Comment les partisans du chef de l’Etat l’ont hâtivement désigné « expert » en libération des otages.
Depuis la libération des 27 otages camerounais et chinois dans la nuit de vendredi à samedi dernier, il n’y en a plus que pour lui.[pagebreak] Les zélateurs se déchaînent. Il y aurait une « méthode Paul Biya » pour obtenir la libération des otages. Une méthode « efficace », faite de discrétion, de patience et de silence qui, avant le dernier dénouement, a déjà permis la libération de la famille de Moulin Fournier, du père Vandenbeusch, des religieux italiens et de la réligieuse canadienne.
Un éditorialiste à la Crtv a ainsi fait du chef de l’Etat un « expert en libération d’otages » dont l’expertise devrait inspirer ses homologues dont les compatriotes sont égorgés lorsqu’ils ne sont pas maintenus des années durant en captivité. Autosatisfaction aussi à l’Action, le journal de propagande du parti au pouvoir (Rdpc). Ici, on flatte le savoir-faire présidentiel au moment où les prises d’otages se terminent dans le sang à travers le monde : « Avec patience, méthode et efficacité, le chef de cet Etat que certains tentent d’anéantir, a préparé et coordonné la riposte. Quelques mois plus tard, le résultat est là : tous les otages ont été libérés, sains et saufs ! Le Cameroun et son chef peuvent désormais se targuer d’une expérience et d’un savoir-faire en matière de libération des otages ! »
L’image
Cette forme d’agitation tranche pourtant avec l’option de sobriété. Lundi dernier, il a consacré ses premiers mots aux otages libérés en saluant leur courage, leur volonté et leur croyance en Dieu qui leur « a sauvé » la vie. Laissant en retrait sa personne, Paul Biya a ensuite fait hommage à la vaillance des forces armées qui se battent avec courage nuit et jour pour que le Cameroun reste un pays de paix et de sécurité. Enfin, il a clairement admis que ce dénouement heureux est dû « à l’engagement des populations », notamment celles de l’Extrême-Nord « qui vivent le calvaire tous les jours mais qui apportent aux forces de l’ordre un concours que nous apprécions », s’est-il réjoui.
La tentative de récupération politicienne de la libération des otages orchestrée par des zélateurs amuse le député Sdf (parti de l’opposition) Jean-Michel Nintcheu qui parle plutôt d’une volonté de rattrapage consécutive à un défaut d’anticipation qu’il impute au régime en place à Yaoundé : « La libération des otages ne peut en rien avoir un impact positif sur l’image du président Paul Biya. Au contraire cela écorne son image parce qu’il est en train de se rattraper sur un phénomène que son régime a négligé », confiait-il au Jour mardi dernier.
L’élu croit d’ailleurs savoir que les otages camerounais ou étrangers enlevés au Cameroun sont libérés parfois en échange des prisonniers membres de la secte Boko Haram ou en contrepartiedu versement des rançons. Serait-ce dont là la méthode efficace, discrète et patiente de Paul Biya ? On sait qu’un flou entretenu entoure en effet les conditions de libération des otages camerounais ou étrangers enlevés au Cameroun avec de forts soupçons de transactions dénoncées par la presse et des officiels nigérians qui accusent Yaoundé de combattre les terroristes en les ravitaillant quand même.
Exigences
Pour le politologue Njoya Moussa contacté par Le Jour, les faits attestent que tous les otages pris au Cameroun sont libérés dans des délais relativement brefs depuis les Bakassi Freedom Fighters à Boko Haram. Mais il relativise le discours des zélateurs qui forge hâtivement une expertise à Paul Biya en matière de libération des otages : « Les ravisseurs qui prennent des otages en territoire camerounais ne sont évidemment pas les mêmes qui opèrent ailleurs. Nous n’avons pas affaire aux mêmes acteurs au Cameroun, au Nigeria, dans la zone sahélo-saharienne, au-Proche-Orient, au Moyen-Orient…», relève le politologue.
En outre, poursuit-il, « les enjeux ne sont pas les mêmes dans ces différents territoires. Dans une confrontation idéologique et identitaire comme au Proche-Orient et Moyen-Orient, ou politico-religieuse comme au Nigeria, il est plus difficile de faire libérer les otages. Au Cameroun où les considérations sont plus d’ordre matériel, les otages sont libérés dans des délais relativement courts dès que les ravisseurs voient leurs exigences satisfaites. » En fait, la méthode Paul Biya en matière de libération des otages se résume à lâcher du lest, à faire des concessions, à satisfaire diverses exigences.
La finalité étant de récolter les retombées du retentissement qu’aura la libération effective des otages. On lui concède toutefois le mérite, lors des négociations, d’un savoir-faire en termes de confidentialité, de discrétion et de relation de confiance avec les preneurs d’otages.