Une usine déjà fermée sur les trois que compte la Cdc. Certaines industries offrent des congés techniques à des employés, à cause des méventes dues aux importations massives. La société Azur, située au quartier Yassa à Douala, compte, depuis trois mois, 500 tonnes d’huile brute stockées à la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm). A la Cameroon development corporation (Cdc), elle en compte 1500. Les responsables de l’entreprise se disent actuellement incapables de retirer leurs stocks des entrepôts de ces structures. La raison ? L’usine ne tourne pas à plein régime ces derniers temps, en raison des méventes consécutives à l’inondation du marché des huiles végétales par des produits importées, le plus souvent non-conformes à la norme, explique des responsables. C’est que, l’unité de transformation a actuellement, stockée dans ses magasins, une importante quantité d’huile qu’elle ne parvient pas à écouler. A côté de ce stock, il y a environ 650 tonnes d’huile déjà raffinées dans les cuves, mais non encore conditionnées, tandis que les quantités conditionnées tournent autour de 1500 et 2000 tonnes, qui saturent les magasins, selon les raisons avancées par la direction des opérations. A ce jour, la capacité de production de l’usine a été réduite de 50%, passant ainsi de 130 tonnes à 65 tonnes d’huile par jour. Selon des experts, le stockage prolongé des huiles végétales dans les magasins augmente le taux d’acidité, autant qu’il en dégrade la qualité. Ce qui rend automatiquement ces produits impropres à la consommation humaine.
Toujours au quartier Yassa, la Snc, qui produisait il y a encore quelques mois 60 tonnes de savon par jour, ne réalise aujourd’hui que 25% de sa production, soit 15 tonnes. Le savon que produisait cette petite unité était exporté à 90% vers le Nigeria. Seulement 10% de sa production était vendue sur le marché camerounais. Mais, la guerre que livre depuis plus de deux ans la secte terroriste Boko Haram au Cameroun a mis fin à ces exportations, tous les corridors douaniers ayant été fermés. La Société camerounaise de raffinage (Scr) Maya, le plus grand raffineur d’huile du Cameroun, a une capacité installée de 500 tonnes d’huile par jour, contre 120 tonnes de savon. Son déficit au niveau de la production se situe aujourd’hui entre 45 et 50%. Comme ces trois unités, la plupart des huileries de Douala visitées mardi dernier par Brunot K. Ntakeu, sous-directeur de la production au ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, affichent une baisse considérable de la production.
Le sous secteur de la savonnerie, particulièrement, connaît une dégringolade des plus inquiétantes. Elle est de plus de 40% sur le plan national, en raison de l’insécurité dans l’Extrême-nord et à l’Est. C’est que, avant l’irruption de la crise en République centrafricaine et la montée du phénomène Boko Haram en territoire camerounais (Extrême-nord), les industries camerounaises du secteur de la savonnerie contrôlaient non seulement l’ensemble (ou presque) du marché national, mais avaient aussi de bonnes parts de marchés au Nigeria, au Congo, en Rdc, en Angola, en Centrafrique, au Niger, en Guinée Equatoriale, au Gabon, etc. Côté Nigeria, et donc Afrique de l’Ouest, les exportations ont purement été stoppées. « Le niveau d’insécurité était déjà tel que nos camions étaient attaqués, brûlés ou emportés, et les chauffeurs assassinés », rapporte le directeur des opérations d’Azur.
Chiffre d’affaires
On apprend de sources autorisées à Azur et à Scr Maya qu’il y a en ce moment une sous-utilisation du personnel. Des congés techniques ont même été donnés à certains employés dans d’autres structures, qui estiment qu’elles ne peuvent pas continuer à les payer alors que leur chiffre d’affaires connaît une dégringolade historique. Le mal être est général dans l’industrie locale des oléagineux. Il se situe à deux niveaux : en amont et en aval. En amont, il y a les producteurs d’huile brute qui ne vendent plus, parce qu’en aval, l’activité de transformation est au ralenti. Une seule raison est évoquée par l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), pour expliquer la situation de méventes au niveau des huiles végétales : l’inondation du marché par les produits importés. Selon son secrétaire général, Jacquis Kemleu Tchagbou, la Douane camerounaise se refuse d’appliquer la loi en matière d’importation des huiles végétales. Celle-ci dispose en effet qu’un kilogramme d’huile à l’importation soit taxé à 1500 F Cfa. Or, ces huiles sont systématiquement taxées sur la valeur transactionnelle, au lieu du prix de référence qui est fixé à 1500 F Cfa. Conséquence : certains importateurs déclarent parfois des huiles à des prix plus bas que la matière première au niveau local. « [i]Ce dumping va totalement asphyxier les producteur locaux, dans un contexte où il faut, plus par le passé, protéger le tissu industriel local[/i] », regrette Jacquis Kemleu Tchagbou. Car, se convainc-t-il, «[i] on ne peut développer un pays avec le commerce. Un pays ne se développe qu’avec un tissu industriel solide[/i] ».
En fait de tissu économique, la Cdc, deuxième plus grand pourvoyeur d’emplois au Cameroun après l’Etat, a déjà fermé une des trois usines qu’elle compte. Certains de ses émissaires sont allés rencontrer, jeudi dernier à Douala, le gouverneur de la région du Littoral, afin de le mettre au courant du mal être que traverse l’entreprise.
La sonnette d’alarme avait été tirée, dès fin 2014, par les raffineurs, mais la situation semble aujourd’hui plus dramatique aujourd’hui chez les producteurs d’huile brute. «[i] Les agro-industries et les planteurs villageois d’huile de palme brute, de graines de soja et de coton, ne parviennent plus à écouler la matière première qu’ils produisent. A titre d’illustration, le gras (matière grasse) qui est utilisé pour la production du savon, découle du fractionnement de l’huile de palme brute qui permet de produire l’oléine de palme encore appelée huile raffinée. Or, l’huile de palme raffinée ne se vendant plus, il est hors de question pour les industries de raffinage d’acheter l’huile brute en vue d’obtenir la stéarine (le gras) dans la perspective de la production du savon[/i] », s’indignait il y a quelques semaines le Sg de l’Asroc. La mission conduite mardi dernier à Douala par une équipe du Minmit visait, entre autres, à assurer le suivi de la production industrielle dans le secteur des oléagineux, et à faire des notes de conjoncture de la filière. Le gouvernement semble donc avoir cette fois pris la mesure de la menace qui pèse sur le secteur.
Jean De Dieu Bidias