Crise anglophone : et si le débat sur la forme de l’Etat camerounais ne faisait que commencer ?

La forme de l’Etat est non négociable ! L’Etat a le monopôle de la violence force doit rester à la loi ! Il n’est point de dialogue possible faute d’interlocuteur ! Tels furent pendant quasiment trois ans, les effets de menton d’une phalange d’universitaires de cour, de journaleux de comptoir et de liges en quête de pitance.

La métamorphose radicale de la rhétorique gouvernementale signée par les propos du premier ministre camerounais lors de sa dernière visite à Bamenda, laisse l’opinion dans l’expectative. En tout état de cause, l’ultime louvoiement verbal de quelques zélateurs éhontés ne fait plus illusion. L’âpreté d’insurgés sur-motivés et les pressions d’une « Communauté Internationale » enfin réveillée ont eu raison de l’autisme du « groupuscule apocalyptique » qui tire les ficelles du pouvoir à Yaoundé en étoffant un palmarès criminel déjà bien chargé. S’ouvre désormais au Cameroun un tunnel de conciliabules au bout duquel la forme administrative de ce pays ne sera probablement plus la même. L’unique interrogation porte sur l’amplitude des transformations à venir ; tant les perceptions et les aspirations des partis prenantes semblent divergentes.

L’Etat unitaire : (produit d’un malentendu historique)

Les multiples modifications constitutionnelles et les incidences législatives subséquentes au Cameroun, n’ont jamais fait l’objet d’une préparation collaborative impliquant le citoyen. Le groupe dirigeant pour le pas dire le despote central s’arroge toujours le monopole de la manœuvre ; tout au plus daigne-t’il instrumentaliser quelques féodaux dans un simulacre de concertation. Ainsi, en 1961, 1972, 1984, 1996, le pays connaît des mutations organisationnelles substantielles passant de la fédération à la république unie, l’Etat unitaire, puis l’Etat unitaire décentralisé dans un semblant de consensus décrété par le haut. Avec l’actuelle crise anglophone, la rupture du tabou sur la forme de l’Etat jusque-là imposé par la technologie répressive en place met à nu la schizophrénie du « roman national » camerounais. Une contradiction entre un credo unitariste psalmodié par toutes les lèvres mais un réflexe foncièrement autonomiste ; le gap entre une sur-célébration de la figure présidentielle et un tempérament très parlementariste marqué par la revendication d’une émancipation de la primature. Si bien qu’au Cameroun, les citoyens qui s’écharpent sur la question de la forme de l’Etat vitupèrent paradoxalement tous contre le commandement territorial, la caisse unique du trésor public, la tutelle des préfets et gouverneurs et souhaitent même l’octroi d’un pouvoir législatif et fiscal autonome aux collectivités territoriales. Le déficit de formation sur les questions de science administrative aidant, ces préalables sont considérés comme pré requis d’une « décentralisation authentique » convoitée tel un mirage. N’eut été le malentendu fondamental ici décrié, la forme de l’Etat ne devrait donc point constituer une source de controverse ; tant mis à part une poignée de jacobins centralisateurs, l’âme politique camerounaise est profondément centrifuge. Si on s’en tient aux modèles théoriques d’organisation étatique, les préoccupations sus évoquées traduisent une forme fédéraliste dont seuls les contours sont à préciser.

L’impératif d’une table des matières substantielle

Le vocable « dialogue » ne saurait en soi constituer une panacée ; encore faut-il donc y mettre de la substance. Dans cette optique, il conviendrait de distinguer les thématiques proprement conjoncturelles des problèmes structurels qui seuls sont à même d’enclencher des solutions durables aux questions périphériques.
*De fait, le problème « KAMERUN » ne pourra trouver d’issue positive sans la mise en débat de la disposition constitutionnelle faisant du pays un « Etat unitaire décentralisé ». La médiation devra slalomer entre un extraordinaire dégradé de perceptions.

