Cameroun-Nigeria: Une coopération en clair-obscur et pointillés

En attendant que Yaoundé et Abuja dévoilent l’agenda de la prochaine visite officielle au Cameroun du président nigérian, M. Muhammadu Buhari, experts et diplomates des deux pays s’activent pour boucler les préparatifs du séjour qui s’annonce riche en échanges, préoccupations, enjeux et attentes. Surtout qu’en dépit des réunions régulières de haut niveau imposées par la guerre contre Boko Haram, les chefs d’Etat nigérian et camerounais ne sont pas véritablement retrouvés en tête-à-tête ces dernières années. Et surtout pas, depuis sa prise de fonction comme président de la République du Nigeria, le 29 mai 2015. En coulisses, des dates sont avancées: le 29 juillet pour certains, le 25 pour d’autres. Qu’importe! Cette fois, loin des sujets économiques, commerciaux et culturels abordés du 09 au 11 avril 2014, avec à la clé, quatre nouveaux accords signés entre le Nigeria et le Cameroun, à l’issue des travaux de la 6e «Grande commission mixte de coopération entre les deux pays», la sécurité aux frontières, assurent les observateurs avertis, sera au cœur de ce rendez-vous de toutes les supputations entre deux hommes que beaucoup de choses opposent depuis au moins 40 ans.

En attendant la réunion de la 7e «Grande commission mixte entre le Cameroun et le Nigeria à Abuja en 2016», à une date toujours en examen, ce mois de juillet 2015 connaitra une évolution notable dans les relations entre Yaoundé et Abuja. Le chef de l’Etat nigérian, M. Muhammadu Buhari, est attendu au Cameroun dans le cadre d’une visite officielle. En tout cas, la typologie est connue depuis dimanche au détour d’une interview du ministre camerounais de la Communication, M. Issa Tchiroma Bakary, qui invitait les médias locaux et étrangers désireux de couvrir l’évènement de déposer une demande d’accréditation auprès de ses services. Toujours est-il que comme il l’avait indiqué au cours d’un entretien à la presse à la fin du sommet de l’Union africaine en Afrique du Sud le 15 juin dernier, l’arrivée au Cameroun du président Buhari devrait intervenir au lendemain de la fête de fin du Ramadan prévue les 17 et 18 juillet prochains (au Nigeria et au Cameroun).
Les présidents camerounais et nigérians l’ont réaffirmé au lendemain de la réception, le 23 juin dernier à Abuja, d’un émissaire du chef de l’Etat camerounais Paul Biya qui avait dépêché le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, René Emmanuel Sadi auprès de son homologue. M. Sadi était alors porteur de l’invitation officielle du locataire d’Etoudi. A la suite de quoi, le cabinet civil du nouveau président nigérian avait émis un communiqué indiquant que M. Muhammadu Buhari avait accepté l’invitation à se rendre à Yaoundé.
Dans les milieux diplomatiques, les deux parties s’affairent à arrêter les sujets devant être validés par les deux chefs de l’exécutif pour nourrir leurs entretiens. On parle ainsi de la coopération militaire bilatérale et régionale contre la secte islamiste Boko Haram. Sur la question, des sources concordantes font état de ce que le Nigeria souhaite mettre sur la table l’épineuse question sur le droit de poursuite entre les deux pays.
Par ailleurs, comme le prévoient les procédures et modalités, MM. Biya et Buhari devrait esquisser la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies aux fins d’intervention d’une force multinationale contre la secte islamiste basée au Nigeria. Les problèmes de sécurité communs aux deux pays frontaliers se posent avec une certaine acuité depuis 2012, avec la multiplication des actes terroristes d’envergure commis par la nébuleuse islamiste au Nord du Nigeria.
D’après le voisin nigérian, ses autorités d’alors avaient saisi Yaoundé afin de permettre à ses forces de défense de poursuivre les membres de la secte sur le sol camerounais où ils semblaient y trouver une base de repli. Fidèle à ses principes de non ingérence, le Cameroun avait alors exprimé sa réticence, voyant en une telle démarche un risque de déstabilisation du Nord-Cameroun.

[b]Enlèvements d’étrangers [/b]
Avec les premiers enlèvements d’étrangers dans le septentrion camerounais en février 2013, les forces de défense vont se mobiliser et pourchasser les assaillants jusque là par petits groupes. Les attaques répétées et le harcèlement permanent décident le haut commandement à envisager avec le Nigeria ayant presque capitulé devant Boko Haram qui vient de prendre en otage les filles de Chibock en territoire nigérian, de mener des opérations conjointes, au besoin de poursuivre respectivement au Nigeria et au Cameroun.
A son tour le pouvoir nigérian dit non. Il estime que tout franchissement de frontière est une violation de son espace territorial. Qu’on se rappelle la plainte du président Godluck Jonathan lors du bombardement par l’aviation aérienne est des éléments de Boko Haram à la frontière Cameroun Nigeria. La question a été débattue lors du sommet de Paris le 17 mai 2014 en présence du président Hollande de France. Les officiels nigérians, une fois de plus ont exprimé leur refus.
Pour autant, l’idée de mutualisation des forces et stratégies dans la lutte contre Boko Haram a commencé à prendre corps. Après les déclarations de guerre, le Cameroun s’est retrouvé dans le champ de bataille. Son président a appelé à la mobilisation globale contre cette menace globale. Le Tchad a répondu favorablement à ce cri de détresse. Et obtenu du Nigeria que ses soldats puissent intervenir en territoire nigérian. Mais pas les Camerounais.
Avec l’arrivée au pouvoir de M. Buhari, le palais d’Aso Rock, le discours a changé. Lors de son déplacement à au Tchad et au Niger, le président du Nigeria a t indiqué à ses homologues que son armée était à même de se défendre et vaincre seule les djihadistes. Il marquait ainsi son refus de voir les forces tchadiennes et nigériennes intervenir sur son sol. Pour lui, l’armée fédérale est prête à coopérer avec les Etats voisins, mais chacun dans son pays.
Or avant son avènement, MM. Paul Biya, Idriss Deby Itno et Mahamadou Issoufou avaient déjà saisi l’Union africaine pour une intervention internationale dans la lutte contre les islamistes. C’est ainsi que lors de la session spéciale du Conseil de paix et de sécurité le jeudi 29 janvier 2015 à Addis-Abeba, saisie du dossier, l’Union va soutenir l’initiative de la Commission du bassin du lac Tchad, c’est-à-dire l’idée d’une force multinationale mixte comprenant le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Bénin. Le Nigeria et ses voisins ayant en effet réussi à se mettre d’accord sur une position commune, après des mois de défiance et d’incompréhension. Avant cela, le président tchadien M. Idriss Déby a décidé, le 15 janvier, d’envoyer des troupes au Cameroun pour soutenir l’armée camerounaise qui fait face à des attaques de la secte.
«Ne demandez pas à chaque fois à l’Onu ou à la France ou à un autre pays européens de résoudre les problèmes en Afrique. L’Afrique a des capacités, des moyens, des hommes, il suffit simplement d’avoir la volonté, a fait valoir M. Déby. C’est à cela que nous devrions réfléchir en tant que dirigeants Africains: mettre en commun l’ensemble de nos moyens et faire face à ce défi colossal, important, sécuritaire, humanitaire.»
Engagements pris donc. Mais il restait à l’Union africaine de se donner le temps de bien définir les règles d’engagement de sa force anti-Boko Haram. Des règles qui se veulent les plus strictes possible, afin d’épargner les victimes civiles et ne pas commettre les mêmes bavures meurtrières que l’armée nigériane. Une exigence arrêtée quelques jours plus tard à Yaoundé au cours des travaux d’experts. La suite est connue la force se met progressivement en place. Mais dans la méfiance et la suspicion.

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