Cameroun – Nécrologie : Patrice Kayo repose à Mbouo’o

Patrice Kayo

Le professeur de l’Ecole normale supérieure qui aura formé des générations pendant 30 ans décédé en mai laisse une riche œuvre littéraire en poésie, essais, nouvelles et romans. Il a été accompagné à sa dernière demeure en chants, danses et déclamations le 10 juillet à Bandjoun.

« Debout auguste morts, les vivants sont couchés! ». Ainsi parlait Patrice Kayo, poète émérite. Décédé le 26 mai à Yaoundé, il a eu droit à un vibrant hommage pour son installation à sa dernière demeure. Une célébration sobre mais joyeuse et inclusive à Yaoundé et à Mbouo’o organisée par sa famille biologique et sa famille artistique. Celle-ci a donné de la voix pour cet universitaire qui, quoique discret, a durablement impacté la scène poétique camerounaise de part sa prolifique production littéraire mais aussi grâce à ses travaux sur ces congénères écrivains et poètes. Jean-Claude Awono et la Ronde des poètes, la cantatrice Rachel Tsoungui, le joueur de mvett Zue Ella et bien d’autres, ont chanté, dansé et déclamé des vers en souvenir de lui. Bien que très attaché aux coutumes bamiléké, sujet sur lequel, il a d’ailleurs consacré quelques livres, Patrice Kayo était aussi un esprit ouvert sur le monde.

 » Une célébration parce qu’avec le recul, on se dit que c’est un homme qui a vécu la vie qu’il avait envie de vivre. C’était un chef de famille, c’était un influenceur de son époque ; quelqu’un de droit qui restait dans sa droiture. Il y a quelque temps, il m’a vu pleurer parce que je voyais que son état de santé se détériorait. Il m’a dit : ne pleure pas parce que je pars en paix. J’ai réalisé ce que je voulais réaliser. Et la première des choses, c’était d’élever mes enfants. », raconte sa fille Belan Kayo, l’une de ses six enfants.

« Patrice Kayo était profondément enraciné dans sa culture bamiléké, mais c’était aussi quelqu’un de très ouvert à toute la communauté camerounaise et très universaliste. Et ça se reflète aujourd’hui dans l’hommage que nous lui rendons.», poursuit ému son fils Galem Kayo. Il ajoute:  » Il a été un papa très présent, fiable et une source de sagesse. C’était un homme de peu de mots, mais il trouvait toujours le mot juste soit pour nous éclairer, soit pour nous réprimander, soit pour nous encourager. Il nous a tout donné ».

Son héritage, c’ est aussi ces valeurs fortes qu’ il a inculqué à ses enfants. « J’ai eu extrêmement de chance d’avoir un père comme lui. C’était quelqu’un de droit, de digne et de travailleur. Ce sont des valeurs transmises par lui et qui ont fait de nous, individuellement, les personnes que nous sommes aujourd’hui. Je pleure mon père, je pleure un exemple. » dit Belan Kayo avec tristesse.

Éclaireur

Né en 1935 (et non 1942) dans son Mbouo’o natal, le jeune Patrice débute ses études dans son village avant de fréquenter le petit séminaire de Melong et plus tard, le lycée Joss à Douala pour ses études secondaires. Son baccalauréat en poche, le jeune Patrice s’inscrit à l’université de Yaoundé avant de voyager pour Paris où il décroche un doctorat en littérature et les civilisations d’expression française en 1984 à la Sorbonne. Mais c’est surtout sa casquette d’auteur et poète qui le relève au plus grand nombre. Il a publié 10 recueils de poèmes dont « Les fables de la montagne », œuvre inscrite au programme des classes de 5ème dans le système de l’enseignement secondaire francophone pendant plusieurs années. Il laisse une vingtaine de livres : poésie, essais, nouvelles et romans compris.