–Tel sur un continuum, à l’extrême droite, les jacobins centralisateurs assimilateurs prônent la restauration du commandement territorial de sorte à limiter les élus locaux à un rôle consultatif ; tandis que l’éradication des féodalités médiévales et le corolaire de traditions et particularismes assurerait une parfaite uniformité entre camerounais de l’est à l’ouest, du sud au nord. De toute évidence, une telle position demeurera marginale ; tant soixante ans de répression et de corruption du commandement territorial, ont contribué à discréditer durablement une corporation qui est pourtant la meilleure ressource humaine dont la nation puisse disposer dans les terroirs.

-En second lieu, les adeptes de la décentralisation devront là aussi distinguer en leur sein les partisans de la préservation d’une « tutelle a priori » par le rôle des préfets et gouverneurs, des réformistes qui exigent la suppression de la tutelle administrative afin d’instaurer un contrôle juridictionnel par un juge administratif ; quitte à tempérer par le filtre du » référé préfectoral ». Il s’agit en l’occurrence du mécanisme de la décentralisation française résultant de la loi Gaston DEFFERRE en 1982.

à gauche, les fédéralistes devront arbitrer entre une formule d’Etats fédérés à l’américaine ou un régionalisme de type espagnol ou autrichien. Ce dernier modèle peut présenter l’avantage de digérer les velléités autonomistes des autres groupes identitaires constitutifs de la communauté nationale. Outre la subsidiarité de la compétence du pouvoir central, un tel niveau d’autonomie met le juge au cœur de la régulation des rapports entre les acteurs institutionnels.
Enfin, les mouvances indépendantistes auront l’opportunité d’exprimer les modalités opérationnelles de leur projet. Le défi étant de démontrer sa légitimité vis-à-vis du peuple dont elles prétendent porter la cause et en quoi le large spectre des préconisations antérieures ne saurait rencontrer leur assentiment.

*Le second point substantiel du dialogue devrait porter sur la justice.

Une perception simpliste tend à interpréter la revendication anglophone en une opposition entre Common et Civil law. Cette restriction occulte l’insatisfaction générale des camerounais vis-à-vis de leur institution judiciaire. Héritière de la tradition juridique française, la justice camerounaise n’a jamais été qu’une autorité inféodée à l’exécutif. Même la consécration du pouvoir judiciaire par la constitution de 1996 n’est qu’un trompe-l’œil. Sevrés de leur tradition d’indépendance de la justice héritage britannique, les protagonistes anglophones entretiennent une suspicion atavique à l’égard du pouvoir de Yaoundé. L’opposition des cultures juridique n’est pas rédhibitoire. Les échanges scientifiques et les phénomènes mimétiques estompent les clivages du dix-neuvième siècle. Les tribunaux anglais connaissent des chambres spécialisées dans le contentieux de la puissance publique ; tandis que le juge judiciaire français est compétent pour juger la puissance publique dans plusieurs matières ; en l’occurrence les atteintes à la propriété privée, aux libertés, le contentieux des travaux publics. Une modification des dispositions constitutionnelles inféodant le Conseil de la magistrature au chef de l’Etat, en vue d’une indépendance complète de celui-ci dans la gestion des carrières, la dévolution d’un monopôle des instructions collectives ou dans la validation préalable des instructions dans les dossiers individuelles pourraient constituer la base d’un consensus.

