Le président français invite à plus de démocratie, mais incite en sous main aux révolutions de rue en Afrique où son pays joue un rôle ambigu.[pagebreak]L’un des passages les plus remarqués du discours du président français, vendredi à Dakar, aura sans conteste été son évocation du vent de contestations populaires suivi de changements à la tête de certains États africains. En effet, à l’occasion de l’ouverture du XVème sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif), François Hollande a embouché la trompette de la révolution de la rue.
Il a salué l’œuvre du secrétaire général sortant de l’organisation et ex-chef de l’Etat sénégalais, Abdou Diouf, un exemple qui a accepté que l’alternance puisse exister dans son pays et laissé la place lorsque les électeurs l’ont décidé. Dans une salle où se retrouvaient quelques dirigeants du continent visiblement embarrassés, en proie à la fronde de leurs peuples, François Hollande a martelé que la francophonie était «soucieuse des règles de la démocratie, de la liberté du vote, du respect des ordres constitutionnels et de l’aspiration des peuples, de tous les peuples, à des élections libres. C’est ce qui vient de s’accomplir en Tunisie. C’est une belle illustration, que ce soit dans un pays francophone, qu’il y ait eu la réussite d’un Printemps Arabe. Cet accomplissement, cette transition doivent également servir de leçon».
Et le président français de faire l’éloge de la bonne gouvernance avec des accents galvaniseurs : «Là où les règles constitutionnelles sont malmenées, là où la liberté est bafouée, là où l’alternance est empêchée, j’affirme ici que les citoyens de ces pays sauront toujours trouver dans l’espace francophone le soutien nécessaire pour faire prévaloir la justice, le droit et la démocratie.» François Hollande en veut pour preuve la «belle démonstration» du peuple burkinabè où, voici peu, Blaise Compaoré a été chassé du trône alors qu’il s’apprêtait à faire modifier la Loi fondamentale pour faire le lever la limitation des mandats à la tête de l’Etat.
Pour M. Hollande, «ce qu’a fait le peuple burkinabè, doit faire réfléchir ceux qui voudraient se maintenir à la tête de leur pays en violant l’ordre constitutionnel. Parce que ce sont les peuples qui décident. Ce sont les élections qui permettent de savoir qui est légitime et qui ne l’est pas». C’est donc d’un problème de légitimité et de démocratie qu’il s’agit. Sauf que François Hollande, dans cet exercice, ne semble pas le mieux indiqué pour faire la leçon. Son pays a joué, depuis de longues années, un rôle des plus ambigus en Afrique. Au nom d’intérêts parfois occultes, et en dépit de serments officiels promettant la fin de la Françafrique, l’hexagone continue de surfer sur les non dits, les combines et le clientélisme.
Le 18 septembre 2012, François Hollande, recevant justement Blaise Compaoré, le déchu d’aujourd’hui en sa qualité de médiateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) dans la crise malienne, n’avait émis aucune réserve quant au sérieux de son hôte à trouver des solutions de paix. En 2011, le peuple burkinabé s’était révolté pendant plusieurs mois contre le régime de Ouagadougou, au lendemain de la réélection de Blaise Compaoré avec 80% des suffrages. M. Hollande avait observé un silence bruyant face aux événements.
Mieux, quelques mois plus tard, son ministre des Affaires étrangères Roland Fabius lors d’un voyage au Burkina Faso où il avait déclaré : «La France et le Burkina Faso sont amis de longue date. Les relations entre nos gouvernants sont excellentes. La coopération va se poursuivre, s’amplifier si c’est possible. Nous n’allons pas inventer des problèmes là où ils n’existent pas. Il s’agit d’une véritable coopération de long terme, fluide, et nous avons l’intention, bien sûr, de la poursuivre.»
L’hypocrisie a parfois bon dos. C’est bien beau, de conseiller à certains dirigeants d’avoir une oreille attentive aux désidératas de leurs citoyens. Mais la France n’a-t-elle pas, par ses tergiversations, du fait de ses louvoiements ou au nom de la protection de ses intérêts, une part de responsabilité dans le sort connu aujourd’hui par plusieurs pays africains sur les plans de la démocratie, du développement et du respect des droits de l’homme ?
Mais quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, bien des Africains soutiennent mordicus que cette sortie du président français à Dakar, celui du successeur de Nicolas Sakozy est, au regard du contexte, de loin le plus pertinent. Et mérite qu’il soit gravé en lettre d’or dans les annales de l’histoire.
René Atangana