endettements et d’autres emprunts sont censés servir la croissance au Cameroun, c’est-à-dire la création de la richesse dont une partie permettra de rembourser. Ce n’est pas garanti pourtant. Et pour cause, l’Etat totalisait déjà 4 491,2 milliards F.Cfa au registre des Soldes engagés non décaissés (Send). Ce sont des emprunts obtenus mais non consommés. A ce sujet, la Chambre des comptes prévient : « l’augmentation des Sends d’année en année fait supporter des charges d’intérêts à l’Etat pour des fonds non employés. » En d’autres termes, le Cameroun s’endette, paye des intérêts, mais n’utilise pas les fonds si chèrement acquis pour investir dans son développement. A partir de ce constat, on peut comprendre que le budget 2017 n’ait pas été entièrement consommé. Le solde atteint quelque 300 milliards F.Cfa, selon le projet de loi de règlement déposé au Parlement par le gouvernement.

Indiscipline budgétaire

Le Cameroun s’endette pour payer sa dette. Pourtant, cet endettement pourrait mieux servir si les finances publiques ne souffraient pas de l’indiscipline budgétaire depuis des années. Une indiscipline qui traduit la mauvaise gouvernance et peut cacher des détournements de fonds publics. Des illustrations sont données par le Chambre des comptes. Les recettes et dépenses non régularisées s’élèvent respectivement à quelque 6,4 milliards F.Cfa et environ 76,2 milliards F.Cfa. Au Minfi, la direction générale du Budget explique que les fonds prévus sont généralement inferieurs aux réalisations. Dans le registre des prévisions, peut-être que les besoins des établissements publics et celles des sociétés d’économie mixte sont plus élevés que prévus. Dans tous les cas, il y a eu en 2017 un dépassement du plafond de 40 milliards F.Cfa au titre des emprunts concessionnels. En effet, l’encours de la dette avalisée par l’Etat a été de 51,7 milliards, indique le projet de loi de règlement. En même que la Caa a déclaré 51,9 milliards.

Toujours au registre de l’indiscipline budgétaire, la Chambre des comptes relève le sort réservé aux dotations budgétaires qui sont si souvent transformées en dépôts et caisses d’avance. Ces fonds servent finalement à payer des dépenses avant prestation. Des dotations sont utilisées au-delà de l’exercice budgétaire qui est annuel. Ainsi sont dissimulées des sous-exécutions du budget. Même les Comptes d’affectation spéciale (Cas) n’échappent pas à la gestion peu orthodoxe. Les 14 comptes de l’année 2017 ont été équilibrés en recettes et dépenses à 107,6 milliards. Les irrégularités notées sont les suivantes : dépassement des plafonds, allocations des subventions, payement des dépenses non éligibles, mauvais report des soldes, non intégration des soldes de trésorerie dans le résultat général, confusion dans la gestion des ressources dédiées aux Etablissements publics administratifs, notamment les ressources propres et les ressources logées dans le Cas.

Par ailleurs, il n’y a pas eu de décret pour réguler le compte d’affectation ouvert pour le Fonds de soutien aux victimes des catastrophes et calamites naturelles.
L’Etat s’endette parce qu’il gère souvent mal les ressources à sa disposition. Il s’endette aussi alors que son propre argent est en déperdition. En effet, les restes des recettes fiscales et douanières à recouvrer ne cessent de croître au fil des années. En 2017, le stock a atteint les 1 300 milliards F.Cfa. L’engagement du Minfi à récupérer cet argent « n’a pas encore produit les résultats escomptés », dit la Chambre des comptes.
Toutes les observations faites par cette institution visent à améliorer la gouvernance budgétaire au Cameroun. D’où la pertinence du forum d’échanges tenue au Sénat ce mardi 13 novembre 2018. La Chambre des comptes, conduite par son président, Marc Ateba Ombala, est venue éclairer les sénateurs qui doivent examiner le projet de loi règlement 2017 au cours de la session parlementaire ouverte le 2 novembre dernier. Malgré les griefs relevés, le texte doit être adopté en l’état. Tel est l’avis de la Chambre des comptes.

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