Énergie : le camerounais Eneo sur courant alternatif

Eneo

Face à une trésorerie tendue et aux arriérés dus par Yaoundé, la filiale d’Actis éprouve des difficultés à se fournir auprès des producteurs indépendants.
Et le retard pris pour renouveler sa concession ralentit le développement de deux projets de barrage.
Joël Nana Kontchou est un optimiste impénitent. à la sortie d’une réunion à la primature, le 2 janvier, le directeur général d’Eneo ne se départit point de sa sérénité habituelle. « Il y a quelques turbulences. Mais on finira par les surmonter », glisse-t-il.
Pourtant, à l’entame de la période d’étiage (entre décembre et juin), durant laquelle le débit de la Sanaga – plus important fleuve du pays sur lequel sont construits les principaux barrages – est au plus bas, les Camerounais s’agacent des coupures de courant, même si elles sont moins intenses que par le passé. Adepte des chiffres, l’ancien cadre de Schlumberger préfère évoquer un « étiage plutôt calme » en comparaison des années antérieures, tout en se targuant d’une réduction des délestages de près de 20 % depuis son arrivée.

Déficit énergétique
Confrontée à une trésorerie tendue, en dépit d’un chiffre d’affaires en hausse de 6 % – 300,8 milliards de F CFA (environ 459 millions d’euros) – et d’un résultat net positif (2,5 milliards de F CFA) en 2016, la filiale d’Actis peine à solliciter les capacités des producteurs indépendants pour pallier le déficit énergétique en saison sèche. C’est le cas de la centrale à gaz de Kribi (216 MW), qui ne parvient pas à fournir toute la quantité d’énergie du fait d’arriérés de l’ordre de 45 milliards de F CFA envers son propriétaire, la Kribi Power Development Corporation (KPDC). Dépendant elle-même de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), qui lui fournit le combustible, la filiale de Globeleq a aussi une dette de 12 milliards de F CFA à l’égard de l’entreprise publique.
En cause, les arriérés qu’accumulent dans le règlement des factures les clients, dont l’État et ses extensions, telles les entreprises publiques, les universités et les communes, qui doivent près de 50 milliards de F CFA à l’énergéticien. D’autres grands comptes, à l’instar d’Aluminium du Cameroun (Alucam) ou de la Camerounaise des eaux (CDE), accusent également des retards de paiement qui enraient la mécanique.

L’équilibre financier compromis
Cette situation compromet l’équilibre financier du système électrique camerounais, dont Eneo est la pierre angulaire. « L’introduction des producteurs indépendants oblige le distributeur à payer cash l’énergie à distribuer. Le client doit également s’acquitter du montant de sa facture immédiatement, sinon vous vendez à crédit, et un acteur doit supporter une grande partie de la dette », reconnaît Joël Nana Kontchou.
En récession et soumis à un programme triennal avec le FMI, l’État a certes fait un geste en novembre 2017. Il a débloqué 15 milliards de F CFA, dont un tiers a servi à rémunérer KPDC et les deux autres tiers à rembourser des prêteurs.
L’entreprise arrive jusqu’à présent à honorer les échéances de sa dette et assure pouvoir s’acquitter des trois derniers paiements d’ici à 2019. Mais le besoin en trésorerie est tel que les investissements prévus dans le plan de 337 milliards de F CFA pour remettre le réseau de distribution en état n’arrivent pas au rythme souhaité. Pourtant l’entreprise a besoin de 60 milliards de F CFA sur les trois prochaines années pour améliorer significativement sa situation. Mais le renouvellement de la concession, qui prend fin en 2021, pèse sur elle comme une épée de Damoclès.

EDF et Platinum Power font profil bas
Face à des engagements d’une certaine durée, les bailleurs de fonds d’Eneo, à la recherche d’une garantie quant à la continuité de l’activité, souhaitent que ce dossier soit bouclé le plus tôt possible pour pouvoir consentir de nouveaux prêts. Cette position précaire de l’unique acheteur d’énergie du pays a des répercussions jusque sur les projets de barrage de Nachtigal (420 MW), promu par EDF, et de Makay (350 MW), diligenté par le capital-­investisseur américain Brookstone à travers le fonds marocain Platinum Power. Lesquels doivent entrer en activité respectivement en 2021 et en 2022. L’extension de la concession est devenue le préalable à la signature des contrats d’achat d’électricité qu’attendent impatiemment les prêteurs.
Contactés par Jeune Afrique, EDF et Platinum Power préfèrent faire profil bas. « Personne ne se rend compte que l’inertie et les guerres intestines de l’État sont en train de mettre par terre le secteur par l’affaiblissement de l’unique acheteur possible et par l’augmentation des coûts de développement, qui auront des répercussions à terme sur le tarif de production de ces projets. Car tout retard entraîne des surcoûts », résume, dépité, un connaisseur du secteur.
Pour avancer, le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, a transmis les ordres du président Paul Biya, qui penche pour une extension de dix ans de la concession, mais en retirant du patrimoine d’Eneo le barrage de Song Loulou – 388 MW –, le principal ouvrage en activité.
Pour ne rien arranger, Séraphin Magloire Fouda, secrétaire général de la primature – par ailleurs président du conseil d’administration d’Eneo –, vient de lancer un avis d’appel à manifestation d’intérêt pour recruter un consultant devant mener une étude sur le découpage du réseau de distribution en zones économiquement viables. « C’est aller au-delà de la réforme envisagée et entretenir des zones de flou qui vont complètement paralyser le secteur par l’affaiblissement de l’unique acheteur », s’indigne notre expert.
Devant tant de coups de boutoir, Joël Nana Kontchou se veut diplomate pour ménager Yaoundé. « Le gouvernement a une attitude responsable et propose une solution raisonnable », lâche-t-il, sommaire. Du côté du gouvernement, le mutisme prévaut. « Nous réfléchissons encore à la meilleure formule pour rendre la directive du président applicable. Plusieurs questions subsistent. Par exemple, faudra-t-il saucissonner le réseau de distribution pendant la période d’extension, ou après ? », note un officiel.
Ces atermoiements du gouvernement nourrissent les inquiétudes des acteurs du secteur électrique camerounais. « À moins d’une reprise en main ferme par le chef de l’État lui-même, la situation actuelle va montrer aux potentiels investisseurs qu’il est peut-être trop risqué de se développer sur ce territoire, tout du moins dans le contexte politique actuel », tranche un développeur.

Memve’ele court-circuite la hausse du tarif
« Cette année, le tarif payé couvrira les charges, et ce jusqu’en 2020 au minimum », se réjouit Joël Nana Kontchou. Par conséquent, l’État ne déboursera pas un kopeck au titre de la compensation tarifaire, et la menace d’une augmentation du prix de l’électricité s’éloigne momentanément pour le 1,2 million de clients d’Eneo.
À l’origine de la bonne nouvelle, l’entrée en service du barrage de Memve’ele (211 MW), qui devrait, dès mars, injecter ses premiers mégawatts dans le réseau, mettant à l’arrêt les centrales thermiques d’Ebolowa, de Mbalmayo et d’Ahala (Yaoundé), grosses consommatrices de fioul.
Depuis le blocage du tarif en 2012, l’État se substitue au consommateur pour acquitter le surplus qui aurait dû être payé chaque année pour couvrir les charges d’Eneo. Une compensation qui s’élevait à plus de 20 milliards de F CFA (30 millions d’euros environ) l’année écoulée, gonflant de fait la dette de Yaoundé à l’égard de l’entreprise.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *