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Cameroun – Projet de loi sur l’audiovisuel numérique: Issa Tchiroma, l’autre guerre

Ce n’était pas un poisson d’avril. Le 1er avril dernier, les députés s’apprêtaient déjà à adopter le projet de loi sur l’audiovisuel numérique lorsque le ministre de la Communication (Mincom), Issa Tchiroma Bakary, lance : «Le gouvernement a un amendement…[pagebreak] Il est introduit à l’article 25. Il stipule que : ‘’les activités d’éditeur et d’agrégateur sont incompatibles avec celles des opérateurs du réseau de diffusion’’.» A l’alinéa 2, la raison d’être de l’amendement, il est écrit : «Les dispositions visées à l’alinéa ci-dessus ne s’appliquent pas aux opérateurs de l’audiovisuel public.» Le projet a été adopté comme une lettre à la poste et le Sénat l’a entériné quelques jours plus tard.
M. Tchiroma est pourtant vice-président du Comité national de pilotage de la migration de l’analogique au numérique. Moyennant quoi, le Mincom a «oublié» la stratégie nationale de migration numérique qui n’avait pas prévu cet amendement ! Pourquoi avoir choisi de privilégier un média au détriment de plusieurs autres, dans un environnement audiovisuel aussi riche que diversifié ? La réponse peut paraître anodine, mais elle vaut son pesant d’or. Issa Tchiroma Bakary, en sa qualité de ministre de la Communication, est – devrait-on le rappeler – le président du conseil d’administration de la Cameroon Radio and Television (Crtv). Et il a choisi d’être juge et partie. Sa casquette tutélaire annihile-t-elle pour autant la volonté des télévisions «marginalisées » de protester contre cette «injustice» ? Pourquoi les premières victimes de la situation sont aussi muettes que des carpes ? Aucune déclaration publique n’a été entendue jusqu’ici. Encore moins une protestation. Pas de controverse non plus. Rien. Or, cette nouvelle loi conforte le monopole de fait de la Crtv. Après la redevance audiovisuelle, que la télé d’Etat ne partage pas, voici une autre disposition qui lui permet d’avoir une longueur d’avance sur les autres chaînes. La loi a certes été adoptée par les deux Chambres. Mais personne ne dit que si les principales victimes de cette situation la dénonçaient, elle serait promulguée telle quelle par le président de la République.
Et comme si cela ne suffisait pas, le 13 avril dernier, le directeur de publication du quotidien Emergence a reçu une correspondance du Conseil national de la communication (Cnc), qui lui apprend qu’une plainte contre son organe a été déposée par le Mincom. Pourquoi ? Pour avoir traité de la santé du chef de l’Etat dans son journal. Emergence n’est pas le seul organe de presse à recevoir cette missive. Il y avait également Le Messager et – semble t-il – Mutations.
Le sujet relatif à la santé du chef de l’Etat a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Mise sur la toile par Le Monde-Afrique, les journaux locaux ont relayé l’information. Dans les écoles de journalisme, il est clairement souligné que parmi les sources d’information, il y a aussi les articles des confrères. C’est donc naturellement que ces organes ont répercuté le sujet, avec chacun sa grille d’analyse. D’où vient-il donc qu’alors que la tension est retombée sur le sujet, une série de convocations, stimulées par la tutelle des médias, soit servie à des journaux à capitaux privés ? On pensait pourtant le débat clos puisqu’à son retour, Paul Biya avait lui-même indiqué : «Je suis en excellente forme.»
Chaque fois qu’un sujet qui fâche a été abordé par des journalistes, surtout ceux du privé, le Mincom a organisé une conférence de presse pour dénoncer son traitement lorsque celui-ci a, selon lui Mincom, «manqué» de patriotisme, de professionnalisme, etc. Qu’est-ce qui justifie le fait que cette fois, Issa Tchiroma Bakary contacte directement le Cnc, ce gendarme chez qui tous les pontes du régime vont se plaindre dès qu’ils se sentent menacés par les écrits ou les déclarations des médias qui sortent du contrôle étroit des pouvoirs publics ? C’est la première fois que l’organe de régulation est sais de façon aussi cavalière. Est-ce vraiment le rôle du porte-parole du gouvernement, de porter plainte contre des organes de presse dont il assure la tutelle et est supposé défendre et accompagner la croissance ? Assiste-t-on à un nouvel ordre de la terreur politique ? Curieusement, le Mincom a «oublié» de citer en justice l’origine de la folle information autour des prétendus problèmes de santé du chef de l’Etat : Le Monde-Afrique. Chiche !
Le Mincom est en train de se transformer en véritable bourreau de la profession. Et cela ne semble pas émouvoir grand-monde. Hier, avec la loi relative à l’audiovisuel numérique, il a consacré l’apartheid dans ce secteur. Aujourd’hui, avec les plaintes contre des organes de presse auprès du Cnc, il se confirme comme le bras séculier de ceux qui combattent la liberté de la presse. De manière conséquente, visible et irréversible, par ses nouveaux actes, Issa Tchiroma Bakary se proclame adversaire de la liberté presse. Nous en prenons acte. Il trouvera les médias citoyens sur son chemin, sans haine ni complaisance. Ils le jugeront en fonction de leurs intérêts et de ceux des publics, d’abord. Ils analyseront ensuite les actes qu’il posera, les uns après les autres.

Priscille G. Moadougou

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