Patrice Kayo a été l’un des premiers présidents de l’ Association des poètes et écrivains Camerounais (Apec). Il avait une conception particulière de la poésie. Il était une figure de proue de la poésie populaire camerounaise, expression d’un art de vivre, des coutumes du terroir. La poésie de Patrice Kayo était simple dans son énoncé mais pleine de lyrisme et de symboles forts. Une poésie engagée.  » Il considérait que la poésie est une forme d’écriture qui embrasse en réalité toutes les autres formes d’écriture. Il nous a appris que les poètes ne peuvent vivre que s’ils sont organisés. C’est pour cela qu’il a milité dans le cadre de l’Association des poètes et écrivains camerounais qui a été créée en 1960. Tout comme lui, nous avons créé la Ronde des poètes. Il nous a appris qu’il fallait écrire des livres et il en a écrit plusieurs depuis les années 60 jusqu’aux années 2000, quand il écrit son dernier livre. Je peux citer de mémoire quelques-uns. Nous savons qu’un poète ne meurt pas », témoigne Jean-Claude Awono, poète, éditeur et président de la Ronde des poètes.

« J’ai toujours été impressionné par son intellect et par son œuvre littéraire, parce que je me suis intéressé assez tôt à ce qu’il écrivait, mais c’est en grandissant que j’ai commencé à comprendre tout le sens de cette œuvre. Il a élevé notre héritage traditionnel au rang de toutes les cultures qui se disent grandes ; la sagesse de nos ancêtres, les fables de nos ancêtres, il les a transmises à l’Afrique moderne et au monde entier par le biais de la langue française. Il a fait une sorte de transmission de cet héritage du monde ancestral à celui de la modernité « , analyse Galem Kayo.

En novembre 2016, Patrice Kayo est fait Chevalier de l’ordre de la valeur en reconnaissance de sa contribution au rayonnement de la littérature camerounaise.  » Le Pr Patrice Kayo est un homme de culture de notoriété nationale et internationale qui a toujours su se distinguer positivement lors des rendez-vous artistiques et culturels organisés par le département. Créateur attitré de poèmes, d’essais, de romans, de nouvelles, sa disparition laisse ainsi un vide. Au-delà de la tristesse qui nous anime, selon la formule consacrée selon laquelle un artiste ne meurt jamais, sachons prendre en compte ce lourd héritage laissé par le Pr Kayo » a exhorté le 10 juillet à Bandjoun, le représentant du ministre des Arts et de la culture aux obsèques du défunt. Patrice Kayo savait mettre les autres en lumière. L,éditeur et poète Matchadje Yogolipaka ne dira pas le contraire.  » En 2008 lorsque nous lançons le Grand Prix de la poésie Patrice Kayo, dans le cadre des activités des Éditions Luppepo, il adhère tout de suite au projet. Il a été un mentor, un conseiller, un parrain pour moi », explique celui qui se considère comme son fils spirituel.  » Nos liens d’amitiés et de respects étaient forts », précise l’éditeur.

En 2009, Patrice Kayo consacre un livre à l’œuvre du poète Louis Marie Pouka. Un des pionniers de la poésie camerounaise. Bien avant cela, en 1978, il publie un panorama de la littérature camerounaise. Il a contribué à sa manière à l’éclosion d’une nouvelle génération de poètes. Dans « Anthologie de la poésie camerounaise », 2000, Clé, il présente déjà Jean-Claude Awono, Anne Cillon Perri comme l’avenir de la poésie camerounaise. Une analyse juste aujourd’hui. Particulièrement pour le premier cité, lauréat de plusieurs prix et directeur d’une maison d’édition qui publie un grand nombre de jeunes poètes. Le sage avait vu juste.  » Patrice Kayo a été le premier à publier mes œuvres poétiques. C’était dans le cadre d’une anthologie éditée aux Presses Universitaires de Yaoundé. L’autre trait d’union entre nous, était le poète Fernando d’Almeida que j’ai rencontré grâce lui », raconte le poète Anne Cillon Perri de son vrai Pierre Collins Nna.

