Cameroun: Comment Atanga Nji a instrumentalisé les élites du Grand Nord

Atanga Nji et les élites du Grand Nord

Deux semaines après avoir déclaré le mouvement « Dix millions de nordistes » illégal, le ministre de l’Administration territoriale a tenu une curieuse réunion avec les élites des trois régions du Septentrion à Maroua dimanche dernier, à l’effet de les contraindre à vomir l’initiative portée par Guibai Gatama.

On le savait en mission officielle avec son collègue du ministère des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi pour évaluer l’état d’avancement des travaux de construction d’une voie de contournement et la réhabilitation du pont Palar à Maroua, sous hautes instructions du président de la République Paul Biya. Mais, Paul Atanga Nji a quand même trouvé du temps pour greffer à l’agenda de son séjour dans le chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord, une autre activité qu’il a pris le soin de ne pas ébruiter avant le jour-j. En effet, le Minat a tenu le dimanche 29 novembre 2020, dans les services du gouverneur, une réunion avec les chefs traditionnelles, les responsables politiques, les leaders de jeunes et les représentants des syndicats de moto taxis des trois régions septentrionales. Si l’objet et les contours de cette curieuse concertation n’ont pas été dévoilés, les larges banderoles qui trônaient majestueusement à l’entrée de la salle doublé du contenu de la motion de soutien signée par les participants en faveur de Paul Biya, en disent long sur les intentions de l’initiateur.

Dans ce document dont le Messager a obtenu copie, les signataires, comme s’ils s’étaient passés le mot, se «désolidarisent de tout mouvement visant à diviser les camerounais». Allusion faite au mouvement « dix millions de nordistes » que Atanga Nji a récemment déclaré illégal au motif qu’il s’illustre « par des publications portant gravement atteinte à l’unité nationale et la coexistence pacifique entre les différentes communautés nationales ». Comme une dictée préparée, les signataires de la motion de soutien célèbrent le doigté du réalisme avec lequel le chef de l’Etat a géré la pandémie du Covid-19 jusque-là, « ce qui a valu à notre pays beaucoup d’admiration sur la scène international ».

Crise sécuritaire

Mais aussi la constante sollicitude du chef de l’Etat à l’endroit de chacune des trois régions, sollicitude dont les manifestations les plus récentes se déclinent en de nombreuses réalisations ainsi que des appuis multiformes, entre autre : « la mise en œuvre annoncée du plan présidentiel de reconstruction et de développement de la région ; la création d’une université et des grandes écoles à Maroua ; le développement de différents infrastructures dont les routes, des logements sociaux, l’hôpital de référence en cours de construction à Maroua, les centres d’accueil des ex-combattants de la secte Boko Haram à Mora et à Mémé; les efforts sans relâche à combattre les terroristes de la secte Boko Haram ; les multiples assistances aux populations sinistrées à la suite des calamités de divers ordres, les chantiers du Chan 2021 et de la Can 2022, générateurs de nombreuses infrastructures dont deux hôtels respectivement de 70 et 100 chambres à Garoua, chef-lieu de la région (…) La création des facultés de médecines, de la science et de l’éducation, des sciences juridiques et politiques toujours à Garoua ».

Le même chapelet de réalisations est égrené dans la région de l’Adamaoua avec les chantiers dans le domaine de l’énergétique dont les barrages de Bini, Awarack, de Ngaoundal, et l’implantation des centrales solaires dans les villages ; le bitumage de la route Yaoundé-Tibati-Ngaoundéré ; la maitrise de la crise sécuritaire. Suffisant, croient savoir ces élites, pour rester « soudés au sein du Rdpc et des autres parties politiques dont l’ambition est de contribuer à la construction d’un Cameroun fort, prospère et stable, convaincus que tous les projets de développement en instance dans les trois régions seront realisés, à hauteur des moyens disponibles, malgré la difficile conjoncture ; désolidarisés ainsi de toute action, de tout mouvement actuel, en gestation ou à venir qui viserait à perturber l’ordre établi, à diviser les camerounais ou à les entraîner dans des dérives tribales ». De quoi renouveler leur confiance à travers les différents suffrages en faveur de Paul Biya « afin qu’il conduise notre pays en général et nos trois régions en particuliers vers l’émergence avec santé, clairvoyance, longévité et sagesse à la tête du Cameroun, notre cher et beau pays », écrivent-ils.

Masse électorale

De la manipulation qui pue à plein nez, croient savoir certaines élites. Surtout, disent-elles, quand on sait le martyr que vivent les populations des trois régions sus-mentionnées. En quête de crédibiliser sa décision d’interdire le mouvement « 10 millions de Nordistes » officialisé le 27 juin 2020 par une publication Facebook, le Minat fait feu de tout bois. Une attitude qui laisse penser que cette « une initiative apolitique visant à promouvoir les intérêts du grand Nord dans un esprit républicain » fait peur au régime. Pourtant, son nom de baptême renvoie à l’effectif de la population des trois régions septentrionales du Cameroun, selon le dernier recensement. Une masse électorale régulièrement courtisée par les hommes politiques, puisqu’elle compte 2,5 millions d’électeurs potentiels sur les sept millions d’inscrits au fichier électoral national.

Christian TCHAPMI

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