*Une ultime chemise peut porter sur la limitation des mandats présidentiels, un strict encadrement de l’engagement des forces de troisième catégorie à l’intérieur du territoire et le contrôle des fonds alloués à la présidence de la république. L’éventuelle décantation de ces questions structurelles impactant la nature profonde de la république créerait une atmosphère de confiance propice à la résorption des problèmes conjoncturels liés au code électoral, l’organisation des scrutins, les systèmes d’éducation…

La controverse sur l’intendance du dialogue

La qualité des interlocuteurs, le lieu et le médiateur sont des questions d’intendance que les faucons déboussolés essayent comme dans un dernier soupire réactionnaire d’instrumentaliser pour freiner la sortie de crise. -De fait, la substance donnée au dialogue détermine les éléments d’intendance. S’agissant d’un dialogue inclusif dont les questions sont aussi diverses, les acteurs doivent pouvoir se recruter dans toutes les franges de la communauté nationale. Les partis politiques, les organisations de la société civile, mais aussi les mouvements armées d’obédience séparatiste. Le plus important étant de laisser à chaque protagoniste la liberté d’organiser sa représentation ; contrairement au réflexe despotique consistant à choisir les interlocuteurs de complaisance et imposer un langage de convenance. Après tout le fameux Consortium dissout en janvier 2017 n’a guère eu besoin du gouvernement pour se créer et s’organiser.

La détermination du lieu sera nécessairement un point d’achoppement à négocier avec tact. Les crispations potentielles tiennent à la sécurisation des participants et à la nécessité de segmenter le dialogue. La sécurisation des participants parce que les mouvements séparatistes ont tout à craindre d’un traquenard du régime instrumentalisant la menace d’interpellation pour intimider et orienter les débats. Il ne s’agit point d’une hypothèse d’école si l’on se souvient du sort réservé aux négociateurs du consortium. En outre il est difficile d’acheminer hors des frontières toutes les parties désireuses de se faire entendre. Une première phase de la négociation portant justement sur les éléments structurels pourrait se tenir en un lieu neutre. Fort d’un accord préalable, une seconde phase portant sur des éléments conjoncturels se tiendrait alors au Cameroun.
Ce séquençage induit que la médiation sur les éléments structurels soit le fait d’une personnalité non camerounaise dotée d’une ressource coercitive suffisante pour faire plier les diverses parties. Le poids du Conseil de sécurité est un idéal. En revanche, la seconde phase pourrait être conduite par des personnalités camerounaises réputées crédibles.

La gestion des impondérables

Les faucons convertis au dialogue du bout des lèvres spéculent sur le prétendu irrédentisme des mouvances séparatistes pour relativiser l’utilité de la négociation. Pourtant, le sécessionnisme est avant tout une posture et ses adeptes conservent un minimum de bon sens. Il n’est plus besoin de rappeler au régime de Yaoundé qu’un consensus sérieux avec les franges modérées permettrait à ces dernières de ramener les radicaux à la réalité. La restriction du champ des pourparlers n’est qu’une ultime expression du logiciel mental profondément despotique du chef de l’Etat camerounais. Il s’agit d’un piège visant à remettre systématiquement tel un épouvantail au centre du débat les séparatistes pour mieux galvauder toute négociation. Un tel jeu à courte vue est particulièrement dangereux. La persistance du dilatoire ne fera que renforcer la conviction que décidément, les anglophones n’ont rien à espérer de Yaoundé. Deux hypothèses seraient alors possibles. Soit travailler à l’éviction du régime à l’occasion d’une rupture de l’ordre constitutionnel, soit renforcer plus efficacement une dynamique de sécession. Les acteurs internes et externes de cette crise en ont largement les moyens. Les cris d’orfraie des propagandistes de Yaoundé n’y feront rien.

En définitive, seules des mutations politiques profondes sont de nature à donner du sens aux milliers d’âmes détruites et aux dégâts économiques. Fort de ces réformes constitutionnelles, une vraie démocratie camerounaise devrait s’inspirer des homologues (française, espagnole anglaise) en accordant aux mouvances séparatistes une vitrine politique représentée dans les assemblées locales et nationales grâce au recours à la proportionnelle. Ainsi digérée par le système politique rénové, les tendances séparatistes irréductibles ne menaceront plus le projet national. Le régime despotique de Yaoundé est-il seulement capable d’une telle lucidité ? Rien n’est moins sûr !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *