Vers une Election Présidentielle Anticipée au Cameroun

S’il est vrai que les observateurs de la politique camerounaise en sont encore à essayer de sonder les intentions de Paul Biya par rapport à l’éventualité de briguer un nouveau mandat, les récents développements de l’actualité politique nationale indiquent que l’Homme du Renouveau n’entend pas encore céder le pouvoir.[pagebreak] Tous les indicateurs font plutôt penser que non seulement il compte diriger le Cameroun au delà de son mandat actuel mais qu’il aurait surtout décidé d’accélérer le rythme aux fins d’appeler les électeurs aux urnes de façon anticipée.

Malgré le consensus national qui s’est enraciné dans l’inconscient collectif sur le fait que le locataire d’Etoudi ne laissera pas une image impérissable à la postérité, on devrait au moins lui reconnaitre une chose, celle d’avoir, au fil des longues années passées au pouvoir, affiné son sens de l’analyse politique et surtout de savoir saisir à temps, les opportunités quand elles se présentent. Dans l’esprit du président, il serait question de profiter de la configuration et du climat politiques actuels ainsi que des rapports de forces qui lui sont favorables.

Préalablement, il faut engager les grands travaux pour l’édification des infrastructures à même de permettre au Cameroun d’organiser dignement la CAN 2019 et ainsi de récolter les lauriers en termes de visibilité, d’image et de prestige que va offrir ce grand évènement footballistique continental. L’espoir intimement caressé étant une victoire finale des Lions Indomptables, un scenario qui permettrait à notre vieux président de prendre enfin sa retraite dans un moment de gloire et de gommer ainsi définitivement l’image de « roi fainéant » qui lui colle à la peau et qui risque de l’accompagner dans son repos eternel.

Paul Biya est cependant conscient que son dessein pourrait faire face à de nombreuses contrariétés. La proximité de l’élection présidentielle prévue en 2018 d’avec la CAN ferait peser sur le pays un risque réel d’embrasement que les autorités pourraient ne pas pouvoir contenir à temps, plongeant le pays dans une longue crise postélectorale dont personne ne peut aujourd’hui prédire ni la forme ni la nature, ce qui pourrait mettre en péril l’organisation de la grande messe footballistique continentale. Le deuxième scenario redouté est qu’à l’issue de cette élection, les manifestations de colère qui s’en suivraient soient violemment réprimées, une éventualité qui plongerait le pays ainsi que la communauté internationale dans l’émoi. Le testament politique du locataire d’Etoudi s’en trouverait à jamais souillé par le sang des martyrs d’une telle répression éventuelle.

Mais Paul Biya veut soigner et réussir sa sortie et va très certainement tout mettre en œuvre pour éviter le scenario du pire. L’expérience montre très bien qu’une opinion silencieuse, passive, indolente et démissionnaire peut, en un laps de temps, se réapproprier son destin avec brio et assener, à travers son cri de colère, une raclée fatale au monarque léthargique. Et quand on sait que l’élection présidentielle au Cameroun n’est officiellement attendue qu’en 2018, les longues années qui vont suivre pourraient donner lieu à des développements inattendus qui seraient à même, sinon de modifier, du moins de rééquilibrer les forces politiques nationales. Il faut donc profiter de l’instant présent, celui qui offre la certitude d’une élection sans grands enjeux dont les résultats sont connus d’avance et qui se déroulerait dans un calme relatif que le pouvoir pourrait facilement imposer. S’étant visiblement rangé dans cette optique, Paul Biya a engagé les grandes manœuvres à la fois d’intimidation et électoralistes.

Le premier levier, celui de l’’intimidation, concerne la récente loi antiterroriste dont l’article 2 fait couler beaucoup de venin. Il va lui servir de paravent pour contenir d’éventuels contestataires qui seraient rapidement mis hors d’état de nuire. Il table sur le fait qu’une éventuelle mobilisation de l’opposition pour contrecarrer ses plans ne ferait pas foule compte tenu de la loi sus-évoquée mais aussi et surtout à cause de la déliquescence et de l’émiettement de l’opposition politique camerounaise qui peine à se faire entendre et manque de crédibilité.

D’un point de vue électoraliste, l’intermittent du pouvoir d’Etoudi qui nomme parfois des ministres et les limoge quelques années plus tard sans jamais les rencontrer, fait montre d’un activisme déroutant. Il vient en l’espace de quelques jours d’organiser un conseil des ministres durant lequel le Cameroun s’est doté d’un plan d’urgence triennal sensé booster la construction des infrastructures dans de nombreux secteurs, et de procéder à la signature d’actes importants de nominations dans les structures universitaires. L’on annonce aussi pour le 18 décembre, la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature qui statuera entre autre sur « l’intégration dans le corps de la magistrature d’environ 600 élèves auditeurs de justice, sortis de l’École nationale d’administration et de la magistrature et qui attendent impatiemment leur absorption dans la fonction publique. » Toutes ces initiatives, quoique n’étant pas exceptionnelles, revêtent un caractère tout particulier quand on est au faîte de la façon de gouverner de Paul Biya caractérisée par un laxisme généralisé.
Paul Biya lorgne sur sa CAN et n’entend pas s’en aller avant cette apothéose. Il ne laissera à personne l’honneur d’accompagner le pays vers cette victoire annoncée. Les manœuvres actuelles présagent d’une année 2015 riche en rebondissements et les mois à venir vont nous permettre de lever un pan de voile sur les intentions réelles de le locataire d’Etoudi.

Hervé Blaise Menguele

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