La nuit du 10 février 2025 restera gravée dans la mémoire de Bongo, petit village du Mbam-et-Inoubou. Cinq hommes armés, juchés sur des motos, ont traqué Bapodo Narcisse comme une proie. Ligoté, torturé, puis exécuté froidement, cet agriculteur devient le troisième cadavre en deux semaines dans une région livrée à des escadrons de hors-la-loi. « Ils arrivent comme des fantômes, frappent, et disparaissent dans la brousse », témoigne un habitant sous couvert d’anonymat, la voix tremblante de colère.
Ces attaques, souvent attribuées à des groupes armés non identifiés, révèlent un chaos sécuritaire qui gangrène les campagnes camerounaises. Les motos, outils du quotidien, se transforment en armes de destruction massive. Une réalité d’autant plus troublante que le gouvernement avait promis en 2023 une « tolérance zéro » contre les motos-taxis criminels, sans résultats concrets.
Motos-Taxis : Entre nécessité et fléau national
Le drame de Bongo n’est pas isolé. Depuis 2023, les « benskineurs » (conducteurs de motos-taxis) sont pointés du doigt dans plus de 700 agressions, 200 viols et 110 détournements d’itinéraires enregistrés à travers le pays. Ces engins à deux roues, vitaux pour la mobilité rurale, sont devenus le cheval de Troie de l’insécurité.
Pourtant, les tentatives de régulation échouent lamentablement. La loi de 2013, exigeant permis de conduire et immatriculations, reste lettre morte. « C’est un cercle vicieux : l’État ferme les yeux par peur de mécontenter ces conducteurs, qui constituent aussi une force politique », analyse Joshua Osih, opposant camerounais 5. Résultat ? Des motos-taxis servent de passe-partout à des tueurs, comme à Bongo, où les assaillants ont fui sans entrave.
L’État camerounais face à ses contradictions
Alors que le Premier ministre Joseph Dion Ngute vantait en décembre 2024 une « stratégie imparable » contre les groupes armés, les villages comme Bongo paient le prix d’un appareil sécuritaire défaillant. Les Forces de défense, pourtant mobilisées contre Boko Haram dans l’Extrême-Nord, semblent impuissantes face à ces cellules criminelles locales.
Pire : l’attaque survient deux semaines après l’assassinat ciblé du chef de la sécurité du Chef d’État-Major des Armées à Yaoundé, prouvant que même l’élite militaire n’est pas épargnée. « Comment croire en la sécurité nationale quand les protecteurs deviennent des cibles ? », s’interroge un analyste sécuritaire sur 237online.com.
Face à cette hémorragie, les appels se multiplient. Syndicats et ONG exigent :
- Un recensement immédiat des motos-taxis, avec traçabilité des conducteurs.
- Le déploiement de drones pour surveiller les zones reculées.
- Une collaboration renforcée entre armée et polices locales.
Mais le temps presse. Comme le résume amèrement un habitant de Bongo : « Nous sommes des otages dans notre propre pays. Si l’État ne nous protège pas, qui le fera ? ».