Cameroun: Batailles rangées des « fils Baham » pour la mangeoire ?

Justine Diffo-Sindjoun-Zame

Les frasques imputées à Justine Diffo, présidente du conseil d’administration de l’Agence de régulation des télécommunications en poste depuis à peine trois mois, cacheraient des guerres de positionnement entretenues par certains caciques originaires des Hauts-plateaux dans la perspective d’un nouveau gouvernement en gestation.

« Diffogate » ? Sans aucun doute. A peine trois mois et déjà des casseroles retentissantes. A peine installée que déjà son nom fait la une des journaux, mangé à toutes les sauces et au centre de toutes les railleries. Si elle avait imaginé un seul instant que son poste de Pca à l’Art aurait charrié autant de controverses et de discrédit au sein de l’entreprise et même au sommet de l’Etat, elle aurait certainement boudé ce qui s’apparente désormais à un cadeau empoisonné. Vertement contestée, critiquée et présentée à tort ou à raison comme le contre-exemple de l’administrateur modèle, Justine Diffo a pris en otage l’actualité depuis quelques semaines.

C’est à croire que pas un seul jour ne passe sans que le nom de la présidente de l’association More women in politics ne fasse le buzz sur les réseaux sociaux. Entre ses prétendus crocs-en-jambe aux instances dirigeantes, les recrutements validés au mépris de la réglementation en vigueur et les captures d’écrans de ses conversations Whatsapp supposées ou vraies dévoilant des actes de «corruption» et de «marchandages de postes», la présidente du conseil d’administration de l’Art souffle le chaud et le froid.

Situations conflictuelles

La dernière actualité n’est autre que cette correspondance aux allures de mise en garde du ministre des Postes et télécommunications datée du 17 juillet 2020 et adressée à la Pca. Le courrier dont le Messager a obtenu copie, annonce une enquête au sujet des accusations formulées contre Justine Diffo. Minette Libom Li Likeng informe qu’elle va examiner les résolutions des deux dernières sessions du conseil d’administration. «Les résolutions ne répondant pas aux objectifs de politique prescrite et du droit applicable seront tout simplement invalidées», prévient-elle. L’examen concerne notamment un récent recrutement de certains personnels. «Il m’a été donné de constater que les situations conflictuelles au sein de l’Art étaient dues au non-respect par les organes de gestion, des dispositions réglementaires en matière de gestion des établissements publics, ainsi que des règles d’éthique et de gouvernance, notamment pour ce qui est du dernier recrutement», écrit Libom Li Likeng.

Et de préciser que « selon les informations à notre possession, provenant d’autres sources, ce recrutement est empreint de forts soupçons de corruption, avec des marchandages de postes». À en croire la ministre de tutelle de l’Art, ce recrutement s’est effectué directement, sans test, ni respect du plan d’organisation des effectifs de l’établissement et des besoins réels en ressources humaines permettant à l’établissement public
d’atteindre les objectifs assignés en matière de régulation du secteur des télécommunications. «C’est ainsi que des personnels relevant des corps spéciaux de l’administration ont été recrutés, sans les autorisations nécessaires», fait remarquer le Minpostel qui somme la Pca d’œuvrer pour un retour sans délai à la sérénité au sein des organes dirigeants de l’entreprise.

Sindjoun-Diffo : conflit fratricide ?

Ce rappel à l’ordre de Libom Li Likeng intervient une semaine seulement après qu’un document ventilé sur la toile et prétendument signé par le Dg de l’Art mettait en cause plusieurs hautes personnalités en vue de jeter du discrédit sur la personne de la Pca. Le fameux brulot a enflammé la toile et secoué le top management de l’Agence avant que Philémon Zo’o Zame ne publie un cinglant démenti, rassurant l’opinion de ce que l’Agence de régulation des télécommunications poursuit sa bonne marche en rapport avec ses missions. Les plus importantes étant de tout mettre en œuvre pour rattraper le retard du développement numérique. Si beaucoup soutiennent que l’ex directrice des affaires juridiques au ministère de la Communication est à plaindre au regard des nombreux griefs portés contre sa personne, plusieurs sources estiment que l’affaire est bien plus profonde que les artifices et les petites affinités dont on tente de prouver l’existence entre un tel et un tel autre. Ce dossier brulant, apprend-on, pourrait également avoir une « connotation tribale ».

En ces temps où la fièvre de l’attente d’un imminent remaniement ministériel s’empare des ministres en fonctions et autres aspirants au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), tous les moyens sont bons pour conserver son trône à la mangeoire. L’équilibre régional étant l’une des « valeurs » chères au président de la République, chaque tribu s’impatiente. Sevré d’un poste de ministre plein depuis la démission de Maurice Kamto devenu président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) et ennemi numéro 1 du pouvoir, le village Baham est en embuscade. La bataille pour le positionnement est donc à son plus beau jour au sein des élites de cette contrée qui espèrent tous, être touchées par la grâce discrétionnaire du Prince.

Dans cette course effrénée vers le statut de ministrable, beaucoup présentent le Pr Luc Sindjoun, comme le « cerveau de toutes les manœuvres » visant à barrer la voie à ses frères en lice, de jouir eux aussi des prérogatives due à ce rang. Le conseiller du président de la République,à en croire les partisans de cette thèse, serait même à l’origine de cette fameuse correspondance grossièrement montée. « Justine Diffo étant un candidat de poids et ayant le profil de l’emploi, la savoir au sein du gouvernement, ne sera pas perçu par tous, comme une bonne nouvelle », commente sous cape un membre du Comité central du Rdpc

Zo’o Zame, l’agneau du sacrifice

Vu sous ce prisme, il ne serait pas hasardeux de conclure que le combat des fils Baham s’est déporté à l’Art. D’ailleurs que dans la foulée, il se susurre que la nouvelle Pca n’est non plus exempt de tout reproche. Bien informée et profitant de son statut au sein de l’Art, la titulaire d’un doctorat en droit international économique obtenu en 1998 à l’université René Descartes en France, aidée par ses nombreux soutiens au sein de l’appareil gouvernant et même à la présidence de la République, ne bouderait pas une occasion en or d’abattre ses cartes et s’adjuger un strapontin lors du prochain remaniement.

Et dans cette logique, déclarer la guerre à son frère Sindjoun même s’il faut injustement entraîner dans cette bataille le Dg Zo’o Zame présenté comme un républicain légaliste, qui s’est toujours plié aux orientations de sa hiérarchie, n’est qu’un détail. Pendant ce temps, le Dg dont les chantiers sont colossaux, rassure l’opinion publique que « les différentes manœuvres de déstabilisation ne sauraient perturber la détermination et l’engagement des dirigeants des organes sociaux de l’Art, pour remplir pleinement les missions qui leur ont été confiées avec loyauté par le Gouvernement et le président de la République ».

Christian TCHAPMI

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