Cameroun : La libération de Maurice KAMTO met le Rdpc dos au mur

Kamto et Penda Ekoko

Aujourd’hui que Maurice Kamto est libre que vaut-il mieux regretter dans le Rdpc : son incarcération ou son élargissement ?

En décidant de le libérer, le président Paul Biya n’a pas seulement surpris une partie de l’opinion nationale, il a surtout ouvert une boite de Pandore qui a commencé à faire jaser dans les rangs de son propre parti, le Rdpc.

D’où les chuchotis et les billevesées profusément entendus dans les rangs de ses cadres et des élus locaux pour qui la mise aux arrêts du leader politique de l’opposition sonnait le glas du Mrc. Pour qui tend justement les oreilles dans les couloirs du parti, au pouvoir, il n’est plus surprenant d’entendre des mûres et des pas vertes.

C’est ainsi qu’en libérant le président du Mrc et ses principaux lieutenants, le président Paul Biya, outre le fait de montrer de très bonnes dispositions pour le retour de la paix dans notre pays, est entrain de faire montre d’une très grande habilité politique en mettant son parti, le Rdpc, dos au mur. Il est désormais clair que lors des prochaines échéances électorales, on devrait pouvoir savoir qui est qui dans le Rdpc.

Quel président oserait sortir de prison un de ses plus farouches adversaires politiques à quelques deux ou trois mois de la tenue d’importantes échéances électorales, comme c’est le cas actuel au Cameroun avec les prochaines municipales et législatives ? Paul Biya vient pourtant de le faire en libérant Maurice Kamto et ses lieutenants. Folie ? Inconscience ?

Certainement pas. Dans une habilité politique dont il détient seul le secret, il a tout simplement voulu réaffirmer, au moment où on l’attendait le moins, sa haute posture de chef d’Etat. Et non celle d’un président national d’un parti politique. En réalité, pratiquement au dernier mandat de son long règne, à 86 ans, le président camerounais ne veut nullement hypothéquer aujourd’hui ce qu’il a patiemment construit : la démocratie. Comme disait le général de Gaulle à propos de lui-même : pourquoi voudriez-vous qu’à son âge il commence une carrière de dictateur ? En libérant, à la surprise générale, Maurice Kamto et ses affidés, Paul Biya ne fait-il pas montre, à la fois, du même savoir-faire politique que le grand homme d’Etat français, en clamant haut et fort que ce n’est pas à son âge qu’on devient dictateur…

Evidemment, le geste est suffisamment rare dans les arcanes du parti au pouvoir pour être aujourd’hui applaudi par tout le monde. De toutes les façons, malgré un unanimisme de façade, la réalité est bien différente.

A l’évidence, certains cadres du Rdpc qui ont toujours eu du mal à admettre à quel point ils sont impopulaires, ne s’attendaient pas à un tel geste de magnanimité, jugé par la plupart trop précoce, voire inopportun.

Confirmant ainsi le fait que l’incarcération de Maurice Kamto arrangeait la plupart des élus des grandes agglomérations urbaines, pour lesquels la rhétorique guerrière d’affrontement et de musellement a de tout temps été à l’ordre du jour. Avec ça, les tenants du statu quo ont naturellement de quoi s’offrir une sévère déprime…

Alors question : les augures sont-ils mauvais pour le Rdpc ? Rien n’est sûr. Outre que l’écume des chuchotis entendus ça et là en petits comités, dénote une évidente fébrilité, pour ne pas dire un certain affolement. A tout le moins, même si on ne sent pas de la nervosité dans l’air, on murmure sous le bâillon. Ainsi, où que vous portiez le regard dans le Mfoundi et le Wouri par exemple, vous constatez que « ça ronchonne ». Certains déçus allant même jusqu’à faire montre de commisération à l’endroit de ce président de la République sympathique, mais peu efficace à leurs yeux.

Et d’égrener les signes déjà perceptibles de ce cuisant revers qui l’attend inéluctablement, après les sorties scabreuses du truculent Albert Dzongang et de Maurice Kamto qui n’auront pas attendu longtemps pour balancer les premières boules puantes, une fois sortis de Kondengui. Seulement, même si le stuc démocrate craquait sous l’autocratie épanouie des dévots zélateurs et autres zombis fanatisés du Mrc, nous avons tous vécu comment, à sa sortie de prison, comme un gourou, Kamto s’est bruyamment fait escorter, jusqu’à sa résidence par une foule de partisans complètement voués à l’applaudimètre pour les besoins électoralistes.

Et si ce n’était justement pas l’effet recherché par le président Paul Biya en le libérant…
Question de savoir si, après les prochaines municipales et législatives, la catastrophe annoncée à Yaoundé et à Douala pour les candidats du Rdpc aura bien lieu. En son temps, l’animal politique qu’est Paul Biya a, chaque fois, su tisser, pour assurer la suprématie du Rdpc pendant des décennies, de multiples alliances, diurnes et nocturnes, dans toutes les régions du pays, en pratiquant en permanence et avec subtilité, l’art de la séduction politique. Aujourd’hui protégé par un bouclier inoxydable de légitimité que lui confère le mandat de 7 ans obtenu après sa brillante et incontestable victoire à la présidentielle de 2018, naguère faiseur de princes et redoutable noueur d’alliances stratégiques, ce saurien du marigot de la IIème République, veut absolument voir qui est qui dans ses rangs.

Quitte à prendre le risque d’une cohabitation avec l’opposition. C’est justement cette perspective, très peu souhaitée par certains cadres du Rdpc, qui a commencé à leur donner de sacrés maux de tête. Surtout dans le Mfoundi, le Wouri et d’autres départements aujourd’hui dans le viseur du Mrc, où de nombreux élus du parti au pouvoir ont vu s’effriter, comme neige au soleil, leur cote de popularité avec l’entrée en scène du parti de Kamto. Dans ces départements, il faudrait en effet un séisme d’une magnitude extrême pour que le Rdpc sorte la tête hors de l’eau. Au point où nous en sommes, même un âne ferait l’affaire.

Et l’opposition en a pas mal en magasin. Le Mrc aurait donc beaucoup à gagner. Ses responsables le comprennent-ils vraiment ? Comprennent-ils seulement qu’avec leur libération, synonyme de mise en selle, pour le président Paul Biya, le contraste en matière de démocratie, ne devrait plus être saisissant entre les vieilles civilisations occidentales et le Cameroun. Avec des scrutins présidentiels, legislatifs ou locaux apaisés, au terme desquels des perdants reconnaissent avec élégance et responsabilité leur défaite. Avec des débats féconds au parlement, à la télévision ou dans les journaux.

Avec des dirigeants que l’on peut critiquer sans être aussitôt jeté en prison. Avec moins d’impunité, plus d’équité. Avec un renouvellement générationnel des élites politiques réel. Avec toujours en esprit qu’un peuple ne conserve sa faveur qu’à ceux de ses élus qui méritent en permanence son respect, son admiration ou son affection. Et que nul ne devrait plus pouvoir s’affranchir des règles de la bonne gouvernance, fût-il un homme politique indispensable.

Il n’échappe évidemment à personne que qui dit nouvelle constitution (nouveau code électoral et limitation de mandats présidentiels) comme l’a récemment demandé Ibrahim Mbombo Njoya, dit nouvelle République, donc remise à zéro des compteurs électifs et possibilité pour de nombreux députés, sénateurs et maires de perdre leurs faramineux avantages et exorbitants privilèges. Les participants au Grand dialogue national ont d’ailleurs opté dans leurs recommandations, pour une révision de la Constitution.

Une précision dont de nombreux observateurs avertis ont du mal à penser qu’elle ne leur a pas été suggérée en haut lieu. Une perspective quasi cauchemardesque pour de nombreux cadres du Rdpc indéfiniment pendus aux basques de Paul Biya comme une bernique. De leur capacité à mobiliser désormais les troupes avec leurs propres moyens et au-delà des partisans classiques dépendent donc leurs prochains succès électoraux et bien évidemment leur survie politique. Après Paul Biya…

Jacques Blaise Mvié, LA NOUVELLE N° 509 du lundi 14 octobre 2019

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