Le sage

Dans cette même anthologie, il présentait les visages féminins de la poésie camerounaise et s’extasiait sur la plume de Marie Claire Dati : une écriture pétillante et vive. La poétesse raconte sa première rencontre avec l’illustre disparu.  » Ma rencontre avec Patrice Kayo date de ma 1ère année d’Ecole normale supérieure, à la rentrée universitaire de septembre-octobre 1974 à Yaoundé. Il était mon professeur de littérature africaine d’expression française, avait fait l’appel, et à la fin du cours, m’avait dit : Marie Claire Dati c’est toi ? Oui, m’sieur. C’est toi qui écris des poèmes dans le Griot ? J’ai lu d’autres poèmes de toi à l’Université, tu as un club littéraire fan là-bas… Tu écris bien ! Quelques temps plus tard, il me demandait de lui apporter tout ce que j’avais écrit. Je n’avais rien ! Pas plus de 2 feuilles de papier, probablement les plus récents. Je ne sais pas si Patrice pouvait chercher, et ne pas la trouver, une seule ligne de ce qu’il avait écrit ! Si méticuleux, si soigné, si rangé, jusque dans sa personne, la discipline, dans ses cours, dans ses habits, dans le choix d’une épouse, tout et chaque chose était pensé « , raconte la poétesse avec admiration. Si l’écriture de Marie Claire Dati n’a pas été influencée par celle de Patrice Kayo, le poète a renforcé son assurance dans le choix de faire de la poésie.  » Cet encadreur formateur a encouragé tous les écrivains, renforcé l’assurance, montré l’exemple, c’est pour nous qu’il a écrit ».

Naturopathe

Marie Claire Dati a été marquée par la profondeur de ce personnage. Petit par la taille mais grand par l’esprit.  » Patrice Kayo, grand en silence, si maître, réservé, responsable, tout orienté vers sa paix, la crainte des autres, son bien-être, même humble, sa conscience de soi, la recherche du bonheur. Je ne sais pas si Patrice Kayo a fait une erreur dans sa vie, tant il planifiait, mesurait, savait où il allait. Il y a quelques mois, il me disait sa joie, sa fierté, sa sérénité : je ne regrette rien, les enfants ont tous réussi à l’étranger, on s’est sacrifié pour eux mais ça valait la peine, c’était l’époque où l’école avait du contenu, quand je vois aujourd’hui comment on perd le temps aux enfants, on leur enlève même le peu que le village pouvait leur inculquer, me disait-il alors », raconte l’écrivaine. Un homme profondément attaché à ses racines. « Le village ? C’était sa source, d’inspiration, la flamme en Patrice Kayo ! Il ne faisait qu’un avec tout. Je ne sais pas si on sera jamais plus enfant du terroir que lui », déclare la poétesse.

Au-delà de ses qualités d’écrivain et de père, Patrice Kayo aura aussi marqué les esprits par sa connaissance la pharmacopée traditionnelle qui n a pas laissé le Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines Cerdotola, indifférent. « Avec sa disparition, l’Afrique perd l’un de ses illustres écrivains, et le Cerdotola, un allié de la valorisation des systèmes de santé patrimoniaux d’Afrique. Il restera dans nos mémoires », regrette le Pr Charles Binam Bikoï, directeur du Cerdotola. Le chargé de communication du Cerdotola s’ est abreuvé à la source du tradipraticien et de l’écrivain rassembleur. « Patrice Kayo a également accompagné l’Association des tradipraticiens de la région de l’Ouest. Nous étions à ses côtés. Pendant plus de quatre ans il a, avec nous, rassemblé les écrivains des Grassfields pour célébrer la journée internationale du livre et des droits d’auteur tous les 23 avril, avec le soutien de la mairie de Mbouda ».

Mémoire

Aujourd’hui, la transmission et la conservation de l’oeuvre de Patrice Kayo se pose. Il laisse une abondante et diverse oeuvre littéraire qu’il faudra continuer à promouvoir. « Les écrivains ont ceci de particulier qu’ils ne meurent pas. Ils laissent derrière eux des pensées, des idées et ils les laissent pour toujours. Son œuvre n’appartient plus à sa famille seulement. Elle appartient au Cameroun et à l’Afrique. Elle est enseignée dans les programmes scolaires, elle est étudiée au niveau universitaire ; elle fait partie du patrimoine camerounais. Ce sera aux institutions camerounaises aussi de conserver ces œuvres et de les transmettre aux générations futures. Notre rôle en tant que sa famille, sera de continuer à valoriser sa mémoire. Nous allons identifier le meilleur moyen de le faire », promet Galem Kayo.

Elsa Kane

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