Cameroun – Covidgate : Le devoir de démissionner au nom de l’honorabilité

Covid-19 et Minresi

Les soupçons de détournement ou de malversation des deniers publics dans la gestion des fonds de la riposte au Covid-19, interpellent l’urgence républicaine de revenir à l’orthodoxie déontologique en démocratie.

Un ministre est un serviteur de la République à qui le souverain a confié des responsabilités dans un pan déterminé de la vie nationale. Le souverain qui est le peuple, a confié pour ce faire ce pouvoir au chef de l’État qui use de toutes ses capacités discrétionnaires pour nommer les serviteurs de l’Etat. Il convient de noter qu’avant la Révolution française de 1789, les rois détenaient un pouvoir divin. Dès cette année-là, avec l’avènement de la République au détriment de la Monarchie, les institutions sont allées en se consolidant avec le temps au point où au sein de la 5ème République, le président de la République est perçu comme un engagé qui est appelé à faire de son mieux pour être le plus éloigné des faillites en termes d’attentes publiques, un attribut qui s’apparente aux qualités de Dieu, le souverain suprême universel. La photo du chef de l’État affichée dans les différentes administrations édifie à suffisance sur le fait qu’il devrait être ou est un modèle. Le Chef de l’État est de ce fait le roi comme dans un régime monarchique.

Seulement, son pouvoir est limité d’abord par l’ordonnancement juridique du pays, ensuite dans le temps par la volonté du peuple qui peut ou non lui renouveler la confiance de continuer à présider aux destinées de la communauté nationale. C’est justement parce que le président de la République sait qu’il sera évalué par le vote populaire à la fin de son mandat qu’il se doit d’user de tous les mécanismes nécessaires à son pouvoir pour choisir non seulement les plus efficaces mais aussi les plus dignes de ses ministres. A cet effet les services de renseignement mènent des enquêtes de moralité pour l’éclairer sur la qualité de vie au quotidien de telle femme ou tel homme qui doit être nommé ministre. Un ministre n’est pas le tout-venant qu’on ramasse n’importe où. C’est un homme ou une femme dévouée à la cause publique, qui donne le meilleur de lui-même pour matérialiser la politique de celui qui l’a appelé au sacerdoce, en service. Le ministre tout comme le président de la République, n’a plus de vie quand il officie, il a cédé sa vie à la République qui se caractérise par le dépouillement de soi, l’abnégation à servir et non à se servir, la fidélité sans faille au souverain qui l’a nommé.

Souverain-sacrificateur et souverain-roi

En clair la fonction présidentielle revêt deux dimensions : le souverain-sacrificateur et le souverain-roi. La première se réfère à la gestion de la République, œuvrer à garder l’esprit d’un cadre unificateur, d’un copartage de bonheur ou de malheur, pour tous les citoyens. Ses ministres doivent de ce fait être pénétrés de cet esprit qui unit, de rendre service pour le bonheur de tous. La deuxième dimension est le souverain-roi qui se distingue par la force au besoin pour préserver les acquis de la République, le patrimoine national. Les termes ministre, esclaves, serviteur, sujet sont de ce fait dans le même champ sémantique. En gardant la première dimension, il va de soi qu’un ministre est un saint, parce qu’il aide le sacrificateur de la République qui est le chef de l’État à l’Office, à la table sainte. L’État lui confère les attributs, une aura pour que cette sainteté, cette moralité exempte de souillure, soit un acquis au sein de l’opinion publique. Un ministre par principe, ne saurait tomber dans la disgrâce du vol ou des détournements de deniers de la République sans être déchu, sans se renier lui-même !

Dans toutes les grandes démocraties du monde, dès lors que de tels soupçons pèsent sur un ministre, ce n’est même pas au chef de l’État de lui demander de démissionner pour aller défendre son honorabilité devant la justice, mais cette initiative devrait émaner du ministre sur qui pèsent des soupçons d’indignité dans le service. Si par confusion un tel serviteur s’obstine à ne pas démissionner, le président de la République est appelé de l’y contraindre. Ce serait évidemment une incongruité de juger un ministre en fonction. En demeurant au sein de l’équipe des ministres, il jette tout son discrédit non seulement sur tout le gouvernement mais surtout couvre d’opprobre le serment présidentiel. La Covidgate est là comme une opportunité donnée pour discipliner les mœurs ou les pratiques sacerdotales de service public. Le refus de le faire aujourd’hui porte un coup fatal à la perception populaire de l’État et en partant la fragilisation constante de son autorité. Messieurs les ministres sur qui pèsent un grave soupçon de dérive dans la gestion des fonds de riposte contre le Covid-19, au nom de l’honneur et de la dignité liés à vos fonctions, prenez votre normale et urgente responsabilité de communiquer vos démissions. Cela est une urgente marque de fidélité à l’homme qui incarne les institutions républicaines et que vous soutenez avec acharnement, ce qui en passant est louable ! N’attendez en pas qu’il se peine à vous rappeler à votre devoir, car pour toujours, on comprendra que votre d’échéance est arrêtée une fois pour toute.

Rendre son tablier pour mieux rebondir

En droit administratif en deuxième année de droit, le professeur Gabriel Nlep de regretté mémoire aujourd’hui, aimait tant à insister sur la jurisprudence de l’arrêt Blanco. Il ne cessait de rappeler que C’est là les fondements, « la pierre angulaire » du droit administratif. Cet arrêt en France établit de manière irréfutable que la défense itérative est faite aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des faits de l’Administration. Tout ceci participe de l’intérêt de préserver au sein de la République la dignité de la fonction publique, administrative avec ses relents politiques. Le Tribunal criminel spécial (Tcs) devant lequel les ministres de la République passent à la queue leu leu en ce moment est de ce fait une certaine régression dans la notabilité de la fonction ministérielle.

La République doit travailler à sauvegarder la marque la fonction ministérielle. Comment comprendre que le Vatican par exemple traduise devant les tribunaux ses cardinaux, ses évêques et autres prélats ? Comment faisons-nous pour diluer à ce point la fonction ministérielle ? On pourrait évoquer le caractère spécial de ce tribunal pour minimiser la judiciarisation des faits de gestion des ministres alors qu’ils sont encore en poste. Sur le plan de la déontologie administrative c’est un couac difficile à supporter tout comme aujourd’hui il est difficile d’accepter que les tribunaux de l’ordre militaire jugent les civils. C’est pourquoi en son temps, quand Paul Biya avait rapidement réagi par exemple pour sortir le ministre Louis Bapès Bapès aujourd’hui rappelé à Dieu des geôles, tous les Républicains épris des valeurs avaient acclamé. Il y a bien sûr eu des cas de cette régression au Cameroun où on a pris tout un ministre en fonction pour le conduire directement en prison. L’élégance veut qu’on le décharge d’abord de son portefeuille ministériel avant de l’écrouer.

Remaniement redouté, annoncé et séjourné

Envoyer tout un ministre en prison est une immixtion inqualifiable du pouvoir judiciaire au sein de l’Exécutif ou un anathème. On peut accuser un ministre mais on juge un ex-ministre. On peut accuser un président de la République mais on juge un ex-président de la République. Le ministre porte en lui une part de l’immunité présidentielle ! Ce n’est pas une particularité camerounaise. En France c’est maintenant que l’exprésident de la République Nicolas Sarkozy subit les foudres de la justice dans le jugement des faits commis au cours de son magistère au sommet de l’État. Il en va de même de son Premier ministre François Fillon qui a été condamné pour les emplois fictifs mais après être déchargé de ses fonctions. Le cas du Cameroun est spécifique en ce qu’il y a urgence.

Le pouvoir camerounais est mis à mal par les bailleurs de fonds qui demandent la reddition des comptes Covid-19. A défaut pour les ministres de donner leur démission, toute la responsabilité revient à Paul Biya de tous les débarquer pour qu’ils aillent laver l’affront d’accusation qui pèse lourdement sur leur honorabilité devant la justice en tant que citoyen lambda. Le remaniement tant annoncé, redouté et ajourné sera là certainement avant la fin du mois de juin avec les deux postes toujours vacants suite à la mort de deux membres de l’équipe Joseph Dion Ngute conjugué avec les pressions internationales. Croisons les doigts que nos ministres les plus brillants dont les noms tournent en boucle sur la toile, vont se disculper en un tour et deux mouvements devant le juge. Un ministre de la République conseillait les récipiendaires des médailles de son département ce mois courant de mai de ne pas souiller l’honneur dont la République les distingue. « Ne souillez jamais vos médailles dans la vie publique ou dans la vie privée », soufflait-il.

Léopold DASSI NDJIDJOU

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