Le régime de Yaoundé gage sur l’immunité collective, malgré le nombre effrayant de décès que cela pourrait entrainer.
La gestion de la crise sanitaire par le gouvernement est-elle à la hauteur ? Aux erreurs, lourdes de conséquences, commises jusqu’à présent, s’ajoutent une inquiétante désinvolture face aux alertes de l’Organisation mondiale de la santé(Oms) et une communication incohérente. Le pouvoir de Yaoundé se révèle incapable de sortir de ses schémas de pensée.
Tenez, le Cameroun est entré dans sa phase de réponse à la pandémie Covid-19 depuis le 5 mars avec la notification du premier cas positif sur le territoire. Sur instructions du président Paul Biya, le gouvernement a pris treize mesures, à compter du 18 mars 2020, pour circonscrire la pandémie, avec notamment la fermeture des frontières, des écoles, lycées et universités… Le 9 avril, le Premier ministre Joseph Dion Ngute, annonce sept nouvelles mesures qui complètent les 13 mesures effectives depuis le 18 mars.
Alors que les cas de contamination se multiplient (plus de 1800 cas et plus de 100 morts), le gouvernement vient de prendre une décision somme toute curieuse et « absurde ». En effet, dans une déclaration spéciale faite le 30 avril, Joseph Dion Ngute annonce que suite à des « distorsions économiques et sociales » entrainées par les mesures de restriction, Paul Biya a décidé de quinze « mesures d’assouplissement », dont les plus curieuses sont « l’ouverture au-delà de 18 heures, des débits de boissons, des restaurants et des lieux de loisirs », et « la levée de la mesure réduisant le nombre réglementaire des passager dans tous les transports en commun par bus et taxi ».
L’enseignant de sociologie à l’Université catholique d’Afrique centrale, Pr Claude Abé, pense que « le gouvernement a réagi à une situation sociale qui commençait à devenir un goulot d’étranglement, parce que les mesures de restriction édictées tuaient l’économie de la nuit. Il y avait donc une grande grogne qui montait dans ce secteur et il fallait l’arrêter ». Pour sa part, le journaliste chercheur Abdelaziz MoundéNjimbam interroge la logique qu’il y’a à ouvrir les bars et demander que les gens restent chez eux. Selon lui, « cette décision [du gouvernement] et ses incohérences sont précisément le fuel d’une flambée de patients de Covid-19 » au Cameroun. Un avis partagé par le Dr. Ahmadou Sehou, historien et analyste politique. Pour lui, le gouvernement a privilégié « les intérêts des brasseurs et de leurs détaillants au détriment de la santé publique nationale ». Malgré le fait que Yaoundé ne se soit pas exprimé officiellement, tout porte à croire que la stratégie affichée est de miser sur « l’immunité collective », en laissant le virus se propager.
Contagion de masse
Dans le brouillard de la situation actuelle, face aux contradictions et revirements de l’exécutif, ça bouillonne, ça s’enrage. L’un des membres du Conseil scientifique des urgences de santé publique, explique au Messager, sous le couvert de l’anonymat en raison de sa fonction, « qu’il n’est pas possible d’éviter que tout le monde attrape le virus. Et ce n’est pas non plus souhaitable, car il faut que la population acquière une certaine immunité ». L’immunité collective, expliquons-le, est un principe par lequel on peut enrayer la propagation d’une maladie contagieuse dans une population, à partir du moment où la majorité de cette population est immunisée. « Nous n’en savons pas assez sur ce virus, il n’a pas atteint la population depuis assez longtemps pour savoir quels sont ses effets sur le plan immunologique », avertissait à ce propos Margareth Harris, porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), en opposant cette « théorie » à l’urgence sanitaire du moment. Aussi, l’Oms, comme bien d’autres experts, juge cette voie immunité collective bien trop risquée pour s’y aventurer. En plus d’assumer la part tragique de décès dans cette option, il faut également mettre en place un système de santé organisé de manière proportionnée. Logique : si le virus se propage, le nombre de malades suivra sa courbe de progression naturelle et dépassera très rapidement le nombre de lits disponibles.