Cameroun – Fonction publique : Comment les 25 000 jeunes diplômés ont été floués

Le ministre Joseph Le et son equipe

Réunis au sein d’un collectif, ces personnels sans contrats, sans matricules et sans prise en charge salariale depuis 2011, dans le cadre d’un recrutement spécial instruit par le président de la République, attendent désespérément que l’Etat mette un terme au calvaire dont ils sont sujets depuis 10 ans.

Jeanne Prisca Angue Bengono transpire à grosses gouttes. Elle vient d’arpenter tel un commando, les escaliers qui conduisent à l’agence régionale du Messager sis à la Montée Anne rouge à Yaoundé. Un exercice périlleux pour la jeune dame qu’accompagnent deux autres compagnons d’infortune. En service à la Cour d’Appel du Sud à Ebolowa depuis le 6 août 2012, elle a du faire le déplacement de Yaoundé pour « suivre mon dossier déclaré disparu au ministère de la Fonction publique et de la réforme administrative », lâche-t-elle au reporter qui lui demande l’objet de son séjour dans la capitale siège des institutions. Le temps de souffler et de reprendre des forces, Prisca raconte ses mésaventures qui ont commencé depuis 2011 lorsque le gouvernement à travers le Minfopra a lancé le recrutement spécial de 25 000 jeunes diplômés. « On nous avait promis que notre situation salariale sera prise en compte dans les six mois qui suivaient mais cette promesse dure depuis dix ans. En plus de vouloir rétrograder la catégorie dans laquelle j’ai été recrutée, je n’ai pas jusqu’ici de matricule. Nous vivons un vrai enfer », déplore la jeune dame.

Une situation similaire à celle de Francine Ekoumou, contractuelle d’administration affectée par le ministère des Affaires sociales au Commissariat du 6e arrondissement à Yaoundé. D’abord catapultée dans la région du Nord où elle a passé trois années infernales sans salaires, sans prise en charge et sans bénéficier au moins de la sollicitude du Minfopra, c’est après plusieurs négociations qu’elle a été ramenée à la capitale politique où son martyr est loin d’avoir atteint son terminus. Subjuguée entre les multiples requêtes introduites au ministère de la Fonction publique et les arbitrages infructueux de la Primature, celle qui est aujourd’hui le porte-parole du collectif des contentieux des 25000 jeunes diplômés d’Etat, ne sait plus à quel saint se vouer.« Nos dossiers ont déjà passé plus de six mois (depuis le 22 juillet 2020 Ndlr) au Minfopra. Sans succès. Si nous saluons l’implication du ministre de la Fonction publique qui nous a écouté et nous a promis de remédier à cette situation, il y’a que nous continuons de tirer le diable par la queue ; nous avons des responsabilités, des bouches à nourrir et c’est vraiment compliquer de joindre les deux bouts », confie-t-elle.

Servir, un sacerdoce

Idem pour Célestin Tchemwe, affecté par le ministère des Enseignements secondaires depuis 2012, au CES de Missombe dans le département du Nyong-Ekelle. L’homme qui traîne avec lui une pile de documents administratifs brandit comme preuve de son probité professionnelle, un récépissé de prise de service datant du 07 décembre 2011 et signé du Directeur des Ressources humaines au Minesec. Depuis cette date, rien n’a bougé d’un iota dans le quotidien de l’enseignant qu’il est. Soucieux de transmettre le savoir et les connaissances à ses élèves, sa profession s’est transformée en un sacerdoce sans fin. Une situation qu’il souhaite voir changer grâce aux actions entreprises par le Collectif constitué d’une trentaine de membres justifiant pour certains des notes d’affections et des présences effectives, mais abandonnés à leur triste sort par un gouvernement visiblement attentiste.

Sollicité il y’a trois ans, Joseph Le, le patron de la Fonction publique et de la réforme administrative avait promis à ces pauvres hommes et femmes que la situation devrait être régularisée dans de brefs délais. En effet, une cinquantaine de membres du collectif ainsi formé a été reçu le 28 novembre 2019 par le Minfopra. La concertation avec ce collectif a révèle que plus de 900 autres personnels sont dans les mêmes difficultés. Après avoir reconnu la gravité de la situation, le maître des céans a instruit à ses collaborateurs de lui produire un rapport détaillé sur la gestion de ce dossier, afin de boucler avec la régularisation des dossiers administratifs de ces personnels indignés dans un délai de 17 jours.

Épurement et régularisation des données

Dans la foulée, le Minfopra s’en est remis à l’arbitrage du Premier ministre chef du gouvernement qui a réagi à travers une correspondance signée du secrétaire général de ses services le 15 janvier 2020 avec pour objet : « épurement et régularisation des données des 25000 diplômés en instance de traitement ». Dans le courrier dont le Messager a obtenu copie, Séraphin Magloire Fouda répercute à son interlocuteur le souhait du Pm de bien vouloir : « soumettre à sa haute appréciation ; sous bordereau unique, l’ensemble des 111 dossiers frappés par mesure de suspension du visa administratif ; annuler les projets d’acte de contractualisations de 29 candidats qui n’ont jamais compléter leur dossiers ; prendre des mesures spéciales internes, sollicitées par soins, en vue de corriger les anomalies de diverses natures observées lors de la formalisation de 117 dossiers de certains personnels ; prendre toutes les dispositions à l’effet de clôturer définitivement l’ensemble des opérations relatives aux recrutements spéciaux des 25000 jeunes diplômés de la fonction publique et soumettre à ses services et à la très haute et complète information du président de la République, le rapport final de cette opération », lit-on sur la note.

Un chapelet d’actions qui est visiblement resté lettre morte puisque un an plus tard, c’est le statu quo. L’annonce du président de la République ce fameux 10 février 2011, du recrutement spécial de 25000 jeunes à la fonction publique n’était donc qu’une promesse de campagne électorale. C’était trop beau pour être une réelle volonté du gouvernement, de sortir la jeunesse du chômage. Un autre bluff du régime Biya. «Si nous sommes très réactifs, nous serons à même au 1er juin (2011: Ndlr) au bout du recrutement de la plupart de ces personnels. Nous aurons donc à payer sept mois de salaire en 2011. Ceux-ci devront tourner autour de quinze milliards.» Ainsi s’exprimait mi-2011, sur les antennes du poste national de la Crtv, l’ex-ministre des Finances, M. Essimi Menye. Avant même de parler d’une prise en solde de ces 25 000, près de 24 000 d’entre eux n’avaient pas de matricules.

Déclaration pompeuse

A la suite de l’ex-Minfi, le ministre de la Fonction publique de l’époque, Emmanuel Bondé, avait déclaré devant des micros et caméras des radios et télévisions que les salaires des agents seront payés dès la fin du mois de janvier 2012. Une autre déclaration pompeuse pour contenter ces pauvres jeunes qui végètent. Joint au téléphone pour recoupements, certains collaborateurs du Minfopra préfèrent balayer le sujet d’un revers de la main, accusant la presse, de vouloir envenimer « une situation qui est sous contrôle et en voie d’être résolue par le ministre ». En attendant le miracle, des sources soutiennent que les contrats de la plupart de ces anciennes recrues de la fonction publique sont toujours bloqués au Secrétariat technique pour le recrutement de 25 000 jeunes diplômés du Minfopra.

Saisi par nos confrères de stopblablacam en mars 2020, ledit secrétariat déclarait qu’il ne disposait pas encore de statistiques définitives sur ces cas de personnes sans matricules soldes. Il confirmait néanmoins que près de 5 000 jeunes se sont désistés au cours de l’enrôlement de 25 000 jeunes diplômés engagés en 2011. Pour avoir des chiffres consolidés, Joseph Lé, a signé, le 2 mars 2020, un communiqué invitant « les candidats officiellement présélectionnés au travers dudit recrutement et, n’ayant pas encore de matricules solde, à bien vouloir prendre l’attache de ses services compétents, porte 206, de l’immeuble du Minfopra, munis de toutes les pièces justificatives de leur absorption, dans un délai de 15 jours ».

Christian TCHAPMI

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