Cameroun : Des obsèques princières pour Nkotti François à Douala

Nkotti François

Pour son dernier voyage entamé le 1er octobre 2021, la morgue de l’hôpital de la garnison était bondée de monde pour un des derniers concerts de l’artiste. Personne na voulu rater le moindre passage de ses dernières chansons, rien de ses gestes de grand danseur avec un physique plutôt trompeur, alors que l’artiste était muet dans son sarcophage.

Au-delà des personnalités venues pour la messe de sortie du corps de Nkotti à la morgue de l’hôpital de la garnison, il y avait une image qui frappait : un grand micro. C’est dans ce cercueil gigantesque fait par l’artiste Joe La Conscience que le corps de Nkotti François était installé. Et personne na voulu rater l’événement.

Un sarcophage en forme micro pour sa vie passée à tenir un micro. De Roger Milla à lartiste De Souza, de Ekambi Brillant à Claudia Dikosso en passant par Sallè John, Sam Fan Thomas, Prince Ndedi Eyango, Sergeo Polo, Belka Tobis il y avait toutes les générations. Le célèbre artiste humoriste Hoga Le Pchichi représentait bien la communauté des comédiens et humoristes de la place de Douala. Tous étaient présents pour dire au revoir à celui qui avait été une bibliothèque musicale, un artiste inspiré, un chef d’entreprise de longue date dont la première, le groupe LES Black Styls a été montée alors qu’il n’avait que 17 ans. Nkotti François décide de laisser le micro à soixante ans, laissant ses oeuvres aussi bien de l’esprit qu’humaines au service de l’humanité. Les Camerounais de tous bords le lui ont rendu, ils ont assisté à l’avant-dernier concert à la morgue de l’hôpital militaire de Bonanjo ce 1er octobre 2021. Des obsèques de président !

Joe La Conscience : « Ce n’est pas un cercueil, c’est un sarcophage »

Cet artiste musicien chanteur-interprète, écrivain et ébéniste nous explique comment il est arrivé à transformer le regard de la dépouille de l’artiste Nkotti François pour son dernier voyage.

Même dans le deuil, vous trouvez l’occasion de faire de l’art. C’est un message ?

Je suis un ébéniste qui fais de la menuiserie. C’est-à-dire que je m’inspire des objets de l’électronique de l’automobile, de l’aéro spatial et je conçois des meubles qui sont des répliques. C’est ainsi que j’ai pu faire un cercueil avion, j’ai fait également un canapé avion, j’ai fait de Yatch Paradise un cercueil en forme de Yatch. Jai fait un cercueil en voiture, un lit. Moi-même j’ai un lit en voiture que j’ai appelé la Carinas dream qui est toute une chambre, mise en un bloc à travers un seul meuble. C’est-à-dire : penderie, abat-jour, lit et pratiquement tous les meubles dune chambre. Donc c’est une tradition que j’ai. Et lorsque j’ai regardé le deuil de Jacob Devarieux, j’ai regretté un peu de n’avoir pas été aux Antilles pour pouvoir lui faire un très beau cercueil en forme de guitare, cet instrument à travers lequel il nous a distillé ces super mélodies qui nous ont bercés pendant plusieurs décennies. Alors, quelques jours après, papa Nkotti décède. Alors sur ma page facebook, je me propose de lui réaliser un beau cercueil en forme de micro, parce qu’il aura consacré toute sa vie dans la chanson, et le micro étant l’instrument premier du chanteur, pour moi, je n’ai pas trouvé une autre manière plus explicite, meilleure que celle-là pour lui rendre hommage. C’est comme ça que m’est venue cette idée et j’ai proposé à la famille et l’idée a accroché, et c’est comme ça qu’on en est arrivé là.

Pour se produire au deuil de Nkotti, il ne fallait pas être n’importe qui. A voir comment les artistes ont bagarré pour être sur les scènes, vous devez vous sentir privilégié pour votre art ?

Dire non, serait de la fausse modestie, et vous allez me prendre sur le fait, en flagrant délit. Donc là, ce qui est clair, j’ai frappé sur le plan artistico-culturel et historique. Parce que c’était un challenge de très haut niveau pour moi, de pouvoir réaliser ce sarcophage. Parce que je ne l’appelle pas cercueil. Il n’est pas ordinaire comme les autres. C’est un sarcophage. C’était un défi à plusieurs niveaux parce que c’est à la mort de Nkotti François que je découvre qu’il est le créateur du concours national Mutzig dont j’ai été un des lauréats en 2004. Donc ce qui nous lie est certainement la chanson, puisque je suis aussi auteur compositeur interprète. Mais je me suis toujours considéré comme étant un des héritiers d’Eboa Lotin qui alliait également la chanson et l’ébénisterie et même l’écriture. Un cercueil personnalisé est un cercueil fait pour quelqu’un de précis, et pas pour quelqu’un d’autre. Il porte d’ailleurs une immatriculation Desto, Nkotti François comme vous lavez vu. C’était un héros national, parce que j’estime que Nkotti François, de par son parcours, est un héros national. Il a créé le concours de la chanson, il est un entrepreneur culturel comme il y en a très peu au Cameroun aujourd’hui, le fondateur du tout premier véritable groupe musical camerounais Les Black Styls c’est vrai qu’on parle du groupe Calvinos qui na pas fait long feu. Il s’agit d’un Monsieur, qui sur le plan musical, a d’abord une carrière immense il n’y a qu’à voir le répertoire. Il a suscité l’éclosion dune pépinière musicale immense si je m’arrête seulement à mon niveau, c’est réducteur. Il y a derrière moi, les Longue Longue, les Beka Tobis qui ont émergé à partir du concours de la chanson Mutzig. Sans compter les animateurs et autres journalistes comme Bojiko (Cyrille, Ndlr) qui ont témoigné avoir pris le micro pour la première fois sur le plateau de Fomaric. Pour que cela ait un caractère national, j’ai pris sur moi de le faire. Ce n’est pas venu de la famille.

David Eyenguè

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