Cameroun : Comment envisager l’émergence en reléguant la recherche scientifique ?

Pr François WASSOUNI

Ces dernières décennies, le concept d’émergence s’est imposé dans l’espace public camerounais.

Présent dans tous les discours, il est passé de la catégorie d’ambition économique légitime pour les pays du Sud à celle de slogan politique. Chaque prise de parole dans l’espace public en a fait un point d’ancrage, au point de vider la notion de sa substance. Comme un mantra que l’on psalmodie à longueur de journée, « faire du Cameroun un pays émergent en 2035 comme l’a prescrit le Président de la République Paul Biya » est devenu la pirouette rhétorique incontournable qui rend licite toute prise de parole au sein de l’establishment proche du pouvoir en place.

Du reste, que signifie réellement l’émergence pour un pays comme le Cameroun ? Catégorie ou situation économique née dans le contexte d’éveil des pays du Sud global, elle désigne la capacité d’une économie à croître et à s’insérer de manière efficiente dans la mondialisation. De façon triviale, « émerger » signifie quitter de l’état de médiocrité économique pour une situation améliorée et viable pour le bien-être des populations. Cet objectif ne peut être atteint que par le biais d’une politique pertinente et volontariste dont le but serait de faire bouger les lignes afin d’emprunter des sentiers nouveaux pour atteindre le cap fixé.

Ces préalables sont loin d’avoir été compris par les autorités camerounaises qui par leurs actes quotidiens semblent ne pas prendre au sérieux la question de l’émergence. La plupart des pays qui ont émergé ont fait de la recherche scientifique et technique un des piliers fondamentaux de cette politique. Inscrire comme priorité le développement d’une économie fondée sur le savoir à travers la valorisation de la recherche permet de penser, d’opérationnaliser, d’encadrer et d’accompagner de façon sérieuse la politique d’émergence d’un pays.

Curieusement au Cameroun, on parle d’émergence comme d’un sermon écouté dans les églises. Je suis étonné de constater le mépris avec lequel un pays qui ambitionne devenir émergent traite la recherche scientifique en général et les chercheurs en particulier. L’État camerounais méprise la recherche et la marginalise. Elle est l’un des secteurs les plus mal lotis du pays. On préfère privilégier ceux qui ne sont forts que pour porter les costumes, s’asseoir de manière improductive dans un bureau climatisé, avec pour seule tâche de commander les autres comme si nous étions encore à la période coloniale.

A côté, ceux qui doivent penser, chercher des solutions dans les domaines comme la santé, l’agriculture, la technologie, l’environnement, etc., sont ridiculisés et travaillent dans des conditions les plus déplorables. Le Cameroun est une curiosité exceptionnelle dans le monde. Aujourd’hui où de nombreux pays investissent de folles et colossales sommes d’argent dans la recherche scientifique des résultats probants et même impressionnants, notre pays reste à la traine. Il est également l’un des rares pays qui sépare l’enseignement supérieur de la recherche scientifique. Ce sont en effet (Recherche et Enseignement Supérieur) deux frères siamois qui ont un seul cœur. Les séparer et autoriser leur mise à mort réciproque est un péché idiot. Bref, c’est comme tuer une dynamique qui ne peut naître qu’à travers leur complémentarité et leur continuité.

Quoi qu’il en soit, université et recherche scientifique ne sauraient faire chemin séparé, à moins qu’on ne comprenne finalement rien de de ce dont il s’agit. Comment l’État camerounais peut-il créer par exemple une prime spéciale pour les enseignants du supérieur (ce qui est encourageant, mais pas du tout suffisant) et condamner curieusement les chercheurs à respirer de la poussière dans leurs bureaux alors qu’ils n’attendent que des moyens pour travailler ? Je pense qu’il est temps d’aller à l’école du sérieux, pour ne pas paraître comme un pays qui ne sait ni ce qu’il fait et encore moins où il voudrait bien aller.

Quelle fâcheuse et désastreuse attitude ! Cette gouvernance du système national de la recherche au Cameroun est à la fois ridicule et étonnante. Le paupérisme dans lequel on a enfermé la recherche scientifique dans notre pays est inadmissible. C’est la raison pour laquelle je soutiens totalement le mouvement de ras-le-bol lancé par les chercheurs des Instituts de recherche sous la tutelle du Minresi ces derniers temps. C’est un mouvement qui mérite d’être soutenu par toute la société camerounaise, du moins ceux qui savent ce que c’est la recherche et sa place dans le développement. Les enseignant-chercheurs des universités devraient eux également soutenir leurs collègues de la recherche et de l’innovation. Envisager l’émergence du Cameroun en 2035 ou après en discriminant la recherche est semblable à un voyage effectué à bord d’une voiture sans y mettre du carburant.

Un voyage imaginaire et qui n’arrivera jamais à terme, sauf par miracle. Cessons nos « camerouniaiseries » pour accorder le même intérêt à tous les corps de métier qui existent dans notre pays, pour qu’ils puissent jouer efficacement les rôles qui sont les leurs dans la mouvance de la contribution au développement de notre pays, plutôt que de montrer aux yeux de tous qu’il existe des secteurs plus importants alors que d’autres ne le sont pas. Dans ce sens, pourquoi continuer donc à recruter dans ces secteurs de moindre importance, alors qu’on aurait pu simplement les supprimer. « La recherche est la clé du développement d’un pays » et tout pays qui ne l’a malheureusement pas compris est encore loin d’avoir compris ce qu’est le développement. C’est donc le lieu de nous aligner tous derrière les chercheurs pour que leurs doléances soient prises en considération le plus rapidement possible et que puissent s’améliorent durablement leurs conditions de vie et de travail.

Ce qui permettra que ce secteur d’activité des plus importants contribue efficacement, pertinemment et surtout durablement au chantier d’émergence et du développement du Cameroun. Il est temps, grand temps de rompre avec cette gouvernance impertinente, archaïque à laquelle on a habitué notre pays pour une gouvernance sage, pertinente et prospective pour un Cameroun véritablement émergent. C’est un impératif catégorique pour tous les esprits pétris de sérieux, de sagesse et de bons sens, dans un pays où les lignes méritent d’être bousculées pour envisager un lendemain prometteur et enchanteur.

Pr François WASSOUNI,
Université de Maroua-Cameroun/ Chercheur
Résident à l’Institut d’Études Avancées de Nantes- France

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