Cameroun : Le temps, un allié déroutant du Sphinx Biya

Succession de Paul Biya

Paul Biya entame sa quatrième décade du pouvoir sans discontinuer au sommet d’un État où il avait été Premier ministre précédemment pendant 7 ans. Le temps au cœur de la stratégie biyaenne du pouvoir.

« Ô temps !, suspends ton vol ! Et vous heures, heures propices, suspendez votre cours ! », implorait le poète Alphonse de Lamartine. La ressource temps est pour ainsi dire aussi rare qu’une comète au cœur de toute entreprise humaine. Si pour beaucoup il est court, il n’en va pas de même pour le numéro un camerounais qui généralement a le temps à lui et pour lui. En indiquant à son homologue français que ce n’est pas le fruit du hasard s’il tient depuis longtemps la barque Cameroun, Paul Biya mettait en relief les mystères du temps dans la gestion du pouvoir au sommet de l’État. Déjà selon la conception judéo-chrétienne du pouvoir, c’est l’Eternel qui oint les siens et les établit comme roi ou chef sur son peuple. Le signe communément accepté dans ce cas, est fonction du temps mis à l’Office, dans l’exercice du pouvoir au service du peuple. Moïse a passé 40 ans à la tête du peuple d’Israël, David 40 ans tout comme son fils Salomon. Paul Biya entame sa quatrième décade du pouvoir sans discontinuer au sommet d’un État où il avait été Premier ministre précédemment pendant 7 ans. A l’observation, le temps aura été un de ses meilleurs adjuvants dans l’exercice du pouvoir. Commençons par la Can attribuée par la Caf au Cameroun en 2019.

Souvenons-nous qu’après le glissement annoncé qui a conduit l’instance faîtière du football africain à solliciter l’organisation de l’Égypte, le temps est venu inexorablement au secours de Paul Biya pour que les choses aillent dans le bon sens. Tout juste après le retrait de l’organisation au Cameroun, le Covid-19 s’est invité sur la scène pour étouffer la pression ou l’urgence du temps. A ce moment précis, aux mois de mars-avril 2020, à l’heure où l’agitation politique était à son comble, Paul Biya garde le silence face à la psychose qui gagne l’esprit des Camerounais au sujet de la capacité de la riposte du pays contre la pandémie. Tout aura été dit en ces temps là jusqu’à l’insinuation ou l’affirmation de sa mort. Le Sphinx visiblement convaincu que le temps joue en sa faveur gardera le silence et se terrera.

Le bonus du temps

Une chose est sûre, il renaîtra de ses cendres comme il l’a toujours si bien fait, au grand dam de ses détracteurs. Le Mrc et les siens n’oublieront pas de sitôt les péripéties et les galipettes endurées autour de cette affaire de la mort du président de la République. Par ailleurs, la pandémie, le temps va l’utiliser au finish pour contraindre la Caf à un deuxième report de la Can. Notons en passant pour prendre la dimension gain en termes de temps pour signifier que la Can qui se joue en janvier -février 2022 était censée se tenir en 2021. Le bonus du temps est total lorsqu’on considère que le pays a encore à ces jours quelques difficultés à être totalement à jour. Ce n’est d’ailleurs qu’en octobre 2021 que l’Accord-cadre avec la Caf a été signé. Cet acte qui intervient tout juste à trois mois de la compétition en dit long sur l’aspect temps, un adjuvant plutôt en faveur du Cameroun. Par ailleurs le silence de Paul Biya à l’éclatement du Coronavirus ne va pas pour autant empêcher qu’au bout du compte, la stratégie camerounaise soit saluée.

L’arme temps contre les séparatistes

De plus en plus, à l’observation des nouvelles qui viennent du théâtre des opérations dans les deux régions en conflit du pays, les bandes armées sont en situation très délicate. On se souvient de la mort du « Fake général », « Cross and due », abattu la semaine dernière par l’Armée. Et ce n’est pas tout. Paul Biya, après la tenue du Grand dialogue national en septembre-octobre 2019, s’est toujours refusé de suivre la voix de l’opinion qui en appelait à un nouveau dialogue inclusif. La rencontre des différentes sensibilités au cœur du conflit anglophone la semaine dernière au Canada sonne plutôt comme un grand point marqué par le pouvoir dans la normalisation des choses, le retour à la paix. Depuis que certains citoyens de cette partie du pays ont pris les armes contre la République, c’est la première fois qu’une telle initiative a lieu. Pourtant ! Qu’on se souvienne que le regretté cardinal Tumi avait voulu y a quelques temps avant sa mort, organiser la « third all anglophones conference » et qu’une fin de non-recevoir lui a été servie à cet effet. Cela en dit long sur l’intelligence entre le temps et le pouvoir.

C’est la même méthode, la même arme temps, que Paul Biya a utilisé pour venir à bout des « Villes mortes ». C’est toujours avec le temps, dans sa durée et surtout par sa détermination de ne pas se conformer aux attentes et aux sollicitations de l’opposition des années nonante, forte et redoutable face au pouvoir, que l’« Homme lion » aura dans les mois et les années qui passaient pourri l’unité et fait voler aux éclats l’entente de ses adversaires. Face à quelle autre difficulté le Cameroun de Paul Biya aura été exposé ? A la guerre de Bakassi contre le Nigeria, le chef de l’Etat va contourner le terrain militaire plus expéditif et onéreux pour saisir la Cour internationale de justice (Cij). Ce que la rapidité militaire ne pouvait lui donner, le temps qui dure en longueur, la patience, va le lui servir sur un plateau en or devant le juge international qui n’est pas toujours empressé de dire le droit. Comme on le voit, au cours de son long magistère, la patience, la fuite des batailles frontales auront été des atouts majeurs de Paul Biya, même si cette arme temps à bien des égards, est une arme à double tranchant.

Léopold DASSI NDJIDJOU, 237online.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *