Le président de la République a regagné Yaoundé hier, mardi 29 avril 2014, après avoir passé 30 jours en Europe. Mais le séjour de Paul Biya dans son pays pourrait être très court, au regard des grands évènements internationaux qui pointent à l’horizon.[pagebreak] Saisira t-il l’occasion pour aller poursuivre son séjour européen ?
Paul Biya est finalement de retour au Cameroun. Après 30 jours passés en Europe. Il a participé du 2 au 3 avril 2014, au sommet Union européenne – Afrique qui s’est tenu à Bruxelles en Belgique. De même qu’il a assisté à la cérémonie protocolaire de double canonisation des Papes Jean-Paul II et Jean XXIII, le dimanche 27 avril dernier. Mais en dehors de ces deux évènements, le calendrier du séjour de Paul Biya en Europe a été littéralement caché au peuple. D’où la trentaine de jours passés en Europe. Avant cela, le président de la République s’était rendu à Paris en France en décembre 2013, pour prendre part au sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique. Mais après le sommet qui a eu lieu du 5 au 7 décembre, le chef de l’Etat parti du Cameroun le 4 décembre 2013, a pris une destination inconnue après ce conclave. Ce n’est que le dimanche 15 décembre dans l’après-midi qu’il a regagné Yaoundé. Après avoir passé 11 jours en Europe, aux frais du contribuable camerounais.
Pour la seule période allant du 1er décembre 2013 au 30 avril 2014, Paul Biya a donc séjourné pendant 41 jours hors de son pays. Ainsi donc, des 156 jours meublant la période, le chef de l’Etat est censé avoir été auprès de son peuple pendant 115 seulement. Encore que des 115 jours, « l’homme lion » a passé plus d’une trentaine en famille à Mvomeka, son village natal. C’est donc un président presque déconnecté de ses administrés qui nous est revenu hier après-midi. D’ailleurs que ce retour au Cameroun n’est pas synonyme d’une reprise de travail. Car dès le mois de juin prochain, Paul Biya est invité à se rendre à Addis Abéba en Ethiopie, pour prendre part au sommet de l’Union africaine, dont l’une des articulations de l’ordre du jour pourrait porter sur la lutte contre l’insécurité transfrontalière. Et juste après, « l’homme lion » pourrait assister, aux côtés de son homologue Barack Obama des Etats Unis d’Amérique, à la célébration du 70ème anniversaire du débarquement de Normandie, prévu le 6 juin 2014. L’histoire nous apprend que ce débarquement fut le point de départ de la reconquête de la France par les alliés face à l’occupant Nazi.
Et quelques jours après, le 12 juin plus précisément, c’est l’ouverture de la Coupe du monde de Football en terre brésilienne. Il n’est pas exclu que Paul Biya s’envole pour le Brésil. Le 4 août, il serait surprenant qu’il s’absente à la célébration du centenaire de la première guerre mondiale que l’Europe envisage d’organise avec toute la solennité possible. Ce sera peut-être le prétexte pour le chef de l’Etat d’aller prendre ses aises dans son intercontinental hôtel de Genève en Suisse, dans une suite avec vue sur le lac Léman. Tout ceci, aux frais du contribuable. Plusieurs autres évènements imprévus pourraient d’ailleurs survenir et surcharger le calendrier présidentiel. Notamment le sommet Etats-Unis – Afrique prévu en août également. En clair, Paul Biya passera sans doute moins de temps au Cameroun qu’il n’a passé en Europe avant son retour hier.
Entre temps, l’économie camerounaise logée à l’enseigne des pays pauvres très endettés (Ppte) mérite toute son attention. Le chiffre du chômage va croissant. Le plan d’urgence promis par le président de la République dans son discours à la nation du 31 décembre 2013 est remplacé par une compilation de propositions incommodes rangées dans les parapheurs en attente de validation. La corruption fait son petit bonhomme de chemin, malgré l’existence d’une pléthore de structures budgétivores créées pour « distraire » l’argent public. Sur le plan sécuritaire, la partie septentrionale du pays n’inspire plus confiance, tant les kidnappings y sont légions. Pourtant, elle est le fleuron du tourisme camerounais. Les cœurs des ministres en fonction ne battent plus qu’au rythme des battements des ailes de l’épervier.
Normal! Car à tout moment, les portes de Kondengui peuvent s’ouvrir et se refermer derrière qui le juge d’instruction veut. Le comble, c’est que même au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), parti dominant et proche du pouvoir, rien ne va plus. Les guerres intestines font rage. Un peu comme si ce parti n’avait plus de chef, comme le bateau Cameroun visiblement ivre. Et dans ce contexte, la lancinante question revient: le Cameroun est-il encore gouverné ?
Retour de Paul Biya: Sujet tabou au sein de l’administration
Fonctionnaires et autres agents de l’Etat évitent d’aborder la question de l’absence prolongée et du retour du chef de l’Etat ce mardi 29 avril 2014.
Ministère des Enseignements secondaires. Il est 15h30min, tout est calme, chacun vaque à ses occupations. La maison se vide peu à peu de ses employés car c’est la fin de la journée. Un groupe d’hommes discutent à l’entrée du bâtiment abritant les services centraux de ce département ministériel. Le reporter du Messager s’approche d’eux afin de s’enquérir du sujet de la discussion. Les réponses fusent : « Les demi finales de la Champion League», crient en chœur ces derniers. Mais lorsque le reporter leur demande leurs avis sur le séjour prolongé du chef de l’Etat, c’est bouche cousue. Les quatre individus se regardent à tour de rôle et personne n’arrive à dire un mot au journaliste. La discussion animée il y a quelques instants laisse place au silence et aux regards de méfiance. «Pourquoi posez-vous cette question ? Vous êtes de la police ou alors espion ? Que ferez-vous avec nos réponses ?» Déclarent ces jeunes hommes. Ceux-ci retrouvent leur calme après les éclaircissements du reporter mais restent néanmoins fermé sur la question qui leur a été posée quelques minutes plus tôt.
Même comportement au premier étage, tout le monde esquive la question, certains la trouvent même gênante et ne laissent pas le journaliste terminer son propos. Il suffit juste que ce dernier prononce le nom du chef de l’Etat pour que l’individu perde la bonne humeur et l’amabilité affichées au début de la conversation. Au troisième étage du Minesec, les langues se délient un peu plus.
Angélique, contractuelle indique : « J’ai entendu parler du retour du chef de l’Etat hier. Pour moi son retour ne change pas grand-chose puisque nous travaillons qu’il soit là ou pas ». 500 mètres plus loin au ministère de la Santé publique, la situation est pratiquement la même. Les citoyens ont peur de s’exprimer sur ce sujet qu’il considère comme «épineux». Jean-Jacques en service au Minsanté est sceptique lorsque le reporter lui pose des questions sur l’absence et le retour du président de la République.
Mais au cours des échanges, ce dernier s’exprime un peu plus et déclare : « Je pense que lorsque le président n’est pas au pays certaines choses ne fonctionnent pas, chacun fait ce qu’il veut ». Jean-Jacques ne répond pas vraiment à la question qu’on lui a posée. C’est simple, il craint de s’avancer trop sur le sujet. Ce qu’il avoue à la fin de l’entrevue avec le journaliste. Même schéma à l’intérieur de la structure, personne ne veut parler du président encore moins de son voyage prolongé. Paulin, collègue de Jean-Jacques se justifie en disant : « Nous ne devons pas répondre à certaines questions lorsque nous sommes dans nos lieux de service, dans un autre lieu je vous aurais répondu sans hésitation ». Qu’est-ce qui explique donc la réticence de ces individus ? On pourrait dire leur statut d’employés dans ces services de l’administration et la psychose d’une possible répression pour celui qui dira ce qui ne doit pas être dit. On n’a pourtant plus besoin d’aller au maquis pour exprimer ses idées. Mais sait-on jamais ?