Cameroun – Crise à l’OAPI : Comment Dodo Ndoke défie Paul Biya

Le ministre Gabriel Dodo Ndoke

Dans la crise au sein de l’Oapi, au mépris des instructions fermes du chef de l’État, le ministre des Mines, de l’industrie et du développement technologique joue pour ses intérêts. Engageant parfois l’honorabilité du Cameroun.

L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) est dans le creux de la vague depuis environ six mois. L’institution panafricaine traverse une crise qui révèle au fil des jours, des petits arrangements qui débouchent sur de grandes connivences. Les faits ? Le 02 septembre 2021, le conseil d’administration de l’Oapi se réunie à la suite de nombreuses dénonciations de malversations financières au sein de l’institution. Cette session extraordinaire tenue en ligne débouche sur la décision de recruter un cabinet international chargé d’auditer la gestion financière de l’Oapi sur les trois dernières années (exercices 2018, 2019 et 2020). Le 24 septembre 2021, à la suite de plusieurs correspondances sans réponse, la présidente en exercice du conseil d’administration (Pca), la ministre béninoise de l’Industrie et du Commerce Alimatou Shadiya Assouman, donne au Directeur général (Dg) de l’Oapi, Denis Loukou Bohoussou, une ultime instruction de lancer l’audit international sous 48 heures assortie d’une mise en garde.

Il ne répondra qu’une semaine plus tard, sans manquer de corriger au passage les termes de références (Tdr) de l’audit validé par la Pca. En réponse à ces leçons de procédure, la Pca va monter d’un cran avec son acribie coutumière. Le 14 octobre 2021, elle suspend Denis Bohoussou de ses fonctions de Directeur général de l’Oapi. En même temps, la ministre béninoise charge le Directeur général adjoint « de liquider les affaires courantes ».

Dodo Ndoke au secours de Bohoussou

Mis au courant de sa suspension alors qu’il séjournait au Gabon, a appris Le messager de sources internes, Denis Bohoussou va rentrer précipitamment au Cameroun. Il va se rapprocher du ministre camerounais des Mines, de l’Industrie et du développement technologique (Minmidt), Gabriel Dodo Ndoke. Connu comme un soutien important à M. Bohoussou, le Minmidt va déployer ses cartes, invitant l’Ivoirien à regagner son poste au mépris de la décision de la Pca, affirme une source. Le 16 octobre 2021, Denis Bohoussou va donc se rendre au siège de l’Oapi à Yaoundé. Malheureusement pour lui, les services de sécurité de l’Oapi et la compagnie de sécurisation des diplomates de la police camerounaise vont l’empêcher d’accéder dans les locaux. Informé de ce fait par un « rapport », le Minmidt va briser les protocoles diplomatiques.

Dans un courrier daté du 20 octobre 2021 adressé au Dga de l’Oapi qui assurait l’intérim, parcouru par Le Messager, le membre du gouvernement menace le diplomate en l’invitant à s’abstenir de s’exprimer « en qualité de Chef de Mission diplomatique à la tête de l’Oapi aux autorités de l’État du siège ». Avec une inélégance déconcertante, Dodo Ndoke instruit également au Dga de s’abstenir « d’empêcher à M. Denis Bohoussou d’accéder aux enceintes du siège de l’Oapi et d’occuper les espaces de travail qui lui sont affectés en qualité de Directeur général ».

Le Minrex coupable Le 21 octobre 2021, le Minmidt va saisir le ministre des Relations extérieures (Minrex), Lejeune MbellaMbella, pour dénoncer écrit-il, « le comportement irrévérencieux et défiant du directeur général adjoint de l’Oapi à l’endroit des autorités gouvernementales du Cameroun
». Dans cette correspondance, le Minmidt indique qu’en sa qualité de ministre, administrateur du siège et tutelle technique de l’Oapi au Cameroun, il n’a pas été associé ni informé de la suspension de Denis Loukou Bohoussou. « Faux », rétorque un cadre de l’Oapi. « La suspension provisoire du Dg de l’Oapi, Denis Bohoussou par la Pca, est une mesure de gestion interne de l’Organisation qui a été notifiée à tous les administrateurs y compris celui du Cameroun », renseigne notre source. La démarche du Minmidt, explique un haut fonctionnaire du Minrex, a pour objectif de déclencher de la part du chef de la diplomatie camerounaise, une procédure visant à expulser Dga de l’Oapi, Wago Jean-Baptiste Noël, de nationalité centrafricaine, du territoire camerounais.

Le ministère des Relations extérieures va réagir le 02 novembre 2021 en précisant que, seul M. Bohoussou est reconnu par les autorités camerounaises, comme « la personne habilitée à agir au nom et pour le compte de l’Oapi sur le territoire camerounais ». Le document du Minrex obtenu par Le Messager auprès des sources crédibles, précise que le gouvernement camerounais se réserve le droit de considérer l’usage que fait le directeur général adjoint, des privilèges et immunités comme constituant un abus avec toutes les conséquences dommageables.« En tant que Directeur général adjoint, Jean-Baptiste Wago est chargé de la gestion courante de l’Organisation et doit à ce titre pouvoir accomplir sa mission en bénéficiant des privilèges et immunités inhérents à son statut », explique un expert. Ce dernier soutient que le Dga « ne saurait donc constituer un abus au regard des dispositions de l’accord de siège liant l’Oapi à la République du Cameroun ».

Paul Biya roulé dans la farine

Mis au courant de la crise au sein de l’Oapi, le président de la République varéagir par le biais de son ministre d’État, secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. « J’ai l’honneur de vous répercuter les très hautes instructions de Monsieur le président de la République, vous demandant de bien vouloir vous conformer aux décisions du président du conseil d’administration et de vous abstenir d’adresser des injonctions aux fonctionnaires internationaux de l’Oapi », écrit Ngoh Ngoh dans un courrier daté du 10 novembre 2021. Malgré ces instructions fermes de la présidence de la République, Gabriel Dodo Ndoke ne va pas faiblir. Le 10 décembre 2021 à Cotonou au bénin, lors de la session extraordinaire du conseil d’administration de l’Oapi, le ministre camerounais va briller par une adversité verbale vis-à-vis de la Pca.

Il fait d’ailleurs partie des administrateurs qui ont soutenu mordicus, malgré les preuves de malversations financières, que la suspension de Denis Loukou Bohoussou soit levée. « C’est très grave ce que Dodo Ndoke a fait à Cotonou. Il a remis en cause les instructions du président de la République. Il ne s’en tirera pas aussi simplement », analyse un fonctionnaire en service au ministère des Mines, de l’Industrie et du développement technologique. Des sources concordantes expliquent que le Minmidt a voulu préserver ses intérêts auprès de Denis Bohoussou. Les mêmes sources évoquent un dossier d’acquisition d’un terrain de près de 1100 m2 sur un domaine privé en plein centreville de Yaoundé, pour la construction d’un Centre de documentation de la propriété intellectuelle (Cdpi). Le Minmidt aurait soutenu que ledit terrain a été obtenu par la structure nationale de liaison. Mais nos sources affirment qu’il n’en est rien. « Le terrain dont il est question appartient à M. Dodo Ndoke », affirme un fonctionnaire du Cadastre. Rien ne saurait être plus clair !

Ahmed MBALA / 237online.com

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