Des 90 maladies liées au travail désormais prises en charge par la Sécurité sociale, il en est au moins une que tout travailleur, peu ou prou, a eu à connaître. C??est sans doute le mal le mieux partagé dans le monde professionnel. Un virus insidieux, transmissible le plus souvent de manière verticale, par une surcharge de travail, et dont les séquelles peuvent s??avérer indélébiles chez les esprits les plus fragiles. Car le stress au travail, souvent réduit à tort à sa seule dimension physique, peut pousser le tâcheron besogneux acculé, jusqu??à l??ultime retranchement. Du côté de l??Hexagone, deux des plus grandes entreprises nationales, France Telecom
(maison mère de Orange Cameroun) et Renault, viennent de connaître une trentaine de cas de suicides (dont 24 en un peu moins de deux ans pour France Telecom), liés à la forte pression exercée sur les employés. Ceux qui, plus proches de nous, ont préféré rendre leur tablier ou se sont retrouvés internés dans un établissement hospitalier pour les mêmes raisons, savent qu??il ne s??agit pas que d??une maladie d??outre Méditerranée. Dans une société aujourd??hui libérale comme jamais, où les exigences de compétitivité ?? et donc de performance ?? s??exportent jusque dans les services publics, les managers ont tous intégré le principe. Rien de tel qu??une « saine pression » pour obtenir le meilleur de ses collaborateurs. Et pour exercer, cette « saine pression », toute une batterie d??instruments rompus à l??usage : volume de travail imposant, délais d??exécution raccourcis à souhait, fermeté dans la transmission des instructions, et surtout ?? le plus important ??, toujours laisser planer le spectre des sanctions de tous ordres que pourrait entraîner des défaillances. « Faire beaucoup, faire vite, faire bien », telle est la devise de ce « Corvéland » dont le travailleur devient vite citoyen malgré lui. Et dans des systèmes d??organisation pyramidaux, ce stress institutionnalisé devient verticalement transmissible. Les instructions du Pca deviennent le fardeau du directeur général, qui lui-même charge la mule de ses directeurs, qui le répercutent sur les chefs de service, etc. On connaît d??ailleurs le fameux dicton, « lorsqu??il pleut sur le curé?? ». « Un, dos?? stress » Mais si cette méthode mondialisée de travail s??avère le plus souvent éprouvante physiquement, tout un environnement vient se greffer à ce climat de pression, avec pour le coup des conséquences sur les ressorts psychologiques. Car, entre deux instructions à exécuter rapidement, il y a cette peau de banane du collègue de service qu??il faut adroitement éviter, ces médisances qu??on doit supporter stoïquement, et ces autres petits impondérables avec lesquels il faut composer : machines de travail en panne, dossiers bloqués par untel dont le bureau est fermé et dont on n??a pas de nouvelles, etc. Et le supérieur qui, imperturbable et réfractaire à toute explication, continue de crier pour avoir le travail demandé?? Facteur suprême du stress, lorsque la rémunération adossée à toutes ces journées de frustration parvient à peine à supporter les charges occasionnées. Souffrir le martyre au lieu de service est une chose. Ne même pas pouvoir ensuite éponger ses factures avec le salaire de ces sacrifices, en est une autre. Les grands penseurs philosophes et économistes qui ont théorisé que le travail devait avant tout servir à l??épanouissement et au bien-être de l??Homme, se retourneraient sans doute dans leurs tombes en scrutant le spectacle aujourd??hui offert dans les différents milieux professionnels. Où, à la manière du chanteur latino, patrons et employés ne vibrent qu??au refrain du « un, dos??stress ».Eric ELOUGA